Ilkka Paananen (CEO de Supercell) "Chacun des cinq jeux à succès de Supercell a généré au moins un milliard de dollars de revenus bruts"

Supercell, l'un des pionniers du jeu mobile, vise à devenir une icône intemporelle du divertissement à l'instar de Nintendo et se projette au-delà du smartphone. Son cofondateur et CEO se confie au JDN sur ses projets.

JDN. Lancé en 2010, Supercell a placé six de ses jeux mobiles dans le top 10 mondial et compte près de 250 millions de joueurs mensuels. Quels sont leurs points communs ?

Ilkka Paananen est le CEO et cofondateur de Supercell. © Juuso Westerlund

Ilkka Paananen. L'objectif de Supercell est de créer des jeux vidéo intemporels. Nous aimerions être perçu comme une entreprise iconique du divertissement, un peu à l'instar de Nintendo. Cette entreprise, qui a plus de 100 ans, a réussi à créer des jeux multigénérationnels avec ses propres univers et personnages emblématiques, comme Mario ou Zelda. Nous aspirons à faire quelque chose de similaire. Lorsque nous créons de nouveaux jeux, nos indicateurs les plus importants sont la rétention et l'engagement. Notre objectif est de créer des jeux qui resteront dans les mémoires et qui seront joués pendant des années.

Outre le mobile, quels sont les traits communs des différents jeux développés par Supercell ?

Le premier est lié à l'aspect social de nos jeux. Ils deviennent plus amusants lorsqu'ils sont joués à plusieurs et permettent de se connecter avec des personnes du monde entier. Ils sont conçus pour être joués en équipes, en clans, ou encore en "quartiers" comme dans Hay Day. Vous pouvez ainsi jouer avec vos amis existants ou rencontrer de nouvelles personnes grâce à nos jeux. Le deuxième point commun est qu'ils sont accessibles et faciles à prendre en main, tout en étant assez stratégiques et complexes si on veut les maîtriser complètement. Chez Supercell, nous concevons des jeux pour un public le plus large possible. C'est un peu comme avec les films Pixar : tout le monde les adore, que vous soyez enfant ou adulte.

Certains jeux ont plus d'une décennie. Combien de chiffre d'affaires génèrent-ils encore ?

Ce qui rend Supercell unique, c'est que chacun des cinq jeux à succès que nous avons lancés au cours des 12 dernières années a généré au moins un milliard de dollars de revenus bruts chacun. Parmi eux, on trouve Clash of Clans, Clash Royale, Hay Day, Brawl Stars et Boom Beach. Certains comme Clash of Clans ont généré bien plus. En juin, nous avions annoncé que ce jeu avait généré plus de 10 milliards de dollars à lui seul depuis sa création. Ce chiffre est probablement encore plus élevé aujourd'hui. Chacun de ces cinq jeux a connu une croissance en 2024. C'est incroyable de voir des jeux comme Clash of Clans, lancés il y a 12 ans, continuer de se développer.

Etes-vous satisfait des résultats de votre dernier jeu, Squad Busters, lancé en 2024 ?

Le jeu a connu un excellent départ, mais dans notre secteur, la phase de lancement ne dit pas tout sur le futur. Pour vous donner une idée, notre jeu Brawl Stars qui a plus de six ans, a réalisé de loin sa meilleure année en 2024. Pour Squad Busters, nous n'en sommes qu'à quelques mois, donc c'est encore trop tôt pour faire un bilan. Les prochaines années seront déterminantes. Nous avons reçu énormément de retours de la communauté et l'équipe en charge travaille dur pour améliorer le jeu.

Avant cela, votre dernier jeu, Brawl Stars, avait été lancé en 2018. Pourquoi avoir attendu si longtemps ?

Nous sommes très exigeants et nous n'hésitons pas à stopper des projets en cours. Nous voulons être au même niveau que des entreprises comme Nintendo, donc nos standards sont extrêmement élevés. Nous ne faisons pas de compromis sur la qualité. Si un jeu ne correspond pas à nos attentes, nous abandonnons le projet, peu importe où il en est dans son développement. Et il est important de comprendre que chez Supercell, ce n'est pas moi en tant que PDG qui décide d'annuler ou non un jeu, mais l'équipe en charge de son développement.

Chaque équipe est complètement autonome. Enfin, il y a une véritable émulation en interne. Cinq de nos jeux ont tous été des succès phénoménaux, chacun générant plus d'un milliard de dollars de revenus chacun. Toutes nos équipes ont ainsi l'objectif de surpasser ces jeux et de créer quelque chose qui aura encore plus d'impact qu'un jeu comme Clash of Clans.

Supercell crée des jeux uniquement pour mobile. Envisagez-vous de développer des jeux pour d'autres appareils, par exemple pour PC ou des consoles comme la Nintendo Switch ?

Nous travaillons effectivement sur des projets qui vont dans ce sens mais nous n'avons encore rien de concret à annoncer pour le moment. La raison pour laquelle nous avons initialement fait le choix du mobile se trouve dans la large portée de joueurs que nous pouvions toucher. Aujourd'hui, tout le monde a littéralement une console de jeu dans sa poche. Sur le long terme, nous voulons offrir davantage de points de contact à nos joueurs avec nos jeux et cela passera par d'autres plateformes mais aussi d'autres formes de contenu comme par exemple l'e-sport.

Début novembre, nous avons ainsi organisé des finales mondiales pour trois de nos plus grands jeux pendant notre événement SuperFest qui a réuni des millions de spectateurs. Ces dernières années, nous avons également créé des séries animées, comme Clash sur YouTube, qui ont cumulé des milliards de vues. L'idée est d'offrir davantage de points d'entrée à nos joueurs pour qu'ils découvrent nos personnages et nos univers.

Les coûts de développement d'un jeu mobile sont-ils plus élevés aujourd'hui qu'au lancement de Supercell ? Pensez-vous que l'IA générative puisse vous permettre de les réduire ?

En 2010, lorsque nous avons fondé l'entreprise, le marché était encore très jeune et la concurrence moins intense. Nous avons eu de la chance d'arriver au bon moment avec les bons jeux. Pour répondre aux attentes des joueurs d'aujourd'hui, il faut indéniablement investir davantage qu'auparavant. Cependant, je ne pense pas qu'un budget plus élevé garantisse un meilleur jeu. Pour nous, l'objectif principal est toujours d'optimiser la qualité plutôt que les coûts.

Aujourd'hui, la concurrence est bien plus féroce, avec des centaines de milliers de jeux disponibles sur le marché. Nous ne nous battons pas seulement pour l'argent des joueurs, mais aussi pour leur temps, face à des applications comme Netflix, TikTok ou d'autres services de streaming et réseaux sociaux. Chacune de nos équipes utilise l'IA de différentes manières. Pour autant, l'IA n'est pas considérée comme un moyen de réduire les coûts, mais plutôt comme un outil pour faire mieux et plus.

Vos jeux sont majoritairement monétisés grâce aux achats in-app. Prévoyez-vous de développer d'autres sources telles que la publicité ou les licences avec des produits dérivés notamment ?

Nous avons introduit de la publicité dans dans Hay Day et différents jeux, mais cela représente une part infime de nos revenus. Nous avons toujours priorisé l'expérience utilisateur et nous voulons être sûr que la publicité n'interfère pas avec cette expérience de jeu. Jusqu'à présent, ce n'est pas une priorité pour nous et il est difficile d'imaginer que cela devienne une source majeure. L'immense majorité de nos revenus provient des achats réalisés par nos joueurs. Quant aux licences, nous ne les considérons pas comme une diversification des revenus, mais plutôt comme un moyen de faire découvrir nos personnages et univers. Un exemple récent est notre série de bandes dessinées sur l'univers des jeux Clash.

Supercell a été acquis en juin 2016 par le géant chinois Tencent, qui a racheté la participation majoritaire détenue auparavant par SoftBank. Quel impact ce rachat a-t-il eu sur votre organisation ?

Nous opérons en totale indépendance. En 2013, SoftBank a racheté les parts de nos investisseurs existants, tout en nous conférant le contrôle opérationnel. Lorsqu'en 2016, SoftBank a décidé de se retirer du secteur des jeux vidéo, j'ai dû trouver un nouvel actionnaire. Au cours de mes discussions avec de potentiels investisseurs, ma première question portait sur l'importance de conserver notre indépendance de fonctionnement. Tencent a été le premier à nous le garantir. 

Vous mentionnez l'indépendance de vos équipes dans le choix des jeux à créer ou à arrêter. Jusqu'à quel point sont-elles réellement autonomes ?

Mon rôle n'est pas de donner mon feu vert aux équipes sur les jeux qu'elles doivent créer. Elles n'ont pas besoin de mon approbation pour lancer ou arrêter un jeu en production. En revanche, notre philosophie repose sur la création des meilleures équipes possibles. Ces équipes sont ensuite chargées soit d'améliorer un jeu existant, soit d'en concevoir un nouveau. Chaque jeu représente une "cellule", c'est-à-dire une unité indépendante gérée par une équipe dédiée.

Pour constituer ces équipes, nous investissons énormément, notamment à travers notre programme Spark. Ce programme consiste à mélanger différents collaborateurs, en les faisant travailler sur un projet de leur choix dans des délais extrêmement serrés. Cela peut parfois s'avérer stressant, mais nous croyons fermement que ces phases d'exécution permettent d'identifier les équipes qui fonctionnent bien ensemble. De plus, nous collaborons avec un psychologue professionnel pour évaluer les dynamiques humaines au sein des équipes. Une fois qu'une équipe est validée, elle bénéficie de toute ma confiance.

Comment voyez-vous l'avenir du Gaming à l'ère de l'IA générative ?

Nos équipes réfléchissent à différentes manières d'utiliser l'IA pour améliorer l'expérience utilisateur. Par exemple, l'IA pourrait être intéressante pour réengager un joueur qui aurait arrêté de jouer il y a quelques années, en lui réapprenant de manière intuitive les règles du jeu. Pour nos futurs jeux, nous testons également des idées assez novatrices basées sur l'IA en matière de gameplay. Plusieurs prototypes sont en cours. Il est évident que l'IA générative en est encore à ses débuts, et que nous ne faisons qu'effleurer la surface de ses capacités.

Quelle est votre feuille de route pour les années à venir ? 

Nous continuons à développer de nouveaux jeux au sein de nos trois studios basés à Helsinki, en Amérique du Nord, et à Shanghai. Actuellement, environ une dizaine de jeux sont en production mais tous ne seront pas lancés. 

Ilkka Paananen est le PDG et cofondateur de Supercell, studio finlandais à l'origine de Clash of Clans, Clash Royale et Brawl Stars. En 2016, Supercell est devenue la première start-up technologique européenne à atteindre une valorisation de 10 milliards de dollars. En plus de son rôle chez Supercell, Ilkka soutient d'autres entrepreneurs via son family office Illusian et siège aux conseils d'administration de LEGO, Wolt et Zwift. Avant Supercell, il avait cofondé Sumea (rachetée par Digital Chocolate) et est titulaire d'un Master of Science de l'Université de technologie d'Helsinki.