Markus Villig (fondateur et CEO de Bolt) "Bolt veut être prêt pour une entrée en bourse en 2025"
En 2013, à 19 ans, Markus Villig crée Bolt en Estonie. Aujourd'hui, l'entreprise s'est diversifiée dans les services de transport et compte 150 millions de clients. Il livre au JDN ses projets.
JDN. Bolt gère aujourd'hui un grand nombre d'activités, incluant le transport VTC, le covoiturage, la livraison de produits d'épicerie, la location de véhicules, et la livraison de nourriture. Quelle activité connaît la croissance la plus forte ?

Markus Villig. Notre principale activité reste le transport de personnes via la mise en relation entre conducteurs VTC et clients. Bolt est désormais la plateforme qui propose ses services de VTC dans le plus de villes à travers l'Hexagone avec une présence dans 28 villes et compte plus de 3 millions d'utilisateurs en France. Nous observons parallèlement une croissance rapide et un potentiel énorme dans le domaine de la micromobilité. Cette activité fait référence à la location de petits véhicules électriques de moins de 500 kilos.
Outre les trottinettes ou vélos électriques, nous étudions d'ailleurs la possibilité de proposer d'autres véhicules à trois ou quatre roues. Bolt est aujourd'hui le plus grand opérateur de trottinettes partagées en Europe avec une présence dans plus 260 villes à travers 25 pays. Au cours de la prochaine décennie, beaucoup de villes européennes devraient effectuer une transition vers ces nouveaux modes de transport.
La ville de Paris a pourtant décidé d'interdire la location de trottinettes par les plateformes. Quel regard portez-vous sur cette décision ?
C'est une décision regrettable, alors que la France se dit pourtant déterminée à vouloir agir pour l'environnement. Les voitures sont des véhicules lourds, souvent inefficaces pour circuler en agglomération. Les trottinettes, plus petites et légères, ont un meilleur impact sur l'environnement, la circulation, mais aussi sur la sécurité. Ma conviction est que ces véhicules seront disponibles dans la plupart des villes françaises au cours des 10 à 15 prochaines années.
Heureusement, nous n'observons pas la même réaction dans les autres villes européennes qui comprennent que, plutôt que d'interdire ces modes de transport d'avenir, il faut plutôt les réglementer et trouver des solutions aux problèmes, qu'ils soient liés au stationnement ou à la sécurité routière. Nos données montrent que déjà plus 20 millions de km de trajets en voiture ont été évités grâce au report modal sur nos trottinettes, soit l'équivalent de plus 2,4 millions de kg d'émissions de CO2.
Quel est le principal facteur de différenciation de Bolt par rapport à ses concurrents, dont notamment Uber ?
Bolt est une entreprise basée et centrée sur le marché européen. Nous concentrons donc beaucoup plus d'efforts pour dominer ce marché que nos concurrents pour qui l'Europe est une deuxième ou troisième priorité. Notre objectif est de proposer le meilleur rapport qualité prix à nos clients. Fournir un excellent service à un prix attractif n'est pas évident. Nous y parvenons grâce à une grande efficacité dans la gestion et l'optimisation des coûts. Enfin, nous nous efforçons d'être la plateforme la plus attractive pour les conducteurs en Europe, en offrant les taux de commission le plus bas possible.
Ce taux de commission serait en moyenne de 20 à 23% selon les marchés, est-ce exact ?
Nous avons un taux de commission qui varie en fonction des différents bonus que nous offrons aux chauffeurs. Notre philosophie derrière ces programmes d'incitation est de récompenser les chauffeurs qui offrent le meilleur service à la clientèle. Par exemple, en fonction du type de service fourni, du nombre de trajets ou encore des évaluations obtenues, un chauffeur peut cumuler différents bonus pour arriver à un taux de commission aussi faible que 5%.
Bolt nourrit de grandes ambitions sur le continent africain avec une présence dans sept pays. Vous avez récemment annoncé vouloir investir 500 millions d'euros au cours des deux prochaines années. Pour quels objectifs ?
Il y en a trois. Le premier est de poursuivre notre expansion géographique en continuant à nous développer dans de nouvelles villes et de nouveaux pays. Le second est de continuer d'investir dans notre technologie pour s'assurer qu'elle répond aux besoins locaux, que ce soit dans la sécurité ou le mapping. Nous investissons par exemple des ressources considérables dans la cartographie car utiliser Google Maps en Afrique n'est pas toujours aussi simple qu'en Europe. Même chose dans les services de paiement, où nous devons intégrer les modes de paiement locaux dans des pays où beaucoup de personnes n'ont pas de carte de crédit. Il faut notamment pouvoir gérer l'argent liquide. Enfin, nous voulons faciliter l'accès des conducteurs africains à l'acquisition de motos électriques, à défaut des scooters et motos à moteur à combustion.
Qu'en est-il d'une expansion aux Etats-Unis ? Pourriez-vous à terme décider d'aller concurrencer Uber sur son territoire ?
Nous pourrions l'envisager, mais je ne suis pas sûr que nous ferions ici un bon usage de nos ressources. Une fois seulement que nous aurons atteint notre objectif de dominer le marché européen, nous pourrons étudier une expansion sur de nouveaux marchés. Mais nous n'en sommes pas encore là. Je pense qu'il nous faudra encore au moins dix ans pour y parvenir car il nous reste encore beaucoup à faire en Europe.
Prévoyez-vous toujours d'atteindre la rentabilité d'ici 2024 comme vous l'aviez annoncé ?
Nous sommes sur la bonne voie. Pour autant, Bolt a déjà été rentable il y a quatre ou cinq ans et ce ne sera donc pas un événement majeur pour l'entreprise. Nous sortons d'une période d'investissement très importante, au cours de laquelle nous nous sommes étendus à de nouvelles activités et de nouveaux marchés. Nous revenons désormais à une certaine stabilisation, ce qui devrait nous permettre de retrouver la rentabilité.
Quelle est aujourd'hui l'activité la plus rentable ?
Pour calculer la rentabilité d'une activité, il faut prendre en compte plusieurs facteurs. Le premier est celui du montant des investissements initiaux, qui sont nécessaires pour développer la technologie et qui peuvent s'étaler sur deux ou trois ans. Aussi, à chaque fois que vous vous lancez dans un nouveau pays ou dans une nouvelle ville, vous repartez de zéro. En clair, il faut investir pendant plusieurs années avant qu'un marché devienne rentable. Notre activité VTC est rentable depuis longtemps car nous l'avons démarré il y a 10 ans. Pour de nouvelles activités telles que la location de voitures avec Bolt Drive, que nous avons lancé il y a seulement deux ans, il est naturel qu'il faille patienter encore quelques années.
Vous vous êtes lancé en septembre 2021 dans la livraison de produits avec Bolt Market. Beaucoup d'entreprises du secteur quick commerce peinent pourtant à atteindre la rentabilité. Qu'en est-il du côté de Bolt ?
Bot vise l'efficacité dans chacune de ses activités, mais beaucoup d'entreprises ne partagent pas cet ADN. Le secteur de la distribution de produits d'épicerie est connu pour ses marges faibles, entre 3 et 4%. Nous sommes bien loin des normes du secteur du software avec ses marges de 30%. De fait, vous ne pouvez pas utiliser le même mode opératoire, ni la même philosophie. Certaines entreprises technologiques n'ont probablement pas été capables de s'adapter à cet aspect opérationnel complexe. Du côté de Bolt, nous voyons ici une réelle opportunité de créer une plateforme permettant de gérer nos magasins de manière optimale, que ce soit dans le domaine de la gestion des stocks, la logistique, etc. Beaucoup de chaînes d'hypermarchés ou d'épiceries ne disposent pas d'une telle technologie. C'est pourquoi nous voulons permettre à ces acteurs de la distribution d'accéder à notre technologie. Nous avons déjà conclu deux partenariats dans ce domaine.
Pourquoi ne pas avoir lancé cette activité en France ?
Nous sommes toujours très méthodiques dans la façon dont nous sélectionnons les villes et les pays dans lesquels nous nous développons. Aujourd'hui, nous opérons Bolt Market dans six pays avec nos propres magasins. Parmi les nombreux critères de sélection, il y a évidemment l'aspect financier mais aussi le contexte réglementaire. En France, l'une des variables qui nous inquiétait était précisément la réglementation. Nous craignions que la population ne soit pas très enthousiaste de voir ces micro-entrepôts de préparation de commandes dans des zones urbaines. Et nous avions raison puisqu'aujourd'hui certaines communes semblent ne pas vouloir de dark stores.
Bolt a annoncé vouloir tester des livraisons alimentaires par des robots autonomes à Tallinn en partenariat avec la société Starship Technologies. Quand anticipez-vous l'intégration de cette technologie pour le déplacement de passagers ?
Même si je suis de nature optimiste en matière de technologie et que je crois fermement qu'un jour la conduite autonome changera le monde, nous devons nous montrer réalistes : nous en sommes loin. Il faudra encore de nombreuses années de développement avant que la technologie ne devienne suffisamment sûre pour être utilisée dans des zones urbaines. De plus, même si nous étions capables de concevoir une voiture autonome qui conduirait mieux qu'un humain, les coûts de fonctionnement seraient trop élevés aujourd'hui pour que cela ait du sens. Par ailleurs, nous ne souhaitons pas développer cette technologie nous-mêmes. Nous préférons nous associer à des universités ou des entreprises spécialisées, pour nous concentrer sur le développement des couches logistiques et opérationnelles.
Quel regard portez-vous sur les procédures réglementaires aux Etats-Unis ou en Europe, portant sur la requalification des conducteurs indépendants en collaborateurs ? Si une telle décision se confirmait sur l'un de vos principaux marchés, pourriez-vous continuer d'opérer ?
En tant que plateforme, nous serions sans doute toujours en mesure d'opérer, mais je ne pense pas qu'une telle décision soit bonne pour qui que ce soit. A commencer pour les conducteurs qui nous disent tenir à leur flexibilité. Dans la plupart des pays d'Europe, une grande majorité des conducteurs travaillent à temps partiel. Ils ont généralement un autre travail ou parfois font des études. L'industrie des taxis a toujours fonctionné avec ce modèle de conducteurs indépendants. Bien sûr, si certains conducteurs font ce travail à plein temps, et qu'ils souhaitent obtenir les avantages d'un contrat salarié, cela devrait être pouvoir être également autorisé.
Mais dans les discussions actuelles, la seule proposition avancée est que ce statut indépendant devrait être interdit. Cela n'a aucun sens et conduirait à pénaliser beaucoup de chauffeurs, alors qu'il n'y en a déjà pas assez. En retirant davantage de chauffeurs du marché, les prix et les temps d'attente risquent d'augmenter. Donc je ne crois pas qu'une telle réglementation soit bonne ni pour les chauffeurs, ni pour les consommateurs.
Confirmez-vous une entrée en bourse de Bolt en 2025 ?
Bolt étant presque rentable, nous nous trouvons dans une position où nous n'avons pas nécessairement besoin de financement externe. Nous n'avons donc pas d'urgence à faire une introduction en bourse, mais nous voulons être prêts en 2025. Même si ce n'est pas une obligation pour nous, nous souhaitons être en position d'avoir cette option à ce moment-là.
Markus Villig est le CEO de Bolt, une société qu'il fonde en 2013 à l'âge de 19 ans, frustré par le fonctionnement non optimal du système de taxis. Il développe lui-même une première version d'un logiciel de covoiturage et lance Bolt avec 50 chauffeurs qu'il recrute dans les rues de Tallinn. Bolt compte désormais plus de 150 millions de clients dans plus de 45 pays et 500 villes à travers l'Europe et l'Afrique.