Investissement : que faire quand tout dévisse ?

Investissement : que faire quand tout dévisse ? S'exposer davantage aux marchés boursiers ou prendre ses jambes à son cou et se tourner vers d'autres actifs… Quatre professionnels du conseil financier livrent leurs conseils.

Félicitations, vous avez survécu au mois d'octobre, apocalyptique pour les marchés boursiers. Mais bien que les actions et actifs risqués mondiaux se soient redressés après les élections de mi-mandat aux Etats-Unis, vous n'êtes pas tiré d'affaire, à en croire Jean-Jacques Ohana. Le responsable de la gestion d'actifs au sein de la société de gestion de portefeuille YCAP AM plante le décor : "Le passage d'un bull market à un bearmarket, c'est-à-dire à un marché baissier à long terme, est amorcé. Les banques centrales entrent dans un processus de resserrement monétaire, la croissance mondiale ralentit, bien que le ralentissement soit plus marqué dans certains pays, comme les émergents, et les tensions politiques s'accroissent, comme le montrent la montée des populismes et la poussée du souverainisme et du protectionnisme. On assiste à une remise en question des règles multilatérales et à des confrontations commerciales, notamment entre les Etats-Unis et la Chine. L'opposition à la Chine qui existe aux Etats-Unis est transpartisane. Même avec une chambre des représentants basculée dans le camp démocrate, il est probable qu'une négociation plus dure vis-à-vis de l'empire du Milieu voit le jour. Et en Europe, le risque de sortie de l'euro de l'Italie peut devenir de plus en plus prégnant ces prochains mois/années, avec un tournant qui pourrait avoir lieu aux élections européennes". Dans ce contexte, comment assurer ses arrières ?

"Nous sommes en train de basculer vers un marché baissier à long terme"

Sauve qui peut, répond Jean-Jacques Ohana. "Dans nos portefeuilles d'allocations d'actifs, nous avions une allocation supérieure à 50% en actions en début d'année, confie le gérant. Aujourd'hui, nous sommes à 10%. Nous avons considérablement diminué notre exposition aux marchés actions. Même à celui des obligations d'entreprise, qui comporte aussi un niveau de risque élevé, surtout dans un environnement où la BCE va retirer des liquidités." Alors, sur quels actifs reporter son dévolu ? "En zone euro je pense à l'or, répond Jean-Jacques Ohana. Relativement peu détenu par les investisseurs et complètement laissé pour compte ces dernières années, c'est un actif qui offre des potentiels de revalorisation importants. Pour maintenir l'intégrité de zone euro, la BCE devra, d'ici six mois à un an, renoncer à la fin de son programme de rachat d'actifs. Dans ce cas, le marché pourrait l'anticiper en revalorisant l'or. L'or en euro est une couverture potentielle à la menace de sortie de la zone euro de l'Italie ou si la relation entre Italie et UE devait se durcir."

"Tournez-vous vers des actifs décorrélés des marchés, comme la pierre"

Sabine Jiskra, responsable de la gestion de fortune à l'Institut du Patrimoine, conseille plutôt aux investisseurs de chercher refuge du côté de la pierre, sous toutes ses formes... Des contrats d'assurance-vie investis en fonds euros à dominance immobilière et/ou en unités de compte, dont des SCPI, aux parts de SCPI de rendement détenues en direct – achetées à crédit, si possible – en passant par la location meublée non professionnelle en résidence étudiante ou en Ehpad. D'après la professionnelle du conseil financier, lorsque les marchés baissent, tout est bon dans l'immobilier. "Bien sûr, on peut se tourner vers le private equity, mais c'est beaucoup plus risqué que l'immobilier, même lorsque les entreprises dans lesquelles on investit peuvent justifier d'un track record de plus de 5 ans.

"L'or offre des potentiels de revalorisation importants"

Dans la famille des actifs décorrélés des marchés, Guillaume Lucchini, président fondateur du cabinet Scala Patrimoine, demande les cryptomonnaies. Ces actifs présentent un risque beaucoup plus important que des actifs régulés, prévient d'emblée le conseiller en stratégie patrimoniale. Toutefois, en cas de remake de la crise financière de 2008 – le marché des small cap a perdu entre 10 et 30% depuis le début de l'année, rappelle-t-il – c'est potentiellement le moment adéquat pour se lancer. "Les marchés financiers représentant tout ce que les cryptomonnaies rejettent, il peut y avoir un intérêt à investir si les marchés descendent beaucoup plus bas." Mais pas dans n'importe quel crypto actif : "Mieux vaut cibler des acteurs lourds type bitcoin ou ether, où il existe une certaine profondeur de marché et un risque moins important de manipulation de cours. Cela pourrait avoir un intérêt pour beaucoup d'investisseurs de sortir des marchés financiers et de compenser par ce type de produits, mais à hauteur de 2 à 5% du patrimoine financier, pas plus".

"Les bons du Trésor américain à 10 ans et la dette émergente sont intéressants"

Quand les rats quittent le navire, d'autres crient "A l'abordage !". "Pour les investisseurs déjà très exposés au marché actions, c'est risqué d'y aller davantage. En revanche, les autres peuvent se réexposer aux produits structurés, suggère Gilles Etcheberrigaray, directeur général de la société de gestion de portefeuille Invest AM, avec un point d'entrée et des caractéristiques meilleurs que par le passé, puisque la volatilité a augmenté. Mais on reste sur un marché où, malgré la correction opérée, tout reste assez cher." Néanmoins, quitte à prendre le contre-pied des marchés, autant miser sur les "belles valeurs", comme les Gafam. "L'impact psychologique de la baisse d'octobre n'est pas suffisamment fort", estime Gilles Etcheberrigaray. Mauvais calcul, d'après Sabine Jiskra : "Les Gafam sont tellement hauts que ce n'est pas là où il y a le plus fort potentiel de plus-value. Mieux vaut regarder du côté des titres décotés, le "value", et peut-être du côté des valeurs cycliques, comme la banque, l'automobile, etc." Et pour ceux, qui, vraiment, ne veulent plus entendre parler des actions, Gilles Etcheberrigaray  a un dernier conseil : "Aujourd'hui, les bons du Trésor américain à 10 ans et la dette émergente, qui a pas mal résisté alors qu'elle a été secouée pendant la période précédente, sont intéressants." A bon entendeur.