Jusqu'où exploseront les investissements dans le transport et la logistique ?

Après la foodtech ou la fintech, une "supchaintech" émerge avec plus de 300 investissements en 2016, soit 4 milliards de dollars.

Certains parlent de bulle... Je pense que nous vivons plutôt une révolution dans le secteur du transport et de la supply chain comme d’autres secteurs l’ont connue avant : aérien, télécom, transport de personnes, etc. Cette révolution est visible à travers les investissements massifs des fonds dans des startups liées au secteur du transport ou encore des transporteurs eux-mêmes afin d'améliorer leurs infrastructures, leur productivité et leur expérience client. Comme toutes les révolutions, celle qui touche actuellement la logistique a un déclencheur : l’explosion et la mutation du e-commerce. Après 10 ans passés dans le secteur, je reviens dans cette tribune sur ces facteurs déclencheurs, leurs conséquences et ma vision de l’avenir pour le marché.

Toujours plus de gros clients, toujours plus de petits marchands

C’est devenu un rituel ! Tous les acteurs attendent chaque année les chiffres de la FEVAD pour découvrir l'évolution des chiffres du e-commerce. Et nous sommes rarement déçus ! Rien qu’en France, nous sommes passés de 82.000 sites marchands en 2010 à 204.000 fin 2016. Aujourd’hui, les places de marché représentent près d’un tiers des ventes. Cela change considérablement le profil des e-commerçants puisque l’on voit de nombreux auto-entrepreneurs ou TPE se lancer, les plateformes Amazon ou Cdiscount leur permettant d’accéder facilement à des millions de clients potentiels en France et dans le monde. Conséquence de cette explosion : le volume de colis envoyés ! Ces petites entreprises, qui représentent désormais la grande majorité des sites marchands, n’ont pas les mêmes moyens que les gros acteurs historiques du e-commerce pour gérer leurs expéditions ; c’est d'ailleurs ce qui a amené de nombreuses start-up à se lancer sur le marché.

En France, le nombre d'expéditions a ainsi été de 900 millions pour la seule année 2016, selon Xerfi, et devrait atteindre 1 milliard pour 2020 ! Imaginez ce que représente, d’un point de vue logistique, le transit de près de 3 millions de colis chaque jour : dépôt dans les points de départ, transit par la terre ou l’air, remise au client final, etc. D’autant que ces 100 millions de colis supplémentaires ne se répartiront pas uniformément sur l’année mais seront concentrés sur les mois d’octobre à décembre, locomotives commerciales de l’année… Cela implique une transformation en profondeur des opérations transporteurs qui ont démarré leur mutation il y a quelques années.

Start-up et fonds pour accompagner le mouvement

Comme pour les autres révolutions, celle qui touche actuellement la supply chain n’échappe pas à la prolifération de start-up. Après la foodtech ou la fintech, on assiste très clairement à l’émergence d’une "supchaintech". Il ne passe pas un mois sans qu’une start-up ne se lance ou ne lève des fonds sur ce secteur. Chacune, à sa manière, veut révolutionner un maillon de la chaîne logistique. Ainsi, nous avons vu arriver des startups sur le 1er kilomètre (Wing, Cubyn ou Sympl), sur le dernier kilomètre (You2You, Colibou ou Stuart), sur la gestion des retours clients (ShopRunBack ou Coliback), sur le suivi des colis (Welcome Track ou ITinSell), sur les notifications envoyées aux clients (ShipUp ou Boxia) ou l’automatisation des processus logistiques (ShippingBO). Boxtal est également concerné puisque nous avons levé 7M€ fin 2016 afin de développer des services sur chacun de ces maillons (le 1er kilomètre avant l’été, par exemple) et lancé Boxtal en Espagne.

Cette émergence de start-up est largement soutenue par les fonds. CB Insights a ainsi comptabilisé près de 300 investissements en 2016 dans le secteur, soit 4 milliards de dollars. Ils ne représentaient que 82 investissements en 2012 pour 302 millions de dollars. Cela représente une multiplication par 13 des investissements en 4 ans ! 

Reste maintenant à voir si cette vision très éclatée de la supply chain va perdurer ou si – sous la pression des professionnels et e-commerçants qui ne voudront pas travailler avec 50 acteurs différents – nous assisterons dans les prochaines années à une consolidation du marché. 

Investissements massifs des transporteurs pour suivre

Conscients du retard pris dans les années 1990-2000, les transporteurs ont décidé de réagir à grand renfort d’investissements. Les projets sont très nombreux. UPS a ainsi inauguré en 2016 un nouveau centre de tri ultramoderne à Lyon (plus de 25 millions d’euros investis) et a lancé la construction d’un gros hub à Corbeil-Essonnes pour 100 millions d’euros. DHL de son côté a doublé la surface de son hub à Marseille (8 millions d’euros) et Fedex a racheté TNT en 2016 pour près de 5 milliards de dollars afin de densifier son réseau.

La Poste enfin a décidé de s’appuyer sur des startups pour accélérer sa transformation digitale. Elle a ainsi mis la main sur Stuart en mars 2017 pour aller plus vite sur la livraison du dernier kilomètre ; le montant de la transaction n’est pas communiqué. Elle incube par ailleurs de nombreuses startups avec StartinPost où elle ne manque pas d’aller puiser de bonnes idées et des talents !

Des marketplaces explosent et imposent leurs standards. Toujours plus nombreux, les e-consommateurs deviennent de plus en plus exigeants et mettent sous pression les e-commerçants de plus en plus petits. Au final, ce sont des enjeux très forts qui pèsent autour de la livraison, cette dernière frontière entre le e-commerce et les magasins physiques. Il est clair que les investissements actuels chez les transporteurs et dans les jeunes pousses vont dans le bon sens. Selon moi, ils vont continuer de plus belle parce qu’il reste encore de nombreux “pain-points” à résoudre.

En revanche, alors que chaque start-up vise à simplifier une étape du processus de livraison, la multiplication d’acteurs ultraspécialisés finit par complexifier la vie des petits e-commerçants. Au-delà des solutions techniques, l’expertise et la capacité à accompagner les marchands en ligne seront les facteurs clefs de succès pour les acteurs du marché de la livraison dans les années à venir.  

Pour finir, les e-consommateurs demandent chaque jour une livraison plus rapide avec l’impact que cela a sur l'organisation logistique des e-commerçants et des transporteurs… Éduquer les consommateurs sur la complexité de réduire le « clic to possession » (temps entre sa confirmation d’achat et la livraison effective) semble aujourd’hui vain. L’essor du e-commerce va en revanche clairement impacter la façon de produire et nous allons vers un rapprochement des centres de production en direction des clients par tous les moyens, jusqu’à s'installer dans nos centres urbains voire dans le salon des consommateurs avec les imprimantes 3D pour les objets de consommation courants… Et pourquoi pas ?