Droits voisins : l'autorité de la concurrence somme Google de négocier

Droits voisins : l'autorité de la concurrence somme Google de négocier Google a trois mois pour négocier avec les éditeurs et agences de presse qui le sollicitent au sujet de la rémunération des contenus repris par son moteur de recherche. Le Geste souhaite être impliqué.

Première victoire pour les groupes de presse dans le bras de fer qui les oppose à Google depuis l'entrée en vigueur, le 24 octobre 2019, de la loi sur le droit voisin pour la presse. L'autorité de la concurrence a demandé dans un communiqué que "Google négocie de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse qui en feraient la demande, et selon des critères transparents, objectifs et non discriminatoires, la rémunération due à ces derniers pour toute reprise des contenus protégés". Pour rappel, Google avait décidé, suite à l'entrée en vigueur de la loi, de ne plus afficher l'aperçu des contenus provenant d'éditeurs de presse européens… sauf s'ils donnaient leur accord explicite pour qu'il puisse le faire sans contrepartie. La décision de Google avait suscité l'indignation de nombreux patrons de presse qui, tout en s'y pliant à contrecœur, avaient dénoncé un contournement de la loi.

"Cette négociation doit se faire collectivement"

L'autorité de la concurrence, qui a tenu une séance le 5 mars 2020 pour entendre les saisissants et Google, leur donc donné raison. "Elle a retenu l'ensemble des griefs formulés par les éditeurs à l'encontre de Google, notamment le chantage auquel ils étaient soumis", se félicite le président du Groupement des éditeurs en ligne (Geste), Bertrand Gié. L'instance française a également estimé que les pratiques de Google étaient "susceptibles de constituer un abus de position dominante", de même qu'une "atteinte grave et immédiate au secteur de la presse". Elle a invoqué, pour justifier sa décision, la part de marché du moteur de recherche, de l'ordre de 90% à la fin de l'année 2019, et sa contribution à la bonne marche des sites. D'après les données fournies par les saisissants portant sur 32 titres de presse, "et non contestées par Google", précise l'autorité, les moteurs de recherche (et donc Google pour l'essentiel) représentent entre 26 % et 90 % du trafic des sites.

L'autorité précise que Google devra conduire les négociations dans un délai de 3 mois à partir de la demande émanant d'un éditeur ou d'une agence de presse. Et que cette négociation devra couvrir, de façon rétroactive, les droits dûs à compter de l'entrée en vigueur de la loi. "Cette négociation doit se faire collectivement", estime Bertrand Gié. Si c'est l'Alliance de la presse d'information générale (AIPG) qui est monté au front, le Geste se propose également de participer aux discussions, pour défendre le point de vue de ceux qui ne sont pas représentés par l'AIPG, comme les pure-players ou les sites des groupes TV et radios.

"Si les éditeurs arrivent à récupérer ne serait-ce que 3% du chiffre d'affaires de Google en France, cela ferait tout de même une centaine de millions d'euros par an"

Les discussions pourraient aboutir à la mise en place d'une redevance, indexée notamment sur le chiffre d'affaires réalisé par Google en France, à l'image de celle versée par les stations de radio aux compositeurs. "La loi donne la possibilité de créer une instance de représentation comme la Sacem, qui se chargera de collecter et répartir les montants ainsi récupérés", rappelle Bertrand Gié. Quel montant les médias peuvent-ils espérer récupérer ? Difficile à dire, sans connaître les revenus exacts réalisés par Google en France. Le groupe a déclaré un chiffre d'affaires de 411 millions d'euros en 2018 mais ce montant est en réalité très inférieur aux revenus qu'il génère dans l'Hexagone car uniquement composé des prestations de services réalisées pour le compte de la maison mère (qui enregistre, elle, les factures des clients français). Il serait, selon les estimations d'un connaisseur du marché, plutôt supérieur à 3 milliards d'euros en France. "Si les éditeurs arrivent à récupérer ne serait-ce que 3% de cette somme, cela ferait tout de même une centaine de millions d'euros par an", chiffre notre anonyme.

Bientôt Facebook et Twitter

"Nous nous conformerons à la décision de l'autorité de la concurrence que nous sommes en train d'analyser, tout en poursuivant ces négociations", a déclaré de son côté Google. Son vice-président chargé des relations avec les médias, Richard Gingras, a par ailleurs rappelé que le géant de l'Internet n'était pas resté inactif depuis la transposition en France de l'article 15 de la directive européenne sur le droit d'auteur. "Nous discutons avec un grand nombre d'éditeurs de presse afin d'accroître notre soutien et nos investissements au profit du secteur de la presse", a-t-il précisé. Ces dernières semaines, Google a en effet sollicité quelques journaux français pour leur proposer de les rémunérer lorsqu'il fait apparaître leurs articles dans un espace dédié, au sein de Google Actualités, voire ailleurs. Le Monde évoque des montants allant de 100 000 à 1 million de dollars par an et par titre, au cours de ces échanges qui sont toutefois restés exploratoires. Cela n'a manifestement pas suffi à l'autorité de la concurrence, qui veut que ces négociations se fassent de manière plus collective.

Pour les éditeurs, cette victoire est d'autant plus savoureuse qu'elle en appelle d'autres. "Si cette décision nous renforce dans notre relation avec Google, elle va également nous inciter à nous rapprocher de Facebook, Twitter ou Flipboard, analyse Bertrand Gié. Autant de plateformes qui génèrent de la valeur avec nos contenus auxquelles nous feront valoir nos droits."