Mobilités : les acteurs se concentrent mais l'offre reste illisible

Mobilités : les acteurs se concentrent mais l'offre reste illisible Alors que le nombre d'acteurs commence à se réduire par le jeu des faillites et rachats, le secteur peine toujours à s'organiser pour construire une offre multimodale cohérente.

Progressivement, la jungle des mobilités, où des dizaines de start-ups s'affrontent  à grands coups de marketing et de prix subventionnés, est en train de se muer en un propret jardin bien taillé. Les différents marchés du secteur commencent à se concentrer, à la faveur des fusions, rachats et faillites, tandis que de premières poches de rentabilité émergent.

La plus emblématique illustration de ce mouvement en France vient de l'autopartage, avec le rachat du français Drivy, leader en Europe, par son homologue américain Getaround pour créer le numéro 1 mondial de l'autopartage. Une concentration déjà amorcée par la disparition sur le marché français fin 2018 de son concurrent Koolicar (ressuscité mais sans la base client de Koolicar). Et le capital de Ouicar, numéro deux français appartenant à la SNCF, est en cours d'ouverture à de nouveaux investisseurs, qui pourraient prendre une part majoritaire ou minoritaire. "Il sera intéressant de voir comment va réagir le numéro 2 américain Turo au rachat de Drivy par Getaround. Ils seront peut-être tentés d'acquérir Ouicar", estime un bon connaisseur du secteur.

"Plusieurs petites plateformes VTC sont en mauvaise posture et vont faire faillite"

Chez les VTC, de premiers mouvements de concentration sont aussi à l'œuvre. Deux petits VTC à forte coloration B2B, Le Cab et Snapcar, se sont alliés, avec le rachat du premier par le second. De quoi créer le leader du VTC d'affaires, affirment-t-ils. Encore très fragmenté, avec sept plateformes rien qu'à Paris, le secteur devrait connaître davantage d'opérations de concentration, qui lui permettront de réduire progressivement ses colossales dépenses en marketing et incitations à destination des chauffeurs, pas assez nombreux aux heures de pointe pour satisfaire toute la demande francilienne. "Plusieurs petites plateformes sont en mauvaise posture et vont faire faillite", parie le dirigeant d'un des leaders.

La consolidation touche également le covoiturage courte distance. En juillet, Klaxit a annoncé le rachat à la SNCF de son concurrent IDVroom. Deux jours plus tard, Ecov s'emparait de OuiHop'. Plus jeune, le secteur des trottinettes en libre-service s'est déjà concentré avec le départ de plusieurs acteurs du marché parisien en juin et y sera davantage forcé par le législateur. La loi mobilité, en discussion au parlement, permettra aux collectivités de refuser totalement ce mode de transport sur leur territoire, où d'organiser des appels d'offres qui ne retiendront que quelques acteurs et limiteront le nombre d'engins disponibles. Les grands groupes ne sont pas épargnés par ce mouvement : Daimler et BMW ont amorcé en 2019 la fusion de leurs services de mobilités (autopartage, VTC, taxi, recharge électrique, stationnement), assortie d'un investissement d'un milliard d'euros.

Daimler et BMW ont amorcé la fusion de leurs services de mobilités et investi un milliard d'euros.

"Un certain nombre de paris sur des nouveaux usages réalisés il y a cinq ou six ans sont en train de se matérialiser aujourd'hui", constate Gilles Schang, directeur adjoint du fonds d'investissement Ecotech de Bpifrance, qui a notamment investi dans Vulog, Cityscoot et Drivy. "La fusion des activités de Daimler et BMW, tout comme le lancement de nombreux business d'autopartage par PSA et Volkswagen en Europe, montrent bien que la phase de questionnement sur l'usage et la réalité des business model est terminée," poursuit-il.  

Si les différentes verticales de mobilités commencent à se concentrer, l'offre de services globale n'en demeure pas moins fragmentée. Autopartage, covoiturage, VTC, vélos, scooters, trottinettes, sans oublier les transports en commun… Pas si simple pour l'utilisateur de jongler entre tous ces services à travers différentes applis. D'autant qu'il aurait intérêt à les combiner pour gagner du temps ou de l'argent sur certains trajets. Un constat partagé par tout le secteur. Son graal : le MaaS (pour Mobility as a service), une seule appli qui permettrait d'agréger, réserver et payer tous les services de transport d'une ville. Mais passées les prophéties enthousiastes des marketers et consultants, cette vision peine à se matérialiser aujourd'hui.

Offre illisible

D'abord parce que les stratégies des différents acteurs du secteur sont contradictoires. Toute la question du MaaS revient à savoir qui agrégera et qui se fera agréger. Pour les grands groupes la réponse est toute trouvée : forts de leurs volumes d'utilisateurs massifs, ils sont les agrégateurs naturels. Mais leur vision est plutôt centrée sur un petit nombre de leurs propres services et ceux de quelques entreprises partenaires. Ainsi, Uber propose dans son appli ses VTC, aux côté des trottinettes et vélos de sa filiale Jump, et commence à intégrer les transports en commun. L'agrégateur de mobilités de la SNCF, lancé en juin, offre une plus grande variété de services, mais dont la plupart des opérateurs sont des sociétés dans lesquelles elle a investi (OuiCar, OnePark, BlablaCar…).

D'autres agrégateurs, proposés par des sociétés spécialisées, sont plus agnostiques et tentent de rassembler les concurrents. On peut par exemple citer Bebop et Eurecab, centrés sur les VTC, ou Yuwway, qui tend à agréger les transports en commun ainsi qu'un large bouquet de services de mobilités. Mais ces plateformes, dont le business model est basé sur des commissions sur les trajets réalisés, ont le plus grand mal à convaincre les gros acteurs de les rejoindre. Pourquoi un Uber irait-il partager ses marges déjà faibles avec une entreprise qui lui apporte peu de volumes en échange ? "Il est vrai qu'il est plus facile de convaincre les petits acteurs que les gros", confirme Jamel Ghechoua, cofondateur de Yuwway.

Le plus gros frein au développement du MaaS demeure le paiement

Entre ces deux visions du MaaS, les collectivités ne veulent pas se laisser dépasser et commencent à proposer leurs propres solutions. Avec des applis développées en marque blanche par des sociétés comme Cityway, filiale de l'opérateur de transport Transdev. Son projet phare : le compte mobilité de Mulhouse, qui agrège en une seule appli transports en commun, autopartage, vélos et stationnement privé. "L'avantage de ce modèle est que nous ne prélevons aucune commission, nous sommes rémunérés en contrat de service par la ville. Ce qui facilite les discussions avec les partenaires", estime Laurent Briant, directeur général de Cityway.

Quel que soit le modèle choisi, tous ces acteurs font face à des problématiques similaires qui entravent la démocratisation du MaaS. Le plus gros frein aujourd'hui demeure le paiement. Une étape cruciale car celui qui l'encaisse obtiendra toutes les données de relation client. "Si vous développez un accès en un clic à la réservation et au paiement de votre service dans une autre application, vous risquez de perdre votre client," résume Tony Douglas, responsable stratégie et ventes des services de mobilités de BMW.

Overdose de Maas

En pratique, si de nombreuses applications, comme Google Maps, Citymapper et ViaNavigo, agrègent des services de mobilités, les intégrations jusqu'au paiement sont très rares. L'utilisateur doit la plupart du temps retourner sur l'appli du service en question pour finaliser sa commande. L'assistant mobilités de la SNCF est l'un des rares à l'avoir fait sur la plupart des services intégrés. Mais en échange, il offre à l'entreprise partenaire l'exclusivité. En l'absence de concurrence, les choix de services et de prix pour l'utilisateur s'en trouvent forcément dégradés.

Autre frein majeur au développement du MaaS, l'expérience utilisateur. "Les applis de mobilités ont une richesse fonctionnelle qui peut être difficile à reproduire," rappelle Laurent Briant. Par exemple l'état des lieux numérique d'un service d'autopartage ou le chat d'une appli de covoiturage. Et même lorsque tous ces services proviennent de la même entreprise, gare à ne pas surcharger son appli jusqu'à la rendre illisible. Daimler et BMW, qui possèdent un large portefeuille de services qui leur permettrait de construire un MaaS de qualité, ne s'y sont pas trompés. Pour l'instant, les passerelles entre les différentes verticales sont limitées. "Les applications ont tendance à faire seulement une ou deux choses très bien. Il faut que ces intégrations aient du sens du point de vue de l'expérience utilisateur", confirme Tony Douglas chez BMW.

Une dernière menace plane sur le MaaS, celle de de la fragmentation. Entre les agrégateurs des grands groupes, des applis spécialisées et des villes, la saturation guette. Il pourrait y avoir demain autant d'agrégateurs que de services de mobilités aujourd'hui. Qui agrègera les agrégateurs ?

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