Services publics : pas de modernisation sans les agents et les citoyens 

La transformation numérique du secteur public poursuit des objectifs nobles, mais les moyens nécessaires pour y parvenir et embarquer citoyens et agents publics tardent à être mobilisés. Décryptage.

Depuis la remise de son rapport au mois de février, la Défenseure des Droits Claire Hédon alerte sur les effets discriminants de la numérisation des services publics. Cette dernière a des ambitions fortes, mais les moyens engagés pour sa réussite ne semblent pas être à la mesure de l'enjeu, quitte à ce que les citoyens et les agents publics peinent à en adopter les avantages. Un constat qui souligne l’accentuation des différences entre les secteurs publics et privés sur la manière d’adopter les nouvelles technologies. 

De leur côté, les citoyens ont largement adopté les usages du e-commerce, du streaming en ligne, des nouvelles mobilités. En d’autres termes, ils sont habitués à ce que le numérique soit simple, personnalisé, et rapide. Parallèlement, ils formulent ces mêmes attentes en matière d’accessibilité et d’efficacité lorsqu’ils échangent avec les services publics. Ce besoin est d’autant plus fort depuis la crise du Covid, qui a rendu les citoyens davantage dépendants aux nouvelles technologies dans leur vie quotidienne, y compris dans leurs démarches administratives. Cette dépendance est parfois un handicap et la fracture numérique est un enjeu majeur à considérer.

Accompagner l’adoption et transformer les organisations

La transformation attendue présente deux aspects complémentaires. D’une part, il y a évidemment une problématique d’adoption par une partie significative de la population, dont l’accompagnement est indispensable pour qu’elle s’approprie les nouveaux services en ligne. L’accompagnement des agents est également nécessaire, car une solution n’est utile que si elle est bien utilisée. Il faut envisager les agents et les citoyens comme les parties prenantes d’une même chaîne de valeur numérique.

D’autre part, le secteur public est confronté à la même prise de conscience que beaucoup d’entreprises : se limiter à dématérialiser les usages papier est une voie sans impact réel. C’est un sujet certes ancien, mais force est de constater que la mise à l’agenda de la transformation est encore poussive, quand bien même les organisations publiques décident de s’appuyer sur des outils numériques. Ce serait pourtant l’occasion idéale pour transformer les processus, les organisations, les modes de management et les compétences, mais aussi pour cartographier les informations et les données à utiliser.

Adoption et transformation conduisent à une forme de double injonction paradoxale : il faut aller vite pour installer les innovations à l’état de l’art, mais il faut également mener une réflexion sur l’adoption des solutions numériques, le tout pour réduire les risques de fragiliser son organisation et son parc applicatif.

La nécessité d’une bonne articulation entre public et privé

L’administration ne peut pas tout, et certainement pas toute seule. L’accompagnement de ces transformations par des entreprises expertes est nécessaire, en interne et à l’externe. Le secteur public gagne à s’appuyer sur l’expérience du secteur privé en matière de projets de transformation : l’agilité, l’accompagnement, les indicateurs d’impact, la communication, la gouvernance de projet, la contractualisation même, sont autant de facettes à ne pas réinventer entièrement.

On constate déjà que les entreprises technologiques sont les vecteurs de la modernisation des services publics. Plutôt que de réinventer la roue, il s’agit dès lors d’utiliser les solutions éprouvées par des millions d’utilisateurs du privé pour les adapter au secteur public. A titre d’exemple, il a fallu attendre la prise de rendez-vous via Doctolib - acteur rompu à cette pratique - pour fluidifier enfin la gestion de la vaccination. De la même manière, il existe déjà des dizaines de cas d’usages sur lesquels le secteur public peut s’appuyer : centres de contact multi-canal, travail en mobilité, réunions à distance, tableaux de bord d’activité, plateformes de services unifiés, etc.

Le management, compétence plus que jamais indispensable

Au-delà de la nécessaire articulation entre le meilleur des deux mondes, il est évident que la bonne gouvernance des projets est un facteur d’équilibre dans la relation entre public et privé. Et c’est la réflexion sur la gouvernance des projets informatiques a le plus progressé. Mettre en place des intégrations, tester et évaluer des solutions, fournir des outils aux équipes métiers plutôt que de déléguer systématiquement les décisions technologiques aux directions informatiques des organisations publiques : voilà autant de pistes pour transformer les services publics.

Mais la gouvernance, c’est aussi le management des équipes. Contre-intuitivement, avec les outils numériques, il n’y a jamais eu autant besoin d’une présence managériale auprès des agents publics pour expliquer, valoriser, accompagner le changement. C’est à cette condition que le secteur public pourra servir au mieux les citoyens, tout comme le secteur privé satisfait ses clients. En intégrant ces bonnes pratiques et en tirant parti de l’expérience de tous, les organisations publiques pourront renforcer leur présence auprès de tous les usagers, y compris les plus éloignés des nouvelles technologies.