Ces casse-tête juridiques qui attendent les villes intelligentes
Protection et détention des données, responsabilité, propriété… Les smart cities devront dépasser ou maîtriser un certain nombre de complexités réglementaires.
Si la smart city est censée simplifier la vie des citoyens, elle placera probablement les entreprises et les villes qui la mettent en place devant quelques casse-tête avant d'y arriver.
La protection des données personnelles
Au premier rang des complexités, la collecte et le traitement de données personnelles doivent se faire avec le consentement des personnes concernées. Mais avec la quantité de capteurs et la fréquence de la collecte que pourront atteindre les smart cities, ce consentement "va devenir difficile à recueillir", estime Clotilde Cazamajour, du cabinet UrbanLaw Avocats, qui conseille des sociétés et des collectivités travaillant sur des projets de smart city. "Par exemple, lorsqu'un citoyen passe devant une borne connectée ou une caméra, est-ce qu'on lui signale que des données vont être prélevées ?"
Et comme dans le reste du secteur technologique, les smart cities vont devoir se préparer à l'arrivée d'un nouveau règlement européen de protection des données personnelles (GDPR) en 2018. Il prévoit des protections des données personnelles renforcées et des amendes allant jusqu'à 4% du chiffre d'affaires de l'entreprise ou 20 millions d'euros.
La responsabilité
Si un système automatisé défaillant cause un accident, qui est responsable ? L'exemple le plus souvent discuté est celui du véhicule autonome. Alexandre Cardinaud, en charge de la conception des offres et services digitaux chez l'assureur Allianz, a présenté plusieurs cas de figure lors de la conférence Automotive Day fin juin à Paris. Première hypothèse, le conducteur pourrait rester responsable à 100%, ce qui serait difficilement acceptable, d'autant que les véhicules autonomes coûteront plus cher. Autrement, c'est le constructeur qui deviendrait responsable et se retournerait vers les fabriquant des différents composants qui pourraient être à l'origine de la défaillance. Dernière possibilité : la responsabilité sans faute du conducteur, qui verrait son assurance prendre en charge les frais engendrés par la défaillance et l'accident.
Pour Franck Cazenave, directeur smart cities France et Benelux chez Bosch, les responsabilités seront bien plus simples à définir que cela. Il estime qu'entre les niveaux d'autonomie 1 (assistance à la conduite) et 4 (le conducteur peut faire autre chose, mais doit pouvoir reprendre le volant au cas où), "le conducteur reste responsable et maître de son véhicule". Selon lui, tout change avec le niveau 5, c'est-à-dire l'autonomie totale. "Quand l'humain n'est plus impliqué dans la conduite, ce n'est plus une automobile mais une 'robotmobile'. Si je ne conduis pas et que la voiture fait tout, je ne peux plus être responsable." Il reconnaît cependant que des situations "moins limpides" pourraient se présenter.
La propriété des données
La question de la propriété va d'abord se poser en matière de données, qui représentent une part importante de la valeur créée par la smart city. L'enjeu pour les villes et les entreprises sera de définir clairement qui les collecte, les possède et a le droit de les exploiter. "Imaginons que je suis une collectivité et vous êtes une entreprise," spécule Clotilde Cazamajour. "Je vous concède le service public d'alimentation en eau potable, pour cela, je vous mets à disposition toutes les données que je détiens sur le réseau, mais aussi sur les administrés qui utilisent le service. Puis vous enrichissez les données. En cas de rupture de contrat, qui gardera les données ?"
"S'il y a une remontée de données, j'espère que la propriété et l'exploitation auront été discutées lors de l'établissement du contrat de délégation de la ville," s'étonne Franck Cazenave. Il estime qu'il suffit de bien ficeler le contrat dès le départ pour régler ce genre de problèmes. "ll faut déterminer qui génère les données, les exploite et détient la valeur si on crée de nouveaux services, surtout si vous avez une myriade d'opérateurs autour de la table, car l'enchevêtrement de données est un problème pour les villes. On doit avoir une réflexion globale sur la gestion des données, car leur croisement peut générer des services qui ne pourraient pas exister si elles étaient cloisonnées."
Passer de la possession à l'usage
Dans la smart city, de nombreux services partagés vont remplacer des biens qu'il fallait jusqu'ici posséder soi-même. Ce qui requiert un certain nombre d'adaptations. Clotilde Cazamajour prend l'exemple d'une résidence privée qui voudrait rejoindre un programme de partage de places de parking à la minute. "Cela implique d'exercer une activité commerciale, ce qui induit un changement de destination au niveau du code de l'urbanisme. S'il y a plus de dix places louées, la résidence devient un établissement recevant du public soumis à un certain nombre de normes (sécurité, incendie, accessibilité…) Des situations similaires peuvent se présenter dans le cas d'une mutualisation des courbes de charges (évolution de la consommation électrique) entre les copropriétaires sur un réseau électrique intelligent : l'usage n'est plus corrélé à la surface dont on est propriétaire, ce qui peut être contraire au code de la copropriété, selon Clotilde Cazamajour.
L'avocate conseille à ses clients maîtres d'ouvrage de prévoir ce genre de situations en amont, dès la conception d'un bâtiment, afin de demander les autorisations nécessaires dès le départ pour ne pas avoir à changer son statut plus tard. Pour elle, il faudra bien finir par adapter le droit à ces nouvelles réalités, car la société collaborative tend vers un droit d'usage, aujourd'hui peu garanti, plus qu'un droit de propriété, actuellement sanctuarisé. En attendant, elle suggère de prévoir des systèmes dérogatoires expérimentaux, qui permettraient à quelques start-ups de tester de nouveaux usages. C'est ce qui est fait en ce moment pour le carnet numérique d'entretien des copropriétés, actuellement testé dans quelques immeubles en France avant qu'un décret officialise la pratique, prévue par une loi de 2015. "C'est aussi un enjeu pour le développement des start-up des smart cities en France", prévient Clotilde Cazamajour.