Frédéric Mazzella (BlaBlaCar) "Les utilisateurs actifs de BlaBlaLines ont été multipliés par dix en un an"

Le président de BlaBlaCar revient sur le développement de l'offre courte distance de la start-up de covoiturage, dopée en 2018 par les grèves SNCF et les subventions franciliennes.

JDN. L'appli BlaBlaLines, version courte distance de BlaBlaCar, a été déployée dans toute la France en 2018 à l'occasion des grèves SNCF. Quel bilan tirez-vous de l'année écoulée ?

Frédéric Mazzella est président et co-fondateur de BlaBlaCar © BlaBlaCar

Frédéric Mazzella. Nous sommes aujourd'hui à  450 000 inscrits. Nous ne donnons pas encore notre total d'utilisateurs actifs, mais en termes d'usage, le nombre de personnes qui se déplacent chaque jour a été multiplié par dix entre janvier 2018 et aujourd'hui, et par 2,5 depuis septembre. Evidemment, il s'agit encore de petits volumes, en milliers de trajets quotidiens, alors que BlaBlaCar est à plus de 100 000 voyageurs par jour dans le monde. En revanche, l'usage est bien plus fréquent : nos utilisateurs actifs font en moyenne 3,5 trajets par semaine, contre entre trois et dix voyages par an sur BlaBlaCar.

Vous ne prélevez pour l'instant aucune commission et subventionnez les prix, quel est votre plan pour monétiser ce service et à partir de quand ?

C'est une question difficile car le sujet du covoiturage courte distance fait l'objet de beaucoup d'attention. Des acteurs comme les régions (dont certaines subventionnent les trajets, ndlr) et le ministère des Transports s'intéressent à cette solution et voudraient la pousser davantage. Ces acteurs ont un levier financier sur l'activité. Notre environnement de développement dépend des envies de ces acteurs, car lorsque l'un deux décide de subventionner, il influence fortement le modèle économique. Nous construisons donc notre plateforme  en étant souples sur le modèle économique, puisque nous ne savons pas ce qu'il deviendra et ne pouvons pas le changer au gré des décisions de ces acteurs.

Vous aimeriez donc qu'une subvention nationale et pérenne soit arrêtée ?

BlaBlaLines est utilisé parce que les passagers ne paient pas : nous subventionnons les trajets au niveau national. Evidemment, cela nous coûte, mais nous pouvons nous le permettre parce que nous avons BlaBlaCar à côté. Nos concurrents, qui subventionnent aussi, prennent l'argent sur leurs levées de fonds.

Cela fait quinze ans que je réfléchis au covoiturage courte distance, mais jusqu'ici, l'équilibre économique n'était pas là. Car la voiture est un moyen de transport fortement taxé, tandis que les déplacements du quotidien en transports publics sont très subventionnés. J'ai vu pour la première fois une solution qui marche avec les subventions mises en place par la région Ile-de-France (entre septembre 2017 et octobre 2018,ndlr). Avant cela, personne n'avait réussi à faire décoller les usages. Nous avons eu une grande réunion avec tous les acteurs du covoiturage courte distance au ministère des Transports en décembre. J'espère qu'elle aboutira sur quelque chose de concret et massif.

Etes-vous plutôt favorable à un financement indiscriminé de tous les acteurs ou à des appels d'offre locaux ?

"Le modèle dans lequel on choisit un gagnant et ne subventionne pas les autres est une recette pour l'échec"

Le modèle dans lequel on choisit un gagnant et ne subventionne pas les autres est une recette pour l'échec. C'est anti plateforme et anti covoiturage. Le covoiturage n'est pas un réseau  comme le bus, le train ou le tramway. La condition sine qua non pour que cela fonctionne est d'avoir une solution puissante, optimisée et rapide. On tombe dans le domaine de la plateforme technologique. Or les plateformes qui fonctionnent le mieux sont les plus distribuées. Tout ce qui consiste à subdiviser l'offre localement va totalement contre la logique d'une plateforme, qui doit être massivement présente partout où c'est possible sans limites géographiques. J'ai discuté avec des départements qui ne voulaient pas subventionner des trajets allant vers une grande ville du département voisin. On ne peut pas limiter les déplacements des utilisateurs. Je préfère le modèle de l'expérimentation francilienne, avec une plateforme qui donne accès à tous les services de covoiturage existants (ViaNavigo, l'appli de calcul d'itinéraire d'Ile-de-France Mobilités, Ndlr).

Ce marché du covoiturage courte distance vous parait-il tenable avec autant d'acteurs ? Pourriez-vous réaliser des acquisitions pour le concentrer ?

La réponse se trouve dans l'historique de n'importe quelle industrie. Evidemment que des concentrations vont avoir lieu. Les acteurs en perte de vitesse s'allieront à ceux qui s'en sortent mieux. Nous n'avons aucun projet d'acquisition.

BlaBlaLines ne dispose d'aucune offre B2B. Pensez-vous pouvoir faire l'impasse sur les entreprises, alors qu'elles ont permis à vos concurrents Karos et Klaxit d'atteindre une masse critique ?

"Nous, comme les autres, avons encore beaucoup de travail à faire sur le produit"

Le B2B est intéressant pour recruter des utilisateurs mais les solutions spécialisées par entreprise ralentissent la plateforme dans son innovation. Nous, comme les autres, avons encore beaucoup de travail à faire sur le produit. Faire avancer cette feuille de route n'est pas toujours compatible avec des clients qui ont des demandes spécifiques. J'ai vu trop d'entreprises s'octroyer le droit d'influencer des produits parce qu'elles le payaient.

Depuis son investissement dans BlaBlaCar, la SNCF propose sur oui.sncf les covoiturages longue distance de BlaBlaCar, mais pas ceux de BlaBlaLines. Comment allez-vous collaborer sur les courtes distances ?

Les discussions sont encore en cours et rien n'a été arrêté.