Automobile : les 3 révolutions à financer d'urgence pour rester dans la course

F.initiatives

Electrification, intelligence artificielle embarquée et digitalisation des services : ces trois révolutions redessinent le modèle économique du secteur automobile.

Des transformations qui s’imposent sous la double pression de Bruxelles et de la concurrence mondiale. Or ces mutations exigent des moyens colossaux, un cadre politique stable ainsi qu’une vraie stratégie de financement. Sans un plan clair, l’Europe risque de perdre du terrain face aux géants américains et chinois.

L’électrification : accélérer sans déstabiliser

L’Union européenne a décrété la fin des ventes de voitures thermiques neuves à l’horizon 2035 (1). En apparence, tout va bien. En France, la part des véhicules 100 % électriques dans les immatriculations a atteint 16,8 % en 2024, contre 13,3 % un an plus tôt (2). Problème : les constructeurs peinent à écouler leurs stocks, les consommateurs étant réticents à acheter compte tenu du prix, mais aussi en raison des freins liés à la problématique de recharge. Qui plus est, produire un véhicule électrique coûte cher : chaque gigafactory représente entre deux et quatre milliards d’euros d’investissement (3). Or, la Chine, qui produit 65 % des batteries au niveau mondial (4), fait face à des coûts de production bien moins élevés. Cette injonction de transition énergétique risque donc de fragiliser tout un pan du tissu industriel. Face à cette réalité, plusieurs acteurs plaident pour une neutralité technologique. Ils invitent les pouvoirs publics à soutenir aussi bien l’électrique que l’hybride, l’hydrogène ou les carburants bas carbone (6). Une manière d’éviter que la décarbonation ne devienne synonyme de désertification industrielle.

L’intelligence artificielle embarquée : du concept à la réalité

Depuis 2024, l’IA est omniprésente dans les habitacles européens. Elle contrôle par exemple le freinage d’urgence ou la reconnaissance des panneaux (7). Mais, au-delà du moteur ou du châssis, l’innovation liée à l’IA englobe aussi la conception logicielle. Évalué à 14,5 milliards $ en 2024, le marché mondial de l’IA automobile devrait augmenter de 21 % par an jusqu’en 2030 (8). Malheureusement, alors qu’elle est censée protéger, la contrainte réglementaire devient parfois un frein à l’agilité. Là où les États-Unis et la Chine déploient des solutions industrielles en quelques mois, les projets européens s’enlisent dans des circuits d’approbation interminables. Résultat : des innovations qui arrivent tard, trop tard parfois, sur un marché global déjà saturé.

Les services digitaux : la voiture devient un hub connecté

Derrière la tôle et les circuits, un nouveau modèle économique s’impose : celui de la voiture-service ou voiture connectée. Tesla facture déjà certaines mises à jour logicielles ; BMW a même testé un abonnement pour le chauffage de siège (9). D’ici 2030, la monétisation des données et des services connectés pourrait représenter entre 250 et 400 milliards $ de revenus annuels pour le secteur (10). Ce virage transforme tout : la relation client, la conception produit, la gestion des données... Les constructeurs et équipementiers développement énormément leurs activités liées au Software et à l’IA. Or, cette mutation demande des investissements massifs dans l’infrastructure (service cloud, télécommunication), la cybersécurité et la maintenance digitale, autant de coûts que le marché européen peine encore à absorber. L’enjeu, désormais, n’est plus seulement de produire des voitures, mais de concevoir des écosystèmes capables de durer.

Le financement : nerf de la guerre

L’ACEA (Association des Constructeurs Européens d’Automobiles) estime à plus de 250 milliards € les investissements nécessaires d’ici 2030 pour mener à bien cette triple transition (11). Face à de tels montants, les dispositifs publics deviennent vitaux. L’appel à projet CORAM, dédié à la R&D amont, soutient le développement de briques technologiques innovantes pour les véhicules zéro émission (12). Autre programme complémentaire, l’Invest Auto publié en septembre 2025, finance la production et l’industrialisation (13). Enfin, le crédit impôt recherche (CIR), essentiel, demeure la bouée de sauvetage d’une R&D fragilisée par les aléas politiques (comme l’illustre la suppression des dépenses des frais de brevets dans le PLF2025). Ces aides arrivent souvent tard : la dernière relève du CORAM date de 2024 ; la suivante se fait attendre. Les enveloppes d’Invest Auto sont limitées et s’épuisent vite. Dans cet environnement mouvant, la clé, c’est l’anticipation : identifier les appels à projets, préparer ses dossiers en amont, et définir sa stratégie tout en étant alignés sur les priorités de France 2030. Dans ce contexte, structurer correctement ses projets n’est plus un avantage : c’est une condition de survie.

Repenser l’écosystème industriel

L’automobile ne peut plus avancer seule. Les constructeurs l’ont compris : il faut coopérer. Les consortiums - mêlant industriels, laboratoires, partenaires technologiques - deviennent un passage obligé. Ils permettent de mutualiser les risques et de démontrer les retombées locales et environnementales des projets, un critère désormais incontournable pour obtenir des aides publiques. Le véhicule n’est plus un simple produit, l’automobile doit donc désormais penser globalement : mobilité, numérique, énergie et circularité.

Électrification, intelligence artificielle, services digitaux : ces trois révolutions redessinent la carte mondiale de l’automobile. Pour l’Europe, le défi n’est pas de les suivre, mais de les orchestrer. La souveraineté industrielle passera par la maîtrise du financement, la coordination des acteurs et la constance des politiques publiques. Sans cette cohérence, la vieille Europe de l’automobile risque de rester en milieu de peloton, à regarder les autres filer devant.

1.      Commission européenne – Règlement sur la fin des ventes thermiques 2035 : ec.europa.eu

2.      CCFA – Immatriculations 2024 : ccfa.fr

3.      McKinsey – Gigafactory Investment Benchmark, 2023 : mckinseytalksoperations.com

4.      IEA – Global EV Outlook 2024 : iea.org

5.      Journal de l’Automobile, 2 octobre 2025 – « Transition énergétique : les équipementiers payent l’addition » : journalauto.com

6.      CLEPA – Appel à la neutralité technologique : clepa.eu

7.      Commission européenne – General Safety Regulation 2024 : ec.europa.eu

8.      Market Research Future – Automotive AI Market Forecast 2024-2030 : marketresearchfuture.com

9.      Automotive News / Les Échos – modèles d’abonnement BMW et Tesla : lesechos.fr

10.   McKinsey – Monetizing car data and connected services : mckinsey.com

11.   ACEA – Investissements nécessaires pour la transition : acea.auto

12.   Ministère de l’Économie – Appel à projets CORAM : entreprises.gouv.fr

13.   Bpifrance – Programme Invest Auto (France 2030) : bpifrance.fr