Abonnements dans la grande distribution : les limites d'une conversion en trompe-l'œil

L'abonnement continue de creuser son sillon dans la distribution. Après l'emballement du deuxième semestre 2021, Casino remet le sujet sur la table.

L’enseigne, fondée par Geoffroy Guichard, vient d’annoncer un tarif préférentiel, pour les plus de 65 ans, de l’abonnement Casino Max. 3 euros par mois ou 30 euros par an. Le principe de ce modèle économique est désormais connu : proposer des abonnements compris entre 5,99 € et 9,90 € par mois qui donnent accès à des remises (entre 10% et 15% par mois sur des produits MDD) et à la livraison gratuite. Tout comme l’objectif : garder ses clients, en particulier dans un contexte inflationniste aiguisé par la crise ukrainienne. Toutefois, pour exprimer son potentiel, ce modèle présuppose que le client soit toujours satisfait des produits ou du service fournis. Autrement dit, l’entreprise doit systématiquement remettre le métier sur l’ouvrage. A l’exemple de Netflix.

Le modèle Netflix : le triomphe de l’expérience

En dépit de résultats financiers décevants durant les deux derniers quarters, le spécialiste de la SVOD est devenu, en 15 ans, l’allégorie la plus flamboyante de cette économie de l’abonnement. Dans un article passionnant intitulé "You're Not Just Binge Watching Netflix. You’re Having an ‘Experience" et publié dans le Wall Street Journal, la journaliste Nat Ives donnait la parole à Todd Yelling, le VP du Produit chez Netflix. Celui-ci expliquait que "l’expérience du produit est plus importante que le produit lui-même. Tout tourne autour de cela. Notre entreprise étant fondée sur l'abonnement, nous devons tout faire pour que les gens continuent de s’abonner". Cette expérience se fonde notamment sur des recommandations personnalisées. Ces dernières font d’ailleurs l’objet d’un soin particulier. Dans les faits, 80% des contenus consommés sur sa plateforme ont été recommandés par ses algorithmes.

Malheureusement, l’abonnement tel qu’il est mis en place par la grande distribution est très éloigné de cet impératif. Certes, les avantages sont tangibles et immédiats - en deux caddies - l’abonnement est rentabilisé, facilitant ainsi les souscriptions. Toutefois, sur la durée, elles ne permettent ni de fidéliser les clients, ni de tenir la concurrence à distance ni même d’échapper à la surenchère du prix le plus bas. Il s'agit, en somme, d’un remake de la guerre des prix. Une course au moins-disant dont certaines enseignes de la grande distribution parviennent pourtant à s’extraire.

L’exemple nord-américain : enrichir l’expérience proposée et s’émanciper du diktat du prix

Depuis 2017, Loblaw, le n°1 de la distribution alimentaire au Canada propose PC Insiders, un programme de fidélisation par abonnement à 119 dollars canadiens par an. Mais contrairement à la proposition de valeurs des distributeurs français, les avantages proposés par Loblaw dépassent le périmètre du point de vente et s’étendent aux services proposés par des partenaires. Avec des remises de 5% pour la location de voitures, les réservations d’hôtel et les vols. La livraison à domicile est bien entendu gratuite tout comme le click and collect avec une priorité sur les horaires (un service qui coûte entre 3CA$ et 5CA$ pour les non abonnés). Cette "servicisation", comme on dit au Québec, a également inspiré Walmart.

Walmart+, le programme d’abonnement du numéro un mondial de la distribution, lancé en pleine pandémie, est fondamentalement orienté services. Des services particulièrement pratiques. Des réductions sur l’essence à la fois dans ses propres stations-service et dans celles de ses partenaires - une prestation essentielle dans un pays où, selon l'office statistique du Département du travail, le prix des carburants a grimpé de 58,1 % sur un an. Mais aussi la mise en place d’un service de livraison InHome directement dans le frigo ou le garage des clients abonnés au service.

Le service plutôt que la remise immédiate

Bien qu’embryonnaires, ces initiatives constituent déjà le modèle vers lequel la grande distribution hexagonale doit tendre : enrichir l’expérience proposée et s’émanciper du diktat du prix. D’ailleurs, cette ambition est retranscrite dans les mots choisis par Walmart et Loblaw pour présenter leur projet d’abonnement. Le premier parle "d'une adhésion qui vous aide à gagner du temps et de l’argent" et le second du "programme d’abonnement qui vous offre encore plus de récompense, de commodité et de services"… Là où en France nous parlons encore principalement de remise immédiate sur les courses.

L’essor de l’abonnement a pour moteur le besoin des distributeurs de se différencier de la concurrence tout en fidélisant leurs clients. Un moteur qui n’est pas prêt de s’arrêter. Preuve en est, on observe l’émergence de nouveaux services comme les early shopping qui permettent aux clients abonnés de réaliser leurs achats en magasin en dehors des horaires d’ouverture (Sam’s Club), les cartes de crédit à 0% qui permettent aux abonnés de payer leurs achats en 24 mois (Tesco) ou la mise en place de hotlines (téléphoniques ou par WhatsApp) accessibles 24/7 et réservées aux abonnés (Hy-Vee, Albertsons ou encore Monoprix).

Incontestablement, la distribution est à l’orée d’une profonde mutation. Certes, l’abonnement n’est pas une formule magique. Mais elle peut être une véritable martingale pour des distributeurs pris en étau entre une nouvelle concurrence protéiforme et des clients dont les habitudes de consommation ont été totalement bouleversées durant les 24 derniers mois. A condition toutefois de l’asseoir sur des services qui changent le quotidien de leurs clients et leur apportent des bénéfices visibles et immédiats.