Philippe de Chanville (ManoMano) "La demande étant très forte, ManoMano a accéléré les dépenses média et marketing"

Le JDN poursuit sa série d'interviews sur la réaction des entreprises face à la crise du coronavirus. Le cofondateur de ManoMano explique comment il accompagne la hausse de la demande provoquée par le confinement.

Philippe de Chanville, cofondateur de ManoMano. © ManoMano

JDN. Quel est l'impact du coronavirus sur l'activité de ManoMano ?

Philippe de Chanville. Nous avons constaté une diminution du nombre de requêtes sur Google concernant l'univers de la maison au cours des quinze premiers jours de confinement. Mais depuis deux semaines, nous observons une augmentation des requêtes sur notre verticale. Cette tendance se traduit par une augmentation de la demande. Peu d'acteurs de notre secteur vendent sur Internet et nous avons pu en profiter. Nous avons enregistré une forte baisse de la demande chez les professionnels du bâtiment car les chantiers sont au point mort, mais la situation s'est rétablie avec l'arrêt d'activité de leurs fournisseurs. Les professionnels du bâtiment prennent conscience des possibilités du digital. Le véritable défi pour ManoMano reste celui des livraisons en Italie ou en Espagne, car si on ne peut pas livrer cela signifie qu'on ne peut pas vendre. 

Comment expliquez-vous une augmentation de la demande alors que l'enquête publiée par la Fevad le 30 mars sur l'impact du coronavirus met en exergue les difficultés du secteur "équipement de la maison" ? 

La situation est assez inégale suivant les régions et les pays. En Espagne, nous enregistrons une faible croissance. En Italie, nous jonglons beaucoup en fonction des régions fermées où la logistique est à l'arrêt comme en Lombardie, à Bergame ou Côme. Partout, comme en France, nous devons nous adapter avec les transporteurs car tous les habitants n'ont pas accès à notre offre.

"Les professionnels du bâtiment prennent conscience des possibilités du digital"

Globalement, malgré la situation, nous réalisons de meilleurs résultats que ceux espérés, en établissant une croissance des ventes à trois chiffres par rapport à la même période l'année dernière. Par exemple, les ventes de peinture ont explosé et ce, pour deux raisons. Premièrement, le printemps est la saison idéale, deuxièmement le confinement facilite l'achat de la peinture sur Internet et les consommateurs réalisent que les prix sont même plus attractifs qu'en magasin. Le digital trouve sa place. 

Vous êtes-vous adapté à cette nouvelle clientèle ?

Nous savons que les clients souhaitent acheter mais certains n'osent pas franchir le pas par manque de conseils, du fait qu'ils ne peuvent plus sortir. Nous avons réfléchi à un moyen de les aider. Nous avions déjà un dispositif d'aide à l'achat proposé sur le site, incarné par une communauté d'experts, les Manodvisors. Une deuxième communauté, SuperMano, existait déjà aussi pour effectuer des travaux de bricolage à domicile. Pour soutenir l'activité des SuperMano, nous avons décidé de les rémunérer afin qu'ils conseillent gratuitement le grand public en ligne ou par téléphone sur les travaux et entretiens nécessaires pendant le confinement. Le service AlloMano est né de cette manière début avril, en à peine dix jours. Pour nos clients et nos vendeurs, nous avons également développé un certain nombre de widgets afin de déterminer au jour le jour, si la vente est possible ou non en fonction du code postal de la commune, selon les informations communiquées chaque matin par les transporteurs.

"Nous avons basculé notre force commerciale sur le suivi de nos 3 000 marchands"

Comment accompagnez-vous les vendeurs de la marketplace en cette période ?

Nous avons freiné les recrutements de nouveaux marchands et nous avons basculé notre force commerciale sur le suivi de nos 3 000 marchands. 87% d'entre eux ont besoin de vendre plus pour compenser les pertes qu'ils enregistrent, la moitié nous sollicite sur la trésorerie et, à notre niveau, nous multiplions les avances de trésorerie. Enfin, 37% de nos marchands ont besoin de personnel supplémentaire pour répondre aux demandes. Nous avons mis en place des partenariats avec des agences d'intérim pour faire bénéficier nos marchands de deals préférentiels et de recrutement immédiat dans les entrepôts. 

Nous ne voulons pas promouvoir notre business au détriment de la santé des vendeurs. Dès le début, nous leur avons livré du gel hydroalcoolique en quantité. Nos vendeurs ont rapidement rencontré des difficultés : tous ceux qui vendaient ailleurs ne vendaient plus. Ceux qui vendaient en magasin ou via la grande distribution n'étaient plus en mesure de le faire. Nos marchands souhaitent à tout prix continuer à vendre sur notre site, qui constitue leur seul canal de vente ouvert. Nous sommes restés ouvert avec l'objectif que les vendeurs respectent toutes les normes de sécurité.

A quoi ressemble la vie d'entreprise chez ManoMano depuis le début du confinement ? 

Avec le mouvement des Gilets jaunes puis les grèves, nous avons eu l'occasion d'organiser notre activité à distance. Quand le coronavirus est arrivé, l'entreprise était déjà rodée. Le contexte ne bouleverse pas du tout notre manière de travailler. Tous les matins, les équipes prennent le café ensemble en visio pour que personne ne soit mis de côté. Certains vivent un confinement solitaire et les relations professionnelles sont parfois les seules interactions sociales. Tous les soirs, en Comex, nous faisons un bilan des échanges réalisés le matin avec les équipes. Chaque vendredi matin, les 470 salariés de ManoMano participent à une réunion de 30 min sur Zoom pour dresser le bilan de la semaine écoulée. Le but étant de maintenir ce sentiment d'appartenance à l'entreprise.

"Toutes les équipes sont en télétravail, personne n'est en chômage partiel"

Dans le cadre de la crise, nous avons mis en place une journée par personne et par mois en collaboration avec la plateforme Vendredi pour que nos salariés aident les personnes démunies. Nous offrons également une demi-journée par semaine à tous les salariés parents d'enfants de moins de 16 ans afin qu'ils assurent le suivi scolaire et qu'ils profitent de leurs proches. La famille est une valeur fondamentale chez ManoMano. 

Toutes les équipes sont en télétravail, personne n'est en chômage partiel, et nous accélérons les embauches. Nous avons recruté une quinzaine de personnes au cours des deux dernières semaines, notamment au service client pour faire face à la demande. 

Dans quelle mesure avez-vous revu vos objectifs ?

Au début de la crise, nous avons commencé à prévoir un plan pour tout geler mais lorsque nous avons constaté que la demande était très forte dans certaines régions, nous avons accéléré nos dépenses média et marketing en vue d'être plus présents. En effet, nos marchands ont du stock et sont prêts à vendre. Si la logistique fonctionne, nous n'avons pas de raison de ne pas être présent. Historiquement, dans notre verticale, le pic d'activité de l'année se déroule maintenant, entre avril et mi-juillet, avant le départ en vacances, pour préparer l'été. C'est notre saison forte habituellement et on s'aperçoit qu'elle a lieu quand même, car le confinement nous contraint à rester chez nous. Nous sommes donc plutôt optimistes aussi bien pour les salariés que pour le marché pour les semaines à venir.

Philippe de Chanville, diplômé de l'Edhec et de la London School of Economics, débute une carrière dans la finance, à Londres, chez BDO Stoy Haywards en M&A & restructuring avant de devenir investisseur en Private Equity chez Caledonia Investissement.  Père de cinq enfants, le franco-américain de 39 ans, rejoint ensuite Otium Capital en tant qu'investisseur en Venture Capital, où il rencontre Christian Raisson, son futur associé avec qui il créera ManoMano en 2013.

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