Faciliter la transformation digitale par un « wording » optimisé des interfaces métier

Une bonne expérience utilisateur est un facteur clé de succès de la conduite du changement. Mais comment faire en sorte qu'elle soit satisfaisante, sans surinvestir dans l’esthétisme ou le gadget interactif ?

Comment se construit l’expérience utilisateur d’une interface métier ?

La base de l’expérience utilisateur d’une appli métier est sans doute la conception interactive (interaction design), donnant lieu au maquettage fonctionnel (souvent de type Axure). L’intervention d’un graphiste permet ensuite de mettre au point les aspects visuel et esthétique. Le « wording », le travail sur les « éléments verbaux » constitue un troisième volet de l’expérience utilisateur. Les trois types d’intervention sont bien sûr interdépendants.

Les éléments verbaux suivants constituent le volet « wording » d’une interface métier : 

  • Points de menu
  • Titres de page
  • Titres de parties de page (souvent fonctionnalités)
  • Libellés des champs à remplir
  • Consignes (y compris introduction d’éventuels liens texte)
  • Libellés des boutons
  • Messages de confirmation ou d’erreur

Quelles faiblesses de « wording » y observe-t-on souvent dans les entreprises ? 

Inconsistance linguistique – un même objet étant désigné par des mots ou des formes de mots différents, comme par exemple : 1) [Consigne] : « Pour changer votre mot de passe consultez votre profil ». Par contre, le lien sur l’interface correspondant ne s’appelle pas « profil » mais « mon compte ». 2) Certains boutons d’action portent le verbe en « –er », d’autres en «-ez ».

Manque de systématique – les cas les plus fréquents étant que qu’une rubrique porte le même titre qu’une de ses sous-rubriques, ou la page le même titre qu’une de ses parties. (L’utilisateur aura ainsi du mal à garder en lui une image mentale permanente de la structure du site voire de la page)

Inadéquation entre le mot et l’objet voire l’action désignés, comme par exemple : « Validez » votre nom, alors qu’il s’agit bien de le « saisir ».

Manque de précision, comme par exemple : Saisissez « votre nom », alors qu’il s’agit du « nom d’utilisateur choisi », ou du « prénom suivi du nom, exemple : Pierre Dupont ».

Incohérence avec les usages courants dans l’entreprise, tels qu’ils existent dans d’autres applis métier, des documents imprimés ou dans les échanges oraux. Exemple : Veuillez contacter le « support », alors que dans l’entreprise on parle plutôt de la « hotline ».

En effet, le « wording » relevant d’un métier à part, l’ergonome maquetteur intervient généralement peu sur les éléments verbaux (qui ne relèvent pas de ses compétences). Par ailleurs, la multiplication des itérations avec les parties prenantes du client et l’évolution de l’interface dans la durée ont tendance à favoriser les incohérences.

Où est le problème ?

L’utilisateur ne serait-il pas capable de faire le rapprochement entre « profil » et « compte », « support » et « hotline » ? Ne se rendrait-il pas compte par lui-même qu’il doit saisir son nom précédé de son prénom pour avancer ?

Naturellement, la plupart des utilisateurs réussissent à résoudre ces contradictions. Mais ceci constitue pour eux une charge mentale supplémentaire, de la « CPU de cerveau » qui n’est pas disponible pour d’autres informations à traiter.

En théorie de l’information on appelle cela du « bruit ». Un exemple : pendant un petit moment, l’utilisateur se demandera si « profil » n’est peut-être pas autre chose que le lien « mon compte » qu’il voit en haut de page – dans quel cas il s’agirait d’une vraie information. Il cherchera alors d’autres éléments lui permettant de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse. Si tout va bien, il finira par conclure qu’il s’agit juste de « bruit », c’est-à-dire que le petit décalage terminologique ne comporte aucune information pertinente. Ces actions mentales « parasites » s’effectuent la plupart du temps de manière inconsciente.

Elles donnent l’impression que « cela demande de la concentration », qu’ « il faut être formé », que « tout n’est pas clair », et peuvent engendrer :

  • une baisse de motivation, de la fatigue, un risque de procrastiner ou d’éviter d’utiliser
  • un ralentissement du rythme de travail dû à des micro-hésitations
  • des erreurs – souvent sur d’autres aspects de l’appli ou du process métier qui représentent de « vraies » difficultés

Si de petits décalages verbaux sont compensés par les utilisateurs tout en générant des effets négatifs, des défaillances plus importantes peuvent mener à un blocage total, nécessiter l’intervention du support, voire causer l’échec du process métier.

On imaginera facilement les inconvénients que ceci représente pour l’entreprise : besoin d’un fort investissement en accompagnement au changement, baisse de la productivité, non-qualité …

Des exigences encore plus fortes pour les usages mobiles

L’optimisation des éléments verbaux est encore plus stratégique quand il s’agit d’applications mobiles et d’usages nomades. Ces dernières se caractérisent en effet par :

  • une moindre tolérance de l’erreur (car en conditions nomades celle-ci peut engendrer une perte de temps insupportable)
  • moins de place pour les éléments verbaux, c’est-à-dire chaque mot compte
  • une vue globale moins aisée
  • un recours plus fréquent aux éléments verbaux, manque de place pour des visuels
  • une charge mentale déjà importante, due aux contraintes de l’interface tactile 

Vu la « mobilisation » croissante des applications métier, constatée comme une tendance forte dès 2015 (cf. Les applications métiers vont être réinventées pour un usage mobile), un travail renforcé sur les éléments verbaux s’impose dans une approche « mobile first ».

Comment faire ?

Dans le cadre de tests utilisateurs, les aspects linguistiques devront naturellement être thématisés (en général, les testeurs les mettront en avant d’eux-mêmes).

Il ne sera certainement pas nécessaire, pour une application métier, d’investir en « stratégie éditoriale » comme on le fait pour un site web de communication, avec ateliers et charte éditoriale complète à la clé.

Néanmoins, l’intervention d’un expert ès « wording » sur les maquettes fonctionnelles s’impose. On évitera ainsi inconsistances, manque de systématique, inadéquation, manque de précision et de cohérence. Pour assurer la qualité des évolutions futures de l’interface, les règles fondamentales de « wording » seront formulées et insérées dans le document de spécifications fonctionnelles.