Comment l'IA générative va redéfinir la fonction commerciale
Il est souvent question des impacts de l'IA sur les métiers de l'IT, du marketing, de la création ou de la communication mais plus rarement sur ceux de la vente. Pourtant, l'IA générative est appelée à redéfinir les contours de la fonction commerciale. Selon une étude de Gartner, 60% des tâches réalisées par les vendeurs dans le BtoB pourraient être réalisées par des technologies d'IA générative d'ici à 2028, contre moins de 5% en 2023.
De la génération automatisée de leads à l'aide à la négociation, les grands modèles de langage peuvent potentiellement intervenir à tous les stades du cycle de vente. Sur le papier, l'automatisation d'un grand nombre de tâches manuelles et répétitives offre d'évidents gains de productivité. De sorte, selon une autre étude de Gartner, que les 10% de vendeurs les plus matures sur le terrain de l'IA économiseront suffisamment de temps pour cumuler secrètement plusieurs emplois en 2028.
A contrario, la dépendance excessive aux technologies d'IA pourrait, toujours d'après le cabinet d'études américain, faire perdre le sens du relationnel à environ 30% des nouveaux commerciaux qui entreront sur le marché du travail à cette échéance. Une qualité qui est pourtant l'essence même du métier de la vente.
Directeur de la formation continue chez Euridis Business School, Sylvain Fantoni fait le pari inverse. "Alors que, demain, tous les commerciaux seront augmentés par l'IA, les soft skills deviendront plus que jamais un élément différenciant. Ce qui génère de la confiance chez le client, c'est l'empathie. Il veut avoir en face de lui un commercial qui le comprend."
Des campagnes de prospection autonomes
Mais commençons par recenser les apports de l'IA à la fonction commerciale. Pour Yves Bourgoin, sales director chez HubSpot, tout commence par l'enrichissement des données. "Jusqu'à présent, les commerciaux scrollent les sites des entreprises, recherchent manuellement de l'information en ligne et la recoupe. L'IA va réaliser ces opérations et nourrir automatiquement la base de données."
Il suffit d'entrer une nouvelle entreprise dans un CRM dopé à l'IA pour connaître son activité, son positionnement marché, ses résultats financiers, son écosystème de partenaires et les personnes clés de son organigramme. Mieux encore, l'IA se base sur des clients ou des prospects "chauds" pour proposer des entreprises similaires et des personae cibles à démarcher.
Place ensuite à la prospection. Des chatbots peuvent, depuis le site web du fournisseur ou sur les réseaux sociaux, préqualifier les demandes de prospects. Comme de bons commerciaux, ils répondent aux questions des prospects, lèvent leurs objections et vont jusqu'à programmer des rendez-vous pour leurs collègues humains.
L'IA agentique va un cran plus loin. Une armée d'agents, occupant chacun un rôle défini, se coordonnent pour mener un ensemble de tâches. "Il est possible de concevoir des campagnes autonomes d'envois par e-mail, d'analyser leurs performances, de relancer des prospects voire de générer des leads", avance Micael Debast, VP solution engineering France du spécialiste de la gestion de la relation client Salesforce.
Avant toutefois de partir tête baissée, l'IA analyse la pertinence de l'opportunité commerciale et évalue la probabilité que le fournisseur emporte le marché. "Dans la phase du go / no go, ce score va éclairer la décision de débloquer ou non un budget dédié à l'avant-vente", poursuit Micael Debast. Si le go l'emporte, l'IA intervient dans l'analyse du projet client et la constitution de la proposition commerciale.
Le sparing partner du commercial
Pour aider à monter cette "propale" ou répondre à un appel d'offres, l'IA générative met à profit sa capacité à absorber un grand volume de documents, à commencer par le rapport annuel de 150 pages de l'entreprise ciblée, pour en tirer de précieuses préconisations. "Cette analyse permet aux commercial d'arriver chez le prospect avec une vraie proposition de valeur, en phase avec ses préoccupations réelles", note Sylvain Fantoni.
Selon lui, l'IA devient le sparing partner du commercial. "Ce dernier va la challenger pour améliorer la pertinence de son offre ou affiner la stratégie à tenir, comme il le ferait avec des collègues." L'IA vient également s'assurer que la proposition commerciale est bien cadrée. Pour cela, la plateforme de HubSpot se nourrit de méthodes de vente de type sandler ou spin selling, visant à améliorer le taux de transformation.
L'IA vient ensuite coacher le commercial avant l'entretien. L'agent Sales Coach de Salesforce "simule des situations de vente afin d'entraîner les commerciaux dans des scénarios de découverte d'un client, de prospection, ou de négociation". L'IA apporte également un éclairage contextuel en rappelant au commercial l'état de santé de l'entreprise qu'il va visiter, en retraçant l'historique des échanges et des ventes, en lui indiquant les devis et réclamations en cours.
Grâce à cette analyse, le vendeur n'est plus pris de court par les demandes du client potentiel. "A la question 'Avec quelles entreprises de notre secteur d'activité travaillez-vous ?', le commercial botte souvent en touche en disant : "Je reviens vers vous avec la réponse", note Yves Bourgoin. Avec l'IA, il a l'information immédiatement."
En sortie de rendez-vous, le commercial va rendre compte à l'IA, en mode vocal ou conversationnel, de ses échanges avec son interlocuteur. La machine va retranscrire ce débrief, le mettre en forme et renseigner les bonnes entrées du CRM. Elle peut aller jusqu'à générer le devis en allant chercher le bon mixte de produits ou de services souhaités par le client.
Enfin, l'IA peut assister le commercial dans l'activité ingrate de reporting pour compléter un tableur ou un tableau de bord et restituer graphiquement les données dans le format le plus adéquat (courbe, histogramme, camembert…). Ensuite, il peut naviguer dans son dashboard et interroger les données en mode conversationnel. Le vendeur demandera, par exemple, à l'IA : "Quelles régions sous-performent et pourquoi ?"
Challenger l'IA, développer un esprit critique
Sylvain Fantoni incite les commerciaux à la vigilance en rappelant que la pertinence des résultats proposés tient dans la qualité des données d'entraînement et que, par ailleurs, les outils d'IA générative reposent sur un modèle probabiliste. "Ce n'est pas parce que l'IA répond de manière péremptoire à tous les sujets qu'il faut prendre ces réponses pour argent comptant", alerte-t-il.
Euridis Business School développe ainsi l'esprit critique de ses étudiants afin qu'ils apprennent à raisonner, à se confronter à différentes sources d'information et à challenger l'IA. Les futurs ingénieurs d'affaires sont aussi sensibilisés à l'éthique des données et à la notion de privacy au regard du RGPD.
L'école de commerce continue à enseigner les fondamentaux des stratégies de vente qui ont parfois des dizaines d'années, tout en se concentrant sur l'oral. "Le rendez-vous commercial reste une rencontre entre deux êtres humains, rappelle Sylvain Fantoni, et le vendeur ne peut, face au client, interroger l'IA pour répondre. Il y a un risque déceptif côté client. Ce commercial si pertinent dans son offre déçoit en entretien."
L'expert se dit optimiste. Selon lui,"le métier de commercial a de beaux jours devant lui". L'IA permettra même d'attirer de nouveaux talents qui auraient pu être rebutés par le côté administratif du métier - les commerciaux passant une bonne partie de leur journée à renseigner un CRM ou à faire du reporting – ou par la phase de prospection pure confiée aux profils juniors en début de carrière.
Pour Yves Bourgoin de HubSpot, "l'IA ne remplacera pas le commercial mais le commercial qui maîtrise l'IA remplacera le commercial qui ne l'utilise pas." Pour appuyer son propos, il cite une étude Ipsos pour LinkedIn. Les "deep salers", des vendeurs qui utilisent massivement l'IA pour gagner du temps, sont près de deux fois plus susceptibles de dépasser leurs objectifs que les vendeurs dits "superficiels" (shallow sellers).
Micael Debast de Salesforce rappelle, pour sa part, que la vente est un mélange d'art et de science. "La partie science peut être confiée pour partie à l'IA. Reste au commercial à développer son intelligence émotionnelle, sa singularité et sa créativité afin de se différencier. Il doit arriver à parler au cerveau droit de son client."