Les drones et taxis volants arrivent, le ciel européen se réforme
Supervision, livraison, transport… L'Union européenne prépare une réorganisation de sa sécurité aérienne pour accueillir toutes sortes d'aéronefs aux applications professionnelles.
Les avions n'auront bientôt plus le monopole du ciel. Ils devront cohabiter avec des nuées de modèles réduits : des drones aux applications commerciales dans la supervision, la livraison et même le transport de personnes, en plus de ceux des particuliers qui en ont une utilisation ludique. Les risques d'accidents pour les avions sont réels et plusieurs collisions entre ces derniers et des drones se sont déjà produites, notamment au Canada et au Mozambique l'année dernière. Ils seront multipliés par le déferlement d'engins utilisés par les entreprises. D'où la nécessité de réorganiser le ciel. C'est pourquoi les régulateurs planchent sur des réformes de leur sécurité aérienne dans de nombreux pays.
En France et en Europe, il est possible pour les entreprises de réaliser des expérimentations de services basés sur les drones, mais pas de procéder à des déploiements commerciaux pérennes. La Commission européenne a mandaté l'Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA) pour proposer une réforme. L'EASA a publié fin février son "opinion", qui servira de base à cette réorganisation, et devra ensuite être adoptée par le Parlement puis le Conseil européen. Son adoption est attendue avant la fin de l'année.
Autorisations ou privilèges
L'EASA a séparé les drones en deux catégories. La première concerne les engins de moins de 25 kilogrammes, qui pourront voler sans autorisation tant qu'ils sont contrôlés par des pilotes formés (la formation n'est pas nécessaire pour les appareils les plus légers) à moins de 120 mètres du sol et toujours à portée de vue. La seconde catégorie est celle qui devrait principalement intéresser les entreprises : elle concerne les drones pesant plus que 25 kilogrammes, qui voleront au-dessus des 120 mètres et seront susceptibles de disparaître du champ de vision de leur pilote.
"Pour ces drones, l'exploitant devra mener une analyse des risques encourus (risques de chute et de collision, dégâts potentiels au sol…), identifier les mesures par lesquelles il va les traiter et obtenir une autorisation des autorités du pays dans lequel il opère," détaille Yves Morier, conseiller principal auprès du directeur des certifications de l'EASA. Afin de simplifier les démarches des entreprises, l'EASA a élaboré des scénarios standards pour lesquels l'agence a déjà réalisé des analyses de risques. Si un exploitant respecte le scénario, il n'a pas besoin d'effectuer une nouvelle analyse de risques et obtiendra plus facilement une autorisation.
Autre manière d'alléger les procédures : mettre en place sa propre gestion de la sécurité aérienne. Une option qui peut séduire les acteurs avec des moyens conséquents et qui opèrent sur de grandes surfaces. "En échange, nous leurs donnons des privilèges, comme la possibilité de se passer d'autorisations à chaque nouvelle application", ajoute Yves Morier.
Les taxis volants oubliés ?
Mais une toute jeune industrie s'inquiète de ne pas être prise en compte par la réforme : celle des aéronefs à décollage et atterrissage verticaux, plus communément appelés VTOL ou "taxis volants" en raison de leur future utilisation pour transporter des passagers, sans pilote. Des appareils encore en phase de recherche et développement. "On ne peut pas nous oublier et rater le virage des VTOL", martèle Olivier Le Lann, PDG d'EVA, une start-up française qui développe son modèle de VTOL. Eva mais aussi d'autres sociétés qui travaillent sur ce type d'appareils, comme Volocopter, Lilium ou Airbus, participent à des ateliers spécifiques avec le régulateur européen afin de le sensibiliser à leurs technologies et le tenir au courant de leurs évolutions rapides. Pour Olivier Le Lann, il s'agit aussi d'un enjeu de compétitivité. "Si la FAA, le régulateur de l'aviation aux Etats-Unis, va plus vite et favorise l'écosystème américain, les start-up européennes seront désavantagées par rapport aux jeunes pousses américaines qui disposent déjà de fonds supérieurs."
"Il faudrait déjà préparer les produits", tempère-t-on du côté de l'EASA. "Nous sommes au courant de ces projets et avons reçu deux demandes de certification de la part de constructeurs", indique Yves Morier ,avant de confirmer les craintes de l'industrie sur l'intégration des VTOL à la réforme. "Il s'agit de machines qui seront relativement autonomes et vont décoller à la verticale. Cela implique de modifier les réglementations des avions traditionnels. Nous ne serons sans doute pas capables de le faire dans les délais voulus par l'industrie", reconnaît-il.
"Nous allons démarrer par un système intérimaire de dérogations pour les VTOL, le temps que nous préparions les réglementations"
Yves Morier se veut cependant rassurant sur la capacité des constructeurs et exploitants à expérimenter puis commercialiser leurs services VTOL dans l'UE. "Nous allons démarrer par un système intérimaire de dérogations, le temps que nous préparions les réglementations. Nous commencerons par des tests mais nous pourrons aussi autoriser de l'exploitation commerciale." Selon lui, ce système dérogatoire a déjà été utilisé par le passé, par exemple lorsque le transport aérien public par avion monomoteur était interdit au niveau de l'UE (jusqu'en mars 2017), mais en pratique autorisé par plusieurs pays dont la France.
Sur ce sujet là non plus, la France n'a pas attendu l'Union européenne. L'équivalent de l'EASA au niveau national, la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), mène des consultations avec le secteur sur l'intégration des drones à l'espace aérien via le Conseil pour les drones civils, une instance créée en 2015. Et le cadre hexagonal permet pour l'instant de réaliser des expérimentations, assure Olivier Le Lann. "Nous allons effectuer des tests de nos appareils à échelle réelle l'an prochain en France. Nous avons un accord écrit de la métropole de Toulouse et Issy-les-Moulineaux a exprimé son intérêt." L'entrepreneur espère également que l'EASA et la DGAC lui accorderont rapidement des dérogations pour des applications autres que le transport, en particulier de sécurité, qui lui permettront de commencer des tests au début de l'année prochaine. "Il faut qu'ils comprennent que nous ne ferons pas que du taxi. En bord de mer, notre engin peut par exemple remplir des missions de surveillance et de sauvetage. Cela peut sauver des vies."
Vers un contrôle aérien automatisé
Quelle que soit la réforme à laquelle seront intégrés les VTOL, ils poseront, comme les autres drones automatisés, un certain nombre de défis techniques. D'abord, le contrôle aérien actuel est basé sur des interactions entre humains : les contrôleurs aériens et les pilotes. Un schéma impossible à reproduire avec des appareils autonomes.
L'EASA prépare donc U-Sky, un contrôle aérien automatisé auquel seraient reliés tous les drones et VTOL et qui gérerait les aspects conflictuels du trafic (attribution des créneaux de vol, autorisation de décoller et d'atterrir…) avec l'aide d'une intelligence artificielle. "Nous imaginons que ces systèmes vont se développer pour le trafic aérien de bas niveau dans des zones avec une forte densité de trafic, pas dans les campagnes françaises", explique Yves Morier. Autre enjeu technique : faire parler aux bases de données une même langue. Car chaque autorité nationale sera chargée d'autoriser des vols de drones dans tout le reste de l'UE pour les entreprises établies dans son pays. Mais les autorités du pays de survol devront être capables de consulter l'identification électronique du drone afin de s'assurer qu'il est bien autorisé à voler.
Les drones et VTOL autonomes auront besoin d'une cartographie précise, en trois dimensions et temps réel du ciel
Enfin, les drones et VTOL autonomes auront besoin d'une cartographie précise, en trois dimensions et temps réel du ciel. Elle permettra aux appareils automatisés qui y seront connectés d'être avertis des obstacles potentiels sur leur route (les autres engins), de respecter les couloirs aériens dans lesquels ils doivent se trouver et les nombreuses zones interdites de survol. "Les drones autonomes qui évolueront dans un milieu aérien inférieur à 300 mètres auront besoin de données sur ce qu'il se passe au sol", ajoute Julien Slijan, directeur innovation produit chez Here, une société possédée par un consortium de constructeurs allemands dont la cartographie est très utilisée dans l'automobile (notamment les véhicules autonomes) et qui se positionne sur la cartographie aérienne.
Here s'est allié au belge Unifly qui développe des systèmes de gestion du trafic aérien autonome. "Nous créons la cartographie sur la base du Reality Index, notre plateforme de cartographie en 3D qui mélange nos données de localisation et celles de nos clients," poursuit Julien Slijan. "Ensuite, Unifly numérise les règles des vol. Par exemple, si les drones n'ont pas le droit de voler au-dessus des écoles, le logiciel va les empêcher de passer au-dessus et leur faire emprunter un autre trajet." La réforme du ciel n'est pas seulement une opportunité de business pour les fabricants de drones.