Trois stratégies pour valoriser ses invendus en e-commerce

Trois stratégies pour valoriser ses invendus en e-commerce Les invendus représentent un chiffre d'affaires de plus en plus important pour les marques, mais quelle est la bonne formule pour piloter sa stratégie outlet en ligne ?

Hausse des stocks excédentaires dans la mode, interdiction de destruction des invendus non alimentaires depuis le 1er janvier 2022, contexte inflationniste rendant les consommateurs plus sensibles aux promotions… Autant de bonnes raisons, si ce n'est d'impératifs, pour les marques de se pencher sérieusement sur la gestion de leur invendus. Des produits qui représentent "au mieux, 25% de stock résiduel à la fin des soldes pour les marques textiles", selon Sophie Guiter, fondatrice de Fashion Business Consulting, cabinet de conseil en stratégie outlet. Face à cet enjeu, le JDN a analysé les trois principales stratégies pour l'outlet en e-commerce.

  Contrôle sur le taux de réduction Expérience de marque Risque de cannibalisation Levier d'acquisition clients Respect des marges Liquidités rapides Investissement
Onglet sur le site de la marque X X X   X   X
E-commerce dédié X X   X X   X
Destockeurs - rachat ferme du stock       X   X  
Destockeurs - vente conditionnelle X     X   X  
Destockeurs - marketplace X     X X    

Stratégie n°1 : la distribution sur son site

Outlet, Last Chance, Archive Sales… Quel que soit leur nom, ces onglets d'invendus sont de plus en plus fréquents sur les sites e-commerce, en particulier depuis le covid. "Les marques veulent reprendre la main sur un canal qui devient plus important que par le passé", atteste Cédric Rossi, senior equity analyst chez Bryan Garnier & Co. La gestion de ses invendus en propre permet un contrôle total sur les taux de réduction, la mise en avant et l'expérience d'achat en outlet. Une mainmise souvent indispensable pour des marques comme Claudie Pierlot ou The North Face, particulièrement soucieuses de leur image. "Sur leur site, elles peuvent se permettre un taux de réduction moins fort parce que le client reste dans l'univers de marque, avec une cohérence de collection et un service après-vente identique au neuf", précise Sophie Guiter, ex-directrice de la stratégie outlet de Zadig & Voltaire. Mathématiquement, sans intermédiaire, les marques récupéreront plus de chiffre d'affaires : "Si une griffe possède ses réseaux d'outlets, elle va perdre 30 ou 40% par rapport au prix du produit mais, in fine, cela représente quand même des revenus", détaille Cédric Rossi.

Un onglet sur leur e-commerce permet aussi aux marques d'être plus agiles en activant temporairement, aux moments les plus propices, cette offre. "Certaines marques, avec une bonne gestion CRM, vont jusqu'à cibler des clientes qui n'ont pas acheté depuis plus de deux ans, détaille la consultante. Elles leur envoient une newsletter avec un accès exclusif à la partie outlet du site."

Mais afficher des produits à -40% sur la même plateforme que la collection en cours peut s'avérer dangereux : "Si ce n'est pas ponctuel, cela me parait très risqué comme stratégie", estime Sophie Guiter. "Créer un outlet digital directement accessible sur leur site, c'est comme ouvrir une boutique bradée au 82, alors que votre boutique full-price est au 80", illustre Stephan Ploujoux, le directeur général adjoint de Showroomprivé. Un risque de cannibalisation que Cédric Rossi écarte : "Pour moi, c'est une crainte qui est exagérée. La plupart des consommateurs qui achètent outlet ne sont pas ceux qui seraient prêts ou qui auraient les moyens d'acheter le produit full price".

Stratégie n°2 : la création d'un e-commerce dédié

Pour pallier ce risque, certains groupes de textile, comme Inditex ou Mango, ont créé un site e-commerce dédié aux invendus. "Pour ces marques, le risque de cannibalisation est plus élevé car leur panier moyen, autour de 30 euros, est plus faible, analyse Cédric Rossi. Moins le delta entre le full-price et l'outlet est important, plus l'impact sur l'offre principale est fort". Alors que Mango a simplement nommé un nouveau site "Mango Outlet", Inditex a créé une nouvelle marque : Lefties. Une stratégie qui semble payante : la marque d'Inditex est passé de 3,5 millions de clients en 2019 à 5 millions en 2023 sur son marché historique, l'Espagne, selon les données de Kantar. "On peut se demander si ce n'est pas la possibilité pour certaines marques de capter une clientèle avec des "lignes bis" comme il y a dix ans", interroge la fondatrice de Fashion Business Consulting. Cette stratégie, assez similaire, consistait à aller chercher une clientèle plus jeune, moins argentée, mais qui pouvait passer sur la marque principale dans le futur.

En revanche, ce modèle d'un site dédié, très coûteux, est réservé aux groupes importants. "En termes de capex, d'inventaire, c'est quand même une logistique qu'il faut avoir", rappelle l'analyste en banque d'investissement. De plus, s'il est dédié à la valorisation des invendus, le site reste un e-commerce de mode. "Quand on récupère du stock pour le compte d'une marque, on va réorganiser des collections et les proposer avec des plans bien précis pour que des nouveautés arrivent tous les 15 jours", détaille Sophie Guiter. Une stratégie outlet en propre permet aux marques d'écouler jusqu'à 90% de leur stock résiduel selon Fashion Business Consulting, 10% reste toujours à valoriser.

Stratégie n°3 : le recours à des tiers

Qu'ils s'appellent Veepee, Showroomprivé ou Privé by Zalando, les sites spécialisés de déstockage sont plébiscités par les marques. "Il y a énormément d'entreprises qui n'ont pas les moyens de se faire connaître autrement ou de développer un circuit outlet", observe Cédric Rossi. Un constat partagé par Showroomprivé : "Beaucoup nous considèrent comme nécessaire pour deux objectifs : écouler leurs invendus et développer leur notoriété", explique son directeur général adjoint. Le site de ventes privées enregistre des taux d'écoulement moyens entre 30 et 40% par opération grâce à une force de frappe conséquente. Showroomprivé compte 20 millions de membres et près de 2 millions de VU en moyenne sur son site chaque jour. Une audience qui devient un levier d'acquisition pour les marques selon Stephan Ploujoux : "Quatre acheteuses Showroomprivé sur dix vont, après avoir acheté par opportunité chez nous, se tourner vers la marque en direct." Un argument qui laisse certains septiques. "On ne parle pas à la même clientèle en outlet et en full-price, estime Cédric Rossi. Les habitués des destockeurs retournent rarement acheter la même marque hors invendus."

Outre les enjeux de notoriété, les sites spécialisées sont aussi une solution selon les niveaux de trésorerie des entreprises avec trois modèles : le rachat ferme de stocks, la vente conditionnelle et la marketplace. "La vente conditionnelle, tout comme la marketplace, permet un certain contrôle pour les marques car seul le stock écoulé par le déstockeur sera vendu à ce dernier", explique Sophie Guiter. La plupart de ces plateformes proposent également des services additionnels comme la reprise et remise en état de produits d'exposition ou de stocks mal conservés. "Nous achetons et remettons en état d'être vendu plus de 10 millions de pièces chaque année", confie le DGA de Showroomprivé.  

S'ils limitent le risque de cannibalisation, les destockeurs sont moins bénéfiques pour les marges de la marque. En particulier avec un modèle de rachat ferme où le flux de liquidités est immédiat mais le prix d'achat très faible. "Nous proposons des réductions de 40 à 70% à nos membres. Nous achetons nécessairement les produits à des prix très compétitifs.", confirme Stephan Ploujoux. Des taux de démarques qui peuvent aussi nuire à l'image de marque selon Cédric Rossi : "Quand vous confiez les stocks et la vente à des acteurs spécialisés, rien ne les empêche de porter la réduction à 60, 70% ou 80% du prix réel, insiste-t-il. Cela impacte votre image parce que vous pénalisez la légitimité de la marque aux yeux du consommateur."

Attention, ces différentes stratégies outlet ne doivent pas forcément être opposées. "Rien n'empêche une marque d'utiliser tous ces canaux, selon Cédric Rossi. Sur des invendus désirables où la démarque sera seulement de 20 ou 30%, autant le faire en propre. Et sur la partie des stocks en fin de vie, où le discount atteindra 60 ou 70%, passer par des spécialistes devient intéressant parce que les marques ne veulent pas forcément afficher ces promotions sur leur site."