Eric Carreel (Zoov) "Nous lançons 500 vélos électriques partagés à Bordeaux"

Le co-fondateur de Withings présente au JDN son business de vélos électriques Zoov, à mi-chemin entre le free-floating et les Vélib'. Son déploiement commercial démarre le 16 septembre.

JDN. Après Withings, Sculpteo et Invoxia, vous vous êtes lancé dans un nouveau business aussi complexe que difficile à rentabiliser, les vélos électriques partagés. Présentez-nous votre service Zoov et ses spécificités.

Eric Carreel est le co-fondateur de Zoov. © Zoov

Eric Carreel. Contrairement à la plupart des autres services, Zoov n'est pas un système de centre-ville, mais d'agglomération. Car ce n'est pas en ajoutant des options de transport en centre-ville que l'on permettra une véritable transition pour réduire l'usage de la voiture. Il faut s'occuper des gens qui travaillent et vivent dans des banlieues lointaines. Nos vélos peuvent être récupérés et déposés soit en mode free-floating, soit via des stations peu volumineuses et beaucoup plus simples à installer qu'un dispositif à la Vélib'. Nous devons pour l'instant retirer les batteries de chaque vélo pour les recharger. Mais à terme, ces stations seront électrifiées. Nous aurons donc seulement besoin de recharger les batteries des vélos en free-floating.

Le problème est qu'il n'est pas rentable de remplacer des batteries dans des zones peu denses éloignées et reculées, d'autant qu'elles sont fortement mises à contribution à cause des distances plus longues parcourues par les utilisateurs. Nous avons donc construit un double système d'alimentation : des batteries communautaires que nous rechargeons nous-mêmes, et des batteries personnelles de la taille d'une canette de soda avec une autonomie de 15 kilomètres, qui se rechargent en USB-C. Nous proposerons prochainement à nos utilisateurs de les acheter et envisageons aussi de les fournir gratuitement aux abonnés. Nous avons passé deux ans à développer en interne une grande partie du service : conception mécanique des vélos, cartes électroniques, logiciel pour vélos, appli, back-end…

Quel modèle économique envisagez-vous ?

Notre approche passe par les entreprises. Il est difficile d'aller dans des zones moins denses, car elles sont moins rapidement rentables. Nous allons donc voir les entreprises pour les aider dans la mise en place de leurs plans vélo. Nous leur proposons d'installer et de gérer une station Zoov (qui peut accueillir entre 6 et 15 vélos) devant leurs locaux pour 5 000 euros par an. Les utilisateurs paient 1 euro au déverrouillage du vélo  puis 15 centimes la minute. Nous préparons aussi un modèle d'abonnement, dont les tarifs n'ont pas encore été arrêtés.

Où en êtes-vous dans le déploiement de votre service ?

"Nous étudions une première implantation hors de France, dans une ville européenne"

Après avoir testé une première version pilote avec une cinquantaine de vélos sur le plateau de Saclay (un important pôle de compétitivité francilien, ndlr), nous nous lançons ce 16 septembre dans la métropole bordelaise (Pessac, Mérignac, Bordeaux) avec de premiers clients comme les groupes Enedis, Pichet et Recupharm, ainsi qu'un CHU et un centre hospitalier. Nous y mettrons 500 vélos d'ici la fin de l'année. Nous avons également décidé de déployer 500 appareils à Saclay, qui devait uniquement servir de zone pilote, mais où nous avons décidé de rester car l'accueil a été très bon. Nous étudions aussi une première implantation hors de France, dans une ville européenne. Les cibles prioritaires sont plutôt les villes de second rang que les grandes capitales dans lesquelles tout l'écosystème mondial des mobilités vient se battre.

Pourrez-vous faire l'impasse sur les volumes massifs apportés par les centres-villes pour devenir rentable ?

Pour fournir un bon service, il faut être en centre-ville. Mais nous pensons qu'il faut commencer par créer des bulles périphériques avant de s'attaquer au centre. D'ailleurs, les banlieues de l'agglomération de Bordeaux sont proches du centre et nos utilisateurs pourront s'y rendre avec nos vélos. Dans ces zones denses, nous n'aurons pas besoin de l'aide  financière des entreprises pour installer nos stations, car elles généreront assez de volumes pour être rentables. En revanche, il nous faudra collaborer avec les villes pour nous assurer des places de stationnement.

Votre fonctionnement, à mi-chemin entre free-floating et stations type Vélib, ne vous force-t-il pas à subir les coûts de ces deux modèles à la fois ?

"Dans les vélos électriques, le nombre de sociétés qui font le travail sérieusement est limité"

Les coûts des changements de batteries provoqués par le free-floating sont proportionnels au nombre de batteries à changer. Si vous diminuez le nombre de vélos free-floating à déplacer et dont il faut changer les batteries, vous diminuez ces coûts. Mais le free-floating est pratique, notamment lors des lancements dans de nouvelles villes. Au début, nous n'électrifions pas nos stations, mais le faisons plutôt une fois que nous observons une demande importante. Cela évite d'engager de trop gros investissements dans un endroit au succès incertain. C'est aussi une manière de faire décroître les coûts d'exploitation là où ils sont les plus importants. Rien à avoir avec le bazar total du free floating qui met des vélos partout sans se soucier de l'usage, ni avec celui des vélos municipaux, qui nécessitent d'investir des dizaines de millions d'euros sur plusieurs années.

Lorsque vous avez lancé Zoov en 2017, vous aviez le champ libre. Depuis, Uber s'est taillé une place sur le marché parisien des vélos électriques en free-floating avec sa filiale Jump, et plusieurs start-up de trottinettes préparent une diversification vers les vélos. Les affaires vont-elles devenir plus difficiles que vous ne l'aviez anticipé ?

Ce n'est pas ce que nous ressentons, car le nombre de sociétés qui font le travail sérieusement est limité. Qui maîtrise son hardware et a la capacité de le modifier comme il l'entend, afin d'entrer dans le tryptique produit-service-données qui permet d'améliorer constamment le service ? Je ne connais que nous et Jump.

Pour son premier tour de table, Zoov a levé 6 millions d'euros début 2019. N'était-ce pas un peu élevé pour un service pas encore lancé et sans clients ?

Les fondateurs ont contribué deux millions sur fonds propres à la création de l'entreprise. Cette levée de fonds était la suite logique. Je ne crois pas que ce soit trop car nous avons l'ambition de devenir un acteur européen majeur. Nous avons dépensé beaucoup de cash dans notre R&D et la production des vélos. Nous avons aussi recruté 30 employés. Pour une entreprise qui fait 0 euro de chiffre d'affaires, c'est déjà pas mal !

Eric Carreel est un entrepreneur français qui a co-fondé plusieurs entreprises orientées hardware : Withings (objets connectés, vendue 171 millions d'euros à Nokia en 2016, puis rachetée à Nokia deux ans plus tard), Sculpteo (impression 3D) et Invoxia (traçeurs GPS).