Fake news au Maroc : une loi nécessaire

Durement touché par les fausses informations et des mouvements virtuels manipulatoires, le Maroc veut désormais répliquer avec une loi qui encadre ces nouvelles formes de cybercriminalité. La genèse du projet de loi était pourtant antérieure à la crise sanitaire. Car entre boycott et rumeurs instrumentalisées, la classe politique marocaine essuie depuis deux ans des attaques violentes, à peine un avant les élections législatives.

Les forces de l’ordre n’auront pas chômé. Jeudi 19 mars, la DGSN marocaine annonçait une douzaine d’arrestations sur des fake news liées au coronavirus. Une femme, qui avait proféré des théories du complot sur YouTube quant à l’origine du Covid-19, a ainsi été interpellée et placée en garde à vue. Le prédicateur salafiste Abou Naïm, connu pour ses positions radicales, a connu le même destin pour avoir relayé une vidéo « relevant de l’incitation à la haine et à la violence » et appelant à boycotter la décision gouvernementale de fermer les mosquées, pour cause de confinement.

Derrière ces multiples arrestations, les mécanismes habituels du complotisme sont à l’œuvre : en pleine crise, l’Etat marocain est en effet accusé de dissimuler la vérité, voire, dans certains cas, de tirer profit de la situation.

Nouvelles criminalités

Ces arrestations ont été réalisées dans le cadre d’une loi contre les fake news entrée en vigueur le jour même. Le projet de loi n° 22.2, votée par les députés marocains, n’a pourtant pas été construit dans la précipitation. Il s’agit d’une réponse construite depuis deux ans face à une montée inquiétante de l’extrémisme et de la diffusion de fake news.

Le boycott d’avril 2018 est incontestablement l’un des points de départ de ces manipulations. Obscur, complexe et révélateur des inégalités de la locomotive du Maghreb, l’action avait alors visé trois entreprises privées (Afriquia, Sidi Ali et Centrale Danone), preuve étant que les entreprises ne sont pas épargnées par les « infox ». En pleine période de Ramadan, Danone, en particulier, accusa un contrecoup économique terrible, avec une baisse du chiffre d’affaires de plus de 80 %.

Or, sous le vernis d’un portrait qui se nourrit de la nostalgie du Printemps arabe, la réalité est tout autre. Ce qui s’apparentait au départ comme une action spontanée n’a pas su résister à l’analyse des experts. Ainsi, plusieurs études de think tanks ont largement battu en brèche la thèse du mouvement populaire, pour retenir celle d’une campagne d’influence orchestrée en partie par des mouvements islamistes souterrains.

Les conclusions ont été validées par l’éminent CESE, le Conseil Economique et Social du Maroc, qui dressait en parallèle un constat accablant de la situation : l’usage des réseaux sociaux a affaibli les partis politiques et les syndicats, et l’existence d’un malaise social généralisé avait permis à des acteurs aux intentions hostiles d’instrumentaliser la colère des plus démunis.

Des manipulations de l’information toujours présentes

Las, depuis ce douloureux inventaire, les fake news n’ont pas diminué. En démontre la récente rumeur qui avait émergé sur les réseaux sociaux concernant le président du RNI, Aziz Akhannouch. Au cœur de la tempête depuis qu’il a pris les rênes du parti de la Colombe (l’autre nom du RNI), le ministre de l’Agriculture essuie régulièrement des attaques d’une rare violence. Malgré un bilan salué par de nombreux pays africains sur l’agriculture, le candidat fait l’objet d’attaques des plus complotistes au plus fantaisistes : accusations de détournements de fonds et mensonges pleuvent au sein de pages Facebook anonymes, quand il n’est pas accusé de fomenter un coup d’Etat. Démentie en bloc par les médias, la dernière rumeur sur la démission d’Akhannouch semble, cette fois encore, s’inscrire dans la liste de ces campagnes politiques aux donneurs d’ordre dissimulés.

Mais le président du RNI n’est pas la seule cible de la vindicte, qui touche tous les pans de la société. Ainsi, le festival Mawazine est la cible d’appels au boycott et de fake news incessantes. Cet événement musical fameux, qui accueille des stars mondiales chaque année à Rabat, est depuis longtemps dans le viseur des franges traditionalistes pour la promiscuité supposée qu’il entraîne.

Le coronavirus, instrumentalisé ?

Dans ces conditions, alors que la pandémie de Covid-19 échauffe les esprits, l’entrée en vigueur de la loi fake news donne un avantage certain aux forces de police marocaines, qui manquaient jusque-là d’un arsenal juridique solide pour faire face à la montée soudaine de l’activisme digital et des fake news dans le pays. Le timing est parfait, à l’heure où la pandémie déclenche déjà des torrents de désinformation à l’échelle globale. Cette loi devrait également permettre d’arracher le voile numérique qui couvre depuis trop longtemps les actions d’une mouvance turbulente et agressive. Alors que le pays s’achemine doucement vers des élections législatives en 2021, il reste encore au Maroc plus d’un an pour éviter un scénario à l’américaine : la confiscation pure et simple de leurs élections par des forces cachées, aux intentions toujours plus néfastes.