Philipp Schmidt (Prisma Media) "Prisma Media réalisera des acquisitions pour compléter et accélérer son développement organique"

Deux ans après son intégration à Vivendi, Prisma Media ambitionne également de s'internationaliser. Le point avec Philipp Schmidt, directeur de la transformation digitale du groupe et directeur exécutif de Prisma Media Solutions, sa régie.

JDN. Prisma Media est passé dans le giron du groupe Vivendi le 1er juin 2021: qu'est-ce qui a changé chez vous depuis deux ans ?

Philipp Schmidt est directeur de la transformation digitale du groupe et directeur exécutif de Prisma Media Solutions © Eric Garault

Philipp Schmidt. La possibilité d'intégrer Vivendi, un groupe du CAC 40, a été une chance pour nous. Nous établissons depuis différentes synergies opérationnelles avec les entreprises du groupe, qui touchent nos marques, audiences et outils. Par exemple, Prisma Media réalise le magazine des abonnés de Canal+ et des capsules vidéo à l'occasion de grands événements comme le Festival de Cannes et la Mostra de Venise ; la régie Prisma Media Solutions propose des dispositifs publicitaires communs avec Canal+ en s'appuyant aussi sur la donnée de Canal+ notamment sur les petits consommateurs TV, très recherchés par les annonceurs ; le player de Dailymotion équipe désormais tous les éditeurs de Prisma (nous diffusons entre 350 millions et 450 millions de vidéos vues par mois) ; enfin nous avons sensiblement augmenté la mobilité des ressources humaines entre les différentes entités du groupe.

Grâce à Prisma, Vivendi est devenu de loin le premier groupe média digital en France en volume d'audience mensuelle (avec 39,4 millions de visiteurs uniques par mois, Vivendi est 4e groupe le plus visité en France sur Internet, après Google, Meta et Microsoft. Médiamétrie, mars 2023, ndlr.). Nous sommes une brique stratégique pour le groupe Vivendi en tant que média qui a très bien réussi sa transformation digitale et cela se fera également au-delà des frontières françaises. En effet, Prisma Media, jusque-là essentiellement présent en France, souhaite s'internationaliser. Toutes les pistes de réflexion sont ouvertes. Cela va de pair avec la stratégie du groupe Vivendi qui se résume en trois mots : transformation, intégration et internationalisation. Notre internationalisation pourra se faire à la fois via la traduction de nos contenus, des acquisitions et des partenariats.

Quels sont vos principaux projets et priorités en cours et à venir ?

Avec Claire Léost (présidente de Prisma Media, ndlr.) et le comité exécutif, nous avons redéfini le plan stratégique de Prisma Media il y a un an avec cinq priorités. Tout d'abord, que Prisma Media devienne le champion de marques médias désirables, en témoignent les lancements de Dr.Good! par Michel Cymes et de Harper's Bazaar, la marque iconique américaine dédiée aux tendances de la mode, première née du pôle luxe que nous souhaitons créer. Nous avons l'ambition de nous situer en tant que leaders de l'économie de l'attention en proposant des contenus de qualité gratuits : Prisma a cette carte majeure à jouer et même le devoir de le faire vis-à-vis des Français alors que tout devient payant et que les fake news prolifèrent sur les réseaux sociaux.

"Notre CA digital cumulé jusqu'à fin avril est stable"

Notre deuxième priorité est d'attirer les meilleurs talents, ce qui passe par les mobilités internes et par notre marque employeur. Notre budget de formation est trois fois supérieur à la moyenne de notre secteur. Troisième priorité, être leader dans la technologie : nous sommes par exemple réputés pour notre équipe ad tech, qui a notamment réussi à préserver la stabilité de nos recettes publicitaires sur le digital. Notre CA digital cumulé jusqu'à fin avril est stable, ce qui relève d'un exploit vu le contexte.

Notre quatrième priorité est de développer de nouveaux business modèles, complémentaires, comme le content to commerce, une activité en forte croissance chez nous ; la mise en place de paywalls, que nous testons en ce moment pour 10% des articles les plus premium chez Capital ; l'accélération du brand content sur le social - Gala est devenue la troisième marque média sur TikTok au monde en nombre de followers, nous en avons plus de 6 millions. Enfin, notre cinquième priorité est de faire des acquisitions pour compléter ou accélérer notre développement organique. Cela pourra concerner des verticales existantes ou des secteurs que nous ne traitons pas encore. Nous analysons les cibles en France et à l'international.

Prisma Media pourrait avancer sur ces cinq priorités seul. En quoi le fait d'appartenir à Vivendi a influé sur ce nouveau plan stratégique ?

Notre actionnaire a clairement la volonté de dynamiser Prisma dans son évolution et cela même dans un contexte difficile et incertain. Cela passe par un soutien financier évidemment. Quand par exemple on lance un magazine digital et print tel que Harper's Bazaar, il faut un sacré courage et de l'audace, surtout que nous l'avons lancé à un moment où le prix du papier était au plus fort, en février dernier. Vous devez pour cela disposer d'un actionnaire solide qui croit en vous. Vivendi nous encourage aussi à nous développer en proposant à des tiers notre savoir-faire. C'est ce que notre régie fait en intégrant des partenaires externes, comme Libération, L'Express ou La Tribune, pour les aider à monétiser leurs espaces en programmatique. A noter par ailleurs que le groupe a défini un certain nombre de grandes priorités et tendances qui concernent toutes les filiales, à commencer par l'intelligence artificielle générative et le Web3. Une équipe d'innovation se consacre à ces sujets de manière centralisée. Ils organisent des hackathons et des learning expeditions pour évangéliser les filiales afin de chercher les cas d'application de ces nouvelles tendances technologiques. Cela est très précieux.

"Concernant l'IA générative, nous venons de lancer une innovation dans notre CMS pour l'optimisation des titres des articles"

Quelles sont les orientations en matière d'usage de l'IA générative ?

L'IA générative représente une rupture technologique qu'il nous faut tester à la fois avec précaution et enthousiasme. L'IA générative vient "augmenter" le journalisme, elle vient permettre à nos rédactions de travailler encore mieux, mais en aucun cas les remplacer. L'IA nous permet déjà d'attribuer des scores de performance aux articles afin que les journalistes puissent s'appuyer dessus pour définir les sujets à traiter. Concernant l'IA générative, nous venons de lancer une innovation dans notre CMS pour l'optimisation des titres des articles. Nous testons actuellement une technologie israélienne qui nous permet de créer un avatar du rédacteur en chef de Capital, Emmanuel Kessler. Son avatar pourra présenter ses articles sur capital.fr. A travers ces exemples, on voit bien que nous en faisons un usage très encadré. Nous sommes à ce stade dans une approche test & learn.

Vos recettes ont progressé de 11,4% en 2021, le numérique pesant pour 30%, et vous avez bouclé 2022 stables. Comment évaluez-vous ces résultats ?

Les années que nous traversons sont très atypiques mais si je compare nos recettes digitales actuelles avec les niveaux de 2019, elles sont en hausse de 10% à 12%, ce qui est extrêmement positif. Nous sommes toujours portés par la croissance de nos audiences digitales, ce qui est remarquable même après la fin de la crise sanitaire.

Deux de vos secteurs clés sont challengés : la presse magazine papier est en perte de vitesse (alors que le print assure la majorité de vos recettes) et la vidéo online premium se voit concurrencer par les nombreuses nouvelles offres en CTV. Comment y répondez-vous ?

Le print est un marché en baisse structurelle, il est vrai, mais Prisma vend toujours 140 millions de magazines par an. Notre part de marché est donc significative. Nous considérons que le print est un marché de l'offre : si vous lancez des concepts novateurs, vous pouvez contrecarrer cette tendance structurelle. Depuis que Dr. Good! est chez Prisma (juillet 2022, ndlr.), nos ventes print ont augmenté entre 15% et 20%. C'est cette même conviction qui nous a amenée à lancer Harper's Bazaar. Et nous n'avons pas encore dit notre dernier mot puisque d'ici l'été nous allons lancer deux nouveaux magazines print, un dans la presse jeunesse, l'autre dans le développement personnel. Nous nous adressons à des communautés dans le print : il suffit d'y aller avec la bonne offre.

"D'ici l'été nous lancerons deux nouveaux magazines print"

Concernant la concurrence des chaînes en CTV, nous répondons avec la puissance de notre offre. Depuis le début de l'année, nous cumulons 750 millions de vidéos vues via nos marques, c'est du jamais vu. Même si le marché est tendu, nous pouvons absorber du business parce qu'en volume notre place sur le marché est devenue encore plus importante. De plus, tout le monde sait que le prix de la VOL est plus abordable que celui de la CTV. Par ailleurs nous avons lancé il y a un an avec nos confrères de 366 et Media Figaro l'offre Vidéo Impact, une alliance vidéo qui a toutes les forces d'une grande plateforme vidéo américaine, que ce soit en termes de puissance, d'efficacité, d'attention et de précision publicitaire.