Guerre en Ukraine : les conséquences pour votre portefeuille

Guerre en Ukraine : les conséquences pour votre portefeuille Alors que l'inflation est déjà galopante, l'invasion russe aura un impact sur les prix de certaines matières premières, énergie en tête.

L'inflation en France va-t-elle se durcir dans les mois à venir en raison de l'opération militaire menée par la Russie en Ukraine ? "Les données sont variables suivant les années, mais les produits agricoles - huiles et graisses végétales et animales, produits de l'élevage, céréales, produits agricoles transformés - représentent environ la moitié des exportations de l'Ukraine à destination de la France", explique Julien Vercueil, économiste spécialiste de la Russie et des Etats post-soviétiques et vice-président de l'Inalco. L'Ukraine constitue aujourd'hui un des poids lourds des exportations céréalières. Or, 40% du blé produit en Ukraine est cultivé dans l'est du pays, dont 8% dans les régions séparatistes, sous le feu des bombardements.

Le prix du blé en très forte hausse

Les marchés des matières premières agricoles en font déjà les frais. La tonne de blé meunier sur Euronext a dépassé les 340 euros – du jamais-vu -, tandis que celle du maïs évolue autour des 260 euros. Le colza dépasse désormais 737 euros la tonne. Selon une note du cabinet Agritel, la volatilité "va rester de mise dans le contexte actuel". "Aujourd'hui, tous les marchés de matières premières sont plus ou moins financiarisés, ce qui implique une exposition plus forte aux effets des anticipations des opérateurs, aux mouvements spéculatifs, qu'ils soient orientés à la hausse ou à la baisse", ajoute Julien Vercueil.

"Pour l'instant, ce sont les opérateurs boursiers qui s'inquiètent, acquiesce Jacques Sapir, économiste, spécialiste de la Russie et des questions monétaires et directeur d'études de l'EHESS. A moyen et long terme se pose la question de la stabilité des marchés des matières premières, compte tenu du rôle majeur de la Russie sur le blé." De quoi alimenter la crainte d'une nouvelle hausse des prix de certains produits alimentaires. Mais est-elle pour autant justifiée ? Le spécialiste anticipe une hausse du prix du blé de 20% à 30% pour l'Union européenne, par rapport à son niveau actuel.

Des conséquences limitées pour les Français ?

"S'il y a une augmentation des prix des céréales, cela va renchérir le prix de l'alimentation animale, et donc les prix de l'alimentation humaine", soutient Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA, auprès du Figaro. La viande et le lait pourraient ainsi être plus onéreux à produire. "Sur l'alimentation animale, d'autres pays comme le Brésil et l'Argentine peuvent se substituer aux importations ukrainiennes, mais avec un surcoût de 5 à 10%, en raison du prix du transport", précise Jacques Sapir. En revanche, pas de panique pour le prix du pain, produit à partir de blé français, assure Christiane Lambert.

Pour le reste, "cela va dépendre des sanctions qui vont être prises dans les jours qui viennent, et quelle sera en retour l'attitude de la Russie", estime Jacques Sapir. Pour Julien Vercueil, les conséquences sur les consommateurs européens devraient toutefois être limitées : "Même dans un scénario noir, la hausse des prix des céréales ou des produits oléagineux, qui pourrait être temporairement significative, aurait peu de chances de durer longtemps, compte tenu des possibilités de production et d'approvisionnement alternatifs". Autrement dit, l'Union européenne et la France auraient suffisamment de capacités agricoles - et d'autres partenaires pour les aider - pour éviter des pénuries, et donc une forte augmentation des prix.

Un risque pour les prix à la pompe

Outre les prix agricoles, les prix de l'énergie sont au cœur des inquiétudes. "Le pétrole brut et les produits pétroliers, le gaz, le charbon représentent les trois-quarts des importations françaises en provenance de Russie", rappelle Julien Vercueil. La Russie est le deuxième pays exportateur d'or noir sur le marché mondial. Dans la foulée de l'entrée des troupes russes sur le sol ukrainien, le prix du baril de pétrole (Brent) a franchi la barre des 100 dollars, une première en sept ans. "De nombreuses banques prennent des positions acheteuses sur le pétrole, espérant que la crise dure, que le pétrole monte au-dessus des 100 dollars le baril, affirme Jacques Sapir. Outre l'inquiétude, il y a donc aussi de la spéculation." Le litre de gazole et celui du SP95-E10 risquent ainsi de se rapprocher dangereusement des deux euros le litre.

Des interrogations sur le gaz

Le gaz est l'autre préoccupation majeure. La Russie est le premier fournisseur de l'Europe, à hauteur de 40% des importations. "Environ la moitié des approvisionnements de l'Union européenne correspond à des contrats de long terme, et l'autre moitié sont des ventes au jour le jour, parce que la Commission européenne l'a demandé, détaille Jacques Sapir. Si maintenant la Russie, tout en maintenant ses contrats à long terme, décide d'arrêter d'alimenter le marché au jour le jour en Europe, cela peut provoquer un choc considérable. Il a été estimé à 0,7% du PIB pour l'ensemble de l'UE par la Banque centrale européenne." A noter que la France est moins dépendante du gaz russe que la moyenne, avec seulement 17% des importations de gaz en provenance de la Russie, son premier fournisseur étant la Norvège.

La perspective d'une pénurie de gaz en provenance de l'est reste, pour l'heure, en suspens. "Gazprom pourrait se contenter d'utiliser NordStream 1, éventuellement suppléé par un autre gazoduc nord-européen - terrestre celui-ci, appelé Yamal-Europe - et son réseau méridional - une branche du récent gazoduc South Stream passant par la rive européenne de la Turquie - pour continuer à livrer les quantités prévues, tout en utilisant a minima le gazoduc soviétique historique passant par l'Ukraine pour satisfaire ses obligations contractuelles, explique Julien Vercueil. Mais on peut aussi imaginer que Gazprom, sous la pression du gouvernement russe décidant des mesures de rétorsion, réduise ses livraisons à l'Europe, ou à l'inverse que l'Europe décide de réduire ses commandes à Gazprom."

Moscou peut-il pour autant faire une croix sur le marché européen pour écouler son gaz ? Oui, à en croire Jacques Sapir, la Russie ayant mis en service, depuis 2017, un gazoduc géant permettant d'approvisionner la Chine. "Par ailleurs, l'intégralité des gazoducs sont interconnectés en Russie, complète le directeur d'études de l'EHESS. La Russie pourrait rebasculer la totalité de ses exportations vers l'Asie." De son côté, Berlin a récemment annoncé la suspension de l'autorisation du projet de gazoduc Nord Stream 2, une mesure "symbolique" selon Jacques Sapir, puisque l'équipement n'est pas opérationnel.

Le prix du gaz gelé en France, mais pour quelques mois

De son côté, l'UE pourrait décider de s'approvisionner auprès d'autres pays, comme les Etats-Unis. Jacques Sapir estime toutefois qu'il ne s'agit pas d'une solution à court terme. "Le gaz livré par ces autres fournisseurs est du gaz liquéfié, qui vient par bateau, rappelle  l'économiste. Or, les installations de déliquéfaction et de regazéification, 20 en Europe dont 4 en France, sont toutes saturées, ce qui veut dire qu'en réalité on ne peut pas substituer du gaz liquide au gaz russe."

Dans l'immédiat, l'impact sur la facture des ménages français devrait être nul, et ce, grâce au bouclier tarifaire mis en place par le gouvernement afin de limiter les prix du gaz, jusqu'au 30 juin 2022. "Quels que soient les prix du gaz dans les semaines à venir, nous garantirons le gel des prix du gaz pour les particuliers durant l'année 2022", a affirmé Bruno Le Maire au micro de BFMTV. En 2023, en revanche, si la crise en Ukraine s'aggrave, il y a fort à parier que le prix du gaz reparte fortement à la hausse.