Steve Salom (Uber) "Uber lancera un système de détection de port du masque"
Le JDN poursuit sa série d'interviews de dirigeants face au coronavirus. Licenciements en France, reprise timide de l'activité, mesures sanitaires... Le DG d'Uber France fait le point sur la situation du VTC.
JDN. L'activité d'Uber s'est effondrée depuis le confinement. La situation s'améliore-telle depuis le déconfinement du 11 mai ?
Steve Salom. Nous voyons des signaux que nous jugeons très positifs. Dans des villes déconfinées depuis plus longtemps, comme Hong Kong, nous sommes à 70% de notre activité pré-covid. Il est encore un peu tôt pour le dire en France, mais nous avons réalisé plusieurs études auprès de nos utilisateurs qui nous montrent qu'ils sont prêts à reprendre des VTC, notamment pour les trajets-domicile travail. Je n'ai pas encore de chiffres, mais nous constatons une reprise d'activité en France. Nous avons eu un pic de demande le soir du 11 mai, avec de nombreuses visites familiales. Les heures de pointes sont aussi des moments privilégiés. Mais cette activité est évidemment en deçà de ce que nous constations avant la pandémie, puisque tous les usages liés aux aéroports, aux bars et aux restaurants ont disparu.
Quelles mesures avez-vous mises en place pour éviter la propagation du virus et continuer à opérer ?
Nous avons mis en place une compensation financière équivalente à 14 jours de revenus dans le monde et 22 jours en France pour les chauffeurs touchés par le coronavirus. Nous avons également lancé Uber Medic, une catégorie de courses avec des tarifs réduits de 25% pour les personnels soignants en ne prélevant aucune commission sur les trajets. Pour les personnels des Ehpad, nous avons entièrement offert les courses. Des dizaines de milliers de trajets ont été réalisés via Uber Medic. Uber a également mis 50 millions de dollars sur la table à l'échelle mondiale pour aider les chauffeurs à se protéger. En France, 350 000 masques sont en cours de distribution sur rendez-vous dans nos espaces d'accueil et 15 000 boîtes de lingettes désinfectantes sont offertes dans toute la France à travers le réseau de stations-service Total. Nous remboursons aussi 25 euros par mois de matériel de protection et 50 euros pour la pose d'une paroi de protection en plastique entre le chauffeur et le client, que la loi oblige désormais à monter à l'arrière.
"Nous avons eu un pic de demande le soir du 11 mai, avec de nombreuses visites familiales. Les heures de pointes sont aussi des moments privilégiés"
Pour les chauffeurs qui ne disposeraient pas de cette protection en plastique, la loi requiert le port d'un masque. Afin de vérifier qu'ils se plient à la réglementation, nous lancerons le 18 mai un système de détection de port du masque dans l'application chauffeur. A chaque lancement de l'appli, ils devront se prendre en photo et le système devra confirmer qu'ils portent bien un masque avant qu'ils puissent accepter des courses. Les clients aussi doivent porter un masque en l'absence de protection, nous permettrons donc aux chauffeurs de nous signaler si un utilisateur n'en porte pas, et inversement. Si nous recevions plusieurs rapports en ce sens, nous pourrions prendre des décisions plus ou moins définitives envers les clients.
Comment voyez-vous le marché des VTC évoluer prochainement, entre la peur et la saturation des transports en commun qui jouent en votre faveur, et la disparition des voyages vers les aéroports et des loisirs le weekend qui vous affaiblissent ?
C'est très difficile à évaluer. La reprise sera non-linéaire, en fonction des réglementations, des marchés, du niveau auquel se situe la courbe des infections, du moment auquel chaque pays a été touché... Nous ne savons pas encore si les chiffres seront partout aussi encourageants qu'à Hong Kong, mais nous devons opérer dans le monde dans lequel nous vivons. Mon intuition est qu'Uber for Business, notre offre pour les entreprises, sera l'un des éléments forts de la reprise et que sa part dans notre chiffre d'affaires va progresser. Avant la crise, 6 000 entreprises utilisaient Uber for Business chaque semaine (contre 2 000 fin 2018, ndlr). Par ailleurs, nous avons diversifié notre activité. Nous sommes aussi actifs dans la livraison de repas, et Uber Eats se porte plutôt bien.
Vous avez mis en pause votre fonctionnalité de trajets partagés Uber Pool à cause du coronavirus. Quel manque à gagner cela représente-t-il ? Quand pensez-vous pouvoir redémarrer ?
"Les licenciements toucheront la France"
Uber Pool a représenté jusqu'à 30% de nos courses en Ile-de-France. Mais nous avions initié il y a un an et demi un changement de son fonctionnement, qui faisait davantage marcher les utilisateurs pour optimiser le temps des chauffeurs, ce qui a provoqué une forte décrue de l'utilisation. Uber Pool ne représentait plus que 12 à 15% de nos trajets avant la crise. Aujourd'hui, la loi nous interdit de proposer Uber Pool. Mais cette fonctionnalité reviendra, nous continuons d'investir dedans, avec des équipes entières dédiées à ce produit et aux manières de l'optimiser.
Uber a annoncé le 7 mai le licenciement de 3 500 personnes, soit 14% de ses salariés. Des postes sont-ils concernés en France ?
Les licenciements toucheront les 46 pays dans lesquels nous opérons, dont la France. A ce jour, le nombre précis de salariés concernés en France n'est pas finalisé. Notre activité VTC est durement touchée par la crise, ce qui nous force à adapter notre structure de coûts. Cela montre que notre entreprise, si agile puisse-t-elle être, doit solidifier son bilan car la situation dans le monde a changé.
Votre stratégie d'expansion à des villes de plus en plus petites en France est-elle arrêtée ou mise en pause du fait de la crise ?
Elle est toujours d'actualité. Nous sommes dans 24 villes en France aujourd'hui, contre 10 il y a dix-huit-mois. Mais il est clair qu'il est plus difficile de s'étendre actuellement, car notre expansion implique de déployer une présence physique. Elle sera donc probablement ralentie, mais nous la poursuivrons car le marché n'a pas du tout atteint une taille qui nous convient en France. C'est un pays qui a encore énormément de potentiel.
Uber a également annoncé le 7 mai un investissement de 170 millions d'euros dans Lime, et la cession de la filiale de vélos et trottinettes Jump à la start-up. Est-ce une manière de vous désengager des opérations pour vous reconcentrer sur votre business d'intermédiaire ?
Lime a racheté les activités commerciales de Jump et nous avons annoncé que nous développerons davantage l'intégration de leur application à la nôtre. Nous devons nous concentrer sur le cœur de notre business, à savoir les courses VTC et Uber Eats. Nous gardons comme ambition de devenir une plateforme des usages. Cela peut se faire soit en opérant les services soi-même, soit en intégrant ceux des autres. Donc le fait d'investir dans Lime et de l'intégrer à notre appli est un moyen différent d'arriver à des fins qui sont les mêmes.
Les salariés de Jump en France vont-ils rejoindre les équipes de Lime ou être licenciés ?
Malheureusement je ne peux pas encore le dire. En France et en Europe, l'opération est soumise à des exigences réglementaires et légales supplémentaires, notamment en matière de concurrence.
Steve Salom est le directeur général d'Uber en France, en Autriche et en Suisse depuis 2015, après deux ans au même poste uniquement en Suisse. Avant, Uber, il a travaillé pour la start-up App Direct et en banque d'investissement, chez Rotschild et Morgan Stanley.
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