Alexandre Meerson (CDO Sephora) "Chez Sephora, on ne va pas commodiser la relation client en mettant un robot en face"

Présent au salon One to One retail e-commerce, Alexandre Meerson, directeur digital, data et IT EMEA pour Sephora, détaille au JDN comment Sephora intègre l'IA générative.

JDN. Quelle est la stratégie de Sephora en matière d'IA générative ?

Alexandre Meerson, directeur digital, data et IT EMEA Sephora. © Franck-Juery

Alexandre Meerson. Nous n'avons pas de projet d'IA générative. Nous avons des projets business qui exploitent l'IA générative. Nous parlons d'augmentation des compétences plutôt que d'un remplacement. Parce que l'IA n'est pas intelligente, c'est un partenaire d'entraînement, moins bon que vous, qui vous challenge.

La data et l'intelligence artificielle sont partout chez Sephora depuis de nombreuses années. Ce que l'IA générative a apporté, c'est un choc émotionnel au système. Je n'ai pas de chiffres précis, mais l'IA générative ne représente peut-être que 5 ou 10% de l'IA chez Sephora. L'IA est utilisée dans la plupart de nos systèmes, et l'IA générative est utilisée pour des cas d'usage véritablement demandés par le business. Ce n'est pas l'IT ou le digital qui pilote, mais véritablement l'analyse des besoins.

Quels sont les besoins que vous avez identifiés ?

Nous assistons nos conseillers et nos conseillères dans leur parcours de formation en personnalisant les programmes avec leurs questionnements et le contexte de leur point de vente. Nous investissons énormément dans notre université. L'IA générative est utilisée pour faire la synthèse des savoirs de l'entreprise. Rendez-vous compte que nous avons des experts de beauté en République tchèque, en Pologne, en Espagne, en Italie. Avec l'IA générative nous leur permettons de continuer à travailler dans leur langue pour mettre à la disposition d'une Anglaise l'expertise d'une Grecque en traduisant instantanément la vidéo ou le texte. Ce qui est fantastique avec l'IA générative, c'est l'exploitation non seulement des données chiffrées, mais également des contenus de savoir.

Un exemple de cas d'usage d'IA générative dans la relation client en magasin ?

Les cas d'usages viennent directement du terrain lors de la formation de nos collaborateurs. Un exemple : l'accueil d'une cliente étrangère qui ne parle pas votre langue. Comment vous l'accueillez ? Comment lui permettez-vous d'exprimer un besoin, de le traduire et ensuite faire de lui faire une recommandation elle-même traduite ? Nous sommes aujourd'hui en prototype avec un système qui permet à une conseillère, via une app, de laisser un client dicter une question puis d'avoir des recommandations personnalisées. Nous travaillons également sur le search qui est très important pour les conseillers. "Dis-moi quel produit ne contenant pas tel composant, est plutôt adapté à tel type de peau..." C'est un outil d'assistance brillant qui se nourrit à chaque nouvelle requête.

Côté digital, avez-vous intégré l'IA générative conversationnelle ?

Evidemment, nous le testons. Mais assez récemment, nous sommes devenus assez matures pour sortir d'une logique d'outil. Nous savons pourquoi nous réussissons et où nous voulons aller. Nous avons construit toute notre réputation sur la confiance entre la conseillère et le client. Par conséquent, c'est sur ce sujet que nous allons mettre notre énergie. Aujourd'hui, on ne va pas commodiser cette relation en mettant un robot en face.

"Nous travaillons sur des méta - robots capables d'orchestrer plusieurs IA."

En revanche, nous utilisons l'IA générative au customer service pour filtrer et assister les opérateurs. L'IA, parfaitement intégrée à l'ensemble des systèmes d'informations, peut ordonner au système d'aller chercher où est le colis puis préparer la réponse pour qu'elle puisse être ensuite envoyée par un humain qui la personnalise.

Pour toutes ces intégrations, avez-vous développé des LLM en interne ?

Nous sommes obsédés, bien sûr, par la sécurisation de ce savoir, mais sommes agnostiques en termes de technologie. Il peut s'agir de ChatGPT à certains moments, ou de LLM plus privés. Depuis la publication d'OpenAI, les prestataires ont beaucoup évolué. Nous n'en sommes plus à dire "on va tester 10 outils", on teste des use case et c'est une grosse révolution.

Notre objectif est de pouvoir passer d'un LLM à l'autre comme nous le souhaitons. J'aime bien également l'approche de certains qui est de spécialiser des IA par domaine. Aujourd'hui, nous réfléchissons à l'orchestration des IA. Nous avons une multitude de chatbots et outils mis à disposition des métiers. Notre équipe consumer and market intelligence a son propre outil d'IA générative pour interroger une base de connaissances et analyser toutes les études que nous avons menées depuis des années, etc. Maintenant, nous travaillons plutôt vers ce que l'on appelle des méta-robots capables d'orchestrer plusieurs IA. Pour cette partie, nous avons décidé d'internaliser l'expertise.

Selon vos convictions, comment le retail doit-il aborder l'IA générative ?

Les gens qui ne seront éclairés que par la data prendront les mêmes décisions que tout le monde. Par définition, elles seront donc mauvaises. Nous savons une chose chez Sephora : le retail ennuyeux est mort. La data supporte la partie opérationnelle, mais nous avons aussi un rôle de création. Je vous donne un exemple. Nous avons demandé à une IA quel est le meilleur moyen d'augmenter la taille de notre business. L'IA a répondu, je schématise, "il faut vendre des produits mass market, ou plus de produits en volume, parce qu'il y a une demande sur le marché". Nous avons fait exactement le contraire : nous avons réduit la taille de notre assortiment, nous nous sommes concentrés sur des exclusivités et des axes très travaillés d'usage. Et c'est cela qui fait notre succès.

Alexandre Meerson démarre sa carrière dans l'industrie horlogère. En 1993, il la poursuit chez LVMH et entreprend des projets digitaux en devenant associé et co-fondateur d'Angie Interactive. En 2000, Alexandre Meerson est nommé directeur des nouvelles technologies (e-commerce) du groupe Sodexo. Il y reste 7 ans, en élargissant son scope sur des fonctions transformation digitale, e-commerce et projets business internationaux. Depuis 2007 , il collabore avec des marques de luxe, notamment chez LVMH et Richemont , autour de missions de stratégie, e-commerce, distribution multicanale, CRM... En 2011, il fonde en parallèle la Maison MEERSON (marque de créateur de haute horlogerie). Il intègre Sephora en 2022 pour y diriger le e-commerce en Europe et Moyen Orient avant de devenir en 2023, directeur digital, data & IT.