Seconde main : après l'échec du C2C, quelles options pour les marques ?

Seconde main : après l'échec du C2C, quelles options pour les marques ? Alors que le marché de la seconde main est structuré pour les catégories high tech et bricolage, les distributeurs de textile cherchent encore un modèle.

Claudie Pierlot, New Balance et Maison 123 sur le seul mois de février 2024. Les nouveaux arrivants sur le marché de la seconde main se multiplient. Avec deux idées en tête : récupérer une partie de la valeur qui leur échappe sur des plateformes comme Vinted et Leboncoin et répondre à des obligations RSE qui n'ont cessé de se renforcer ces dernières années.

Mais quel modèle adopter ? La marketplace C2C, le reconditionnement-revente, la simple revente en B2C… Si certaines verticales, comme la téléphonie ou les équipements sportifs, sont plus matures sur le sujet que le textile, "les fondamentaux d'une activité de seconde main restent les mêmes, quelle que soit la catégorie de produits", répond Gautier Feld, co-fondateur de l'outil de rachat Circular X.

La fin de l'ère C2C

Entre 2017 et 2020, face à la montée en puissance d'un acteur comme Vinted, les marques ont d'abord tenté de répliquer le modèle de la marketplace entre particuliers.  Aujourd'hui, presque toutes en sont revenues, à l'instar de La Redoute ou Cyrillus. Ce qui n'étonne pas Gautier Feld : "Le modèle du C2C multimarques n'est pas viable, les marques font face à des pure players trop forts et le modèle n'apporte pas suffisamment de valeur." Pour rappel, Vinted n'était pas rentable en 2022. Kiabi reste le seul acteur majeur à proposer une marketplace multimarque, mais sans communiquer sur la rentabilité de leur service.

Pour apporter une expérience plus qualitative, une partie des marques ont alors tenté de limiter l'offre de la marketplace à leurs propres produits. "Nous prônons un modèle marketplace en marque blanche où est revendue la griffe en question. C'est la condition pour créer une expérience", affirme Max Herrmann, CEO de la solution de marketplace Nopli. C'est le modèle qu'à choisi Zara avec son site "pre-owned". L'offre avait également été lancé par Ba&sh, Jacadi, Petit Bateau et d'autres. Là encore, les marques, exceptés Zara, ont rebroussé chemin.

Ba&sh a revu sa stratégie pour "passer d'une offre purement servicielle à un véritable business", selon Pierre-Arnaud Grenade, son CEO. Pour le dirigeant, la marque ne pouvait continuer avec un modèle qui n'offrait pas assez de maîtrise. "Ce n'était pas scalable", estime-t-il. Avec une marketplace, la marque n'a en effet pas le contrôle de l'offre. Or les prix et la qualité de l'expérience en seconde main ont un impact sur l'image de marque. Un sacrifice à faire quand les produits ne sont pas positionnés haute gamme ? C'est en tout cas ce que pense Max Herrmann : "Pour les marques dont les produits sont moins chers, le seul modèle envisageable reste le C2C pour avoir de la rentabilité". Dans la mode, la marketplace de seconde main C2C représente en moyenne 2% du CA e-commerce et peut atteindre jusqu'à 10% sur l'équipement sportif ou les marques avec une "communauté très engagée" selon Nopli.

L'un des enjeux des marketplaces, qu'elles soient multimarques ou non, est la largeur de l'offre. Pour que celle-ci soit pertinente pour le client final, il faut du volume. "Investir 10 millions d'euros, ou même un million, dans une plateforme technologique C2C c'est une chose, expose Laurent Thoumine, directeur retail, mode et luxe chez Accenture. Après, il faut la faire connaître face à Vinted, et ça ce sont des budgets".  Pour répondre à cette problématique de l'offre, La Redoute opère une marketplace avec des vendeurs professionnels comme Crush On ou Selency. "C'est un modèle intéressant, commente Gautier Feld. Seulement elle ne répond pas à la problématique du client qui veut revendre son produit".

La rentabilité du reconditionnement-revente

De son côté, Ba&sh a basculé vers le modèle du rachat, reconditionnement puis revente par la marque. Il est également celui de la plupart des enseignes du bricolage, du high-tech et du sport comme Leroy Merlin, Boulanger ou Decathlon. Concrètement, le client se voit racheter son produit (par virement ou bon d'achat abondé), l'enseigne le reconditionne puis le revend avec une expérience d'achat proche de celle du neuf.

Un modèle couteux qui n'est en revanche rentable que sur certaines gammes de produits. "Evidemment, sur les valeurs de rachat très faibles, des acteurs ont souffert et beaucoup d'autres se cherchent, concède Gautier Feld. Mais au-delà d'une certaine valeur, c'est tout à fait viable". Selon Accenture, la seconde main peut être rentable quand le prix du produit en occasion est de 30 euros ou plus. Une valeur à partir de laquelle le distributeur peut espérer reconstituer son taux de marge habituel, selon Laurent Thoumine :  "Quand vous vendez des robes à sept euros, ça ne peut pas tenir économiquement". Pour le CEO de Nopli, le coût du reconditionnement industrialisé ne peut descendre en dessous des 10 euros par produit. "La question reste : qui supporte ce coût ?, interroge Max Herrmann. Sur un panier à 100 euros, le client peut être prêt à payer cette somme, mais pas sur un panier à 20 euros."

Un constat peut-être amené à évoluer : le directeur retail d'Accenture et le cofondateur de Circular X s'accordent sur un durcissement à venir des réglementation RSE. "La taxe carbone arrivera un jour ou l'autre, analyse Laurent Thoumine. Si on inclut la potentialité d'une taxe carbone, la vraie rentabilité de ces produits de seconde main est plus importante."

Pour Laurent Thoumine, il est toujours plus facile de proposer le reconditionnement quand le distributeur possède déjà le savoir-faire comme c'est le cas pour Boulanger dans le high-tech, Eram pour la chaussure ou encore Decathlon dans le sport. Mais dans la mode, le reconditionnement trouve aussi son public auprès des marques premium telles que Maje, Sandro, The Kooples, Balzac Paris, Hugo Boss… Pour simplifier le modèle, elles ne reprennent que les produits de leur marque. "Mais cela réduit un peu l'intérêt de l'offre pour le client", estime Gautier Feld.

Sur ce modèle, Ba&sh seconde main a enregistré 1,15 million d'euros de CA en 2023, soit 5% de ses revenus e-commerce France. "A terme, l'objectif est que le canal soit rentable sur la seconde main pure et qu'il remplace une partie des soldes", confie Pierre-Arnaud Grenade. Sur ce segment, 40% des clients sont de nouveaux clients de la marque. En 2024, le groupe veut doubler son CA seconde main pour qu'il pèse 10% des revenus du groupe d'ici trois ans. "Mais beaucoup de marques n'en sont pas là, précise Marjorie Biawa, consultante retail experte de la seconde main. Elles sont très peu à avoir autant investi".

Aujourd'hui, le marché se structure. Pour Laurent Thoumine, il faut qu'un acteur soit capable "d'instaurer un processus industriel" pour amener une véritable rentabilité sur la seconde main. Selon nos informations, un groupe de prêt-à-porter coté en bourse s'apprête à créer une société pour supporter la supply chain (collecte, triage, pillage, etc.) de l'activité de seconde main de ses marques. L'entreprise pourrait à l'avenir ouvrir les services de sa future société à d'autres marques du secteur.