Markus Villig (Bolt) "Bolt a réorienté ses investissements VTC vers la livraison de repas"
Nouvel épisode de notre série d'interviews de dirigeants face à la crise. Le PDG de la start-up estonienne, présente dans 35 pays, a pu se reposer sur une structure de coûts faibles et se diversifier pour gérer l'effondrement de son cœur de métier, le VTC.
JDN. Quel est l'impact du coronavirus sur votre business ?

Markus Villig. Le VTC, notre business principal, est en baisse de 70 à 90% selon les pays. Cependant, nous avons toujours eu des opérations efficientes en termes de coûts, avec des équipes aussi réduites que possible sur chaque marché. Nos coûts fixes sont bas, je pense donc que nous sommes bien positionnés pour affronter cette crise. Contrairement à des entreprises comme Kapten ou Bird, qui ont dû licencier, nous ne prévoyons pas de supprimer des postes parmi nos 1 500 employés (dont 20 en France, ndlr). Nous avons cependant réduit les temps de travail et les salaires de 20 à 50 % selon les services. En France, les deux-tiers de l'équipe sont en chômage partiel.
Bien que très peu utilisés, vos VTC sont toujours disponibles dans les pays qui l'autorisent. Comment avez-vous adapté votre offre pour respecter les consignes sanitaires ?
Nous avons créé une nouvelle catégorie de courses, Protect, au même prix que nos courses standard. Les véhicules de cette catégorie disposent d'une vitre en plastique entre le chauffeur et le client, qui ne peut plus monter à l'avant. Seules deux personnes peuvent se trouver derrière, en laissant le siège du milieu vide. Cette option disparaîtra une fois que nous aurons généralisé ces précautions à tous nos chauffeurs.
Avez-vous tenté de réorienter votre business ou de vous diversifier pour compenser votre perte de chiffre d'affaires ?
Contrairement au VTC, Bolt Food, notre business de livraison de nourriture et de courses, est stable. Nous avons donc réorienté nos investissements et notre organisation pour nous concentrer sur la livraison. Nous sommes beaucoup plus agressifs sur ce segment qu'avant. Ce service était disponible dans quatre pays au début de l'année. Nous en sommes à 10 aujourd'hui et continuons d'ouvrir fréquemment de nouveaux marchés. La France n'en fait pas encore partie. Nous avons aussi lancé un nouveau service début avril, la livraison pour le compte de sites e-commerce, dans cinq pays. Nous étudions son lancement en France.
La période est très difficile pour les chauffeurs VTC car en tant qu'indépendants, ils n'ont pas droit au chômage. Avez-vous peur de faillites qui réduiraient votre offre de courses à la sortie du confinement ? Prévoyez-vous de les aider ?
"Nous avons lancé un nouveau service début avril, la livraison pour le compte de sites e-commerce, dans cinq pays"
C'est un vrai risque. Le nombre de chauffeurs sur la plateforme a baissé de 60%, car il n'y a pas assez de courses. Certains ont pu partir chercher du travail ailleurs. Mais dans le même temps, nous nous attendons après la fin des mesures de confinement à recruter de nouveaux chauffeurs en difficultés financières à cause de la crise, et qui chercheront de nouvelles sources de revenus. Il est pour l'instant difficile de dire si l'impact sera neutre, positif, ou négatif.
Pour ce qui est de l'aide aux chauffeurs, nous avons lancé notre catégorie Protect, et nous leurs proposons de basculer vers nos services de livraison. Mais il est vrai que ces activités sont moins rémunératrices que le VTC. Ils auront du mal à gagner autant qu'avant.
Avez-vous amendé vos objectifs 2020 ?
Difficile de faire la moindre estimation pour l'instant. Avant la crise, nous nous attendions à ce que notre activité VTC passe à l'équilibre cette année. Nous espérons une forte reprise cet été, dans les pays qui mettront fin aux mesures de confinement. Nous l'avons déjà constaté en République tchèque : après un assouplissement des règles, nos courses ont augmenté de 40 à 50% durant les premiers jours. Mais nous ne sommes pas certains que cela se confirmera à long terme car deux tendances s'opposent. D'un côté, les gens vont éviter les transports en commun, ce qui pourrait nous être favorable, mais de l'autre, avec la crise économique, ils auront moins d'argent à dépenser.
Vos dernières levées de fonds, 67 millions d'euros en juillet 2019 et 50 millions d'euros (en dette) début janvier, suffiront-elles à traverser cette crise ?
Nous avons assez pour tenir et sommes dans une bonne position pour lever davantage de fonds en 2020 - même si le marché du capital-risque est temporairement bloqué - car nous aurons démontré que nous sommes capables d'affronter des temps difficiles grâce à notre structure légère qui brûle beaucoup moins de cash que celle d'Uber, par exemple.
Est-ce une bonne période pour racheter un concurrent en difficultés ?
Absolument, cela arrive pendant les périodes difficiles. Nous nous pencherons là-dessus durant les prochains mois.
Markus Villig est le PDG de Bolt (ex-Taxfiy), entreprise qu'il a fondée à 19 ans en Estonie en 2013, après une licence d'informatique.
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