Thomas Kurian (CEO, Google Cloud) "Notre ambition est de proposer un cloud ouvert... sur tous les clouds"

Multicloud, logiciel libre, cybersécurité… Le nouveau patron de Google Cloud, rencontré lors de la dernière édition de l'événement Google Cloud Next, expose sa vision de l'avenir.

JDN. Pour cette édition 2019 de Google Cloud Next, vous avez annoncé le lancement de la plateforme de cloud hybride Anthos. À quelle ambition entend-elle répondre ?

Thomas Kurian est le CEO de Google Cloud. © Google

Thomas Kurian. La plateforme Anthos va permettre à nos clients de déployer des applications sur différents environnements, sans que les développeurs soient chaque fois contraints de se familiariser avec les APIs correspondantes. Une fois l'application créée, elle peut être déployée sur Google cloud, mais aussi sur d'autres clouds publics, comme AWS ou Azure, et même en local sur site. Nous avons mis en place cette solution multicloud pour plusieurs raisons, et en premier lieu pour répondre à un besoin fréquemment exprimé par nos clients, qui découle du manque de main-d'œuvre. Parce que les talents sont limités, il est important pour eux de n'avoir à développer la technologie qu'une seule fois, pour ensuite pouvoir l'utiliser partout, sans devoir réécrire la moindre ligne de code.

Il faut également rappeler qu'aujourd'hui, malgré le décollage du cloud, 80% des applications sont encore sur site. Il est donc important de proposer à nos clients une technologie qui fonctionne avec leurs installations existantes, et leur permette ensuite de migrer facilement vers le cloud lorsqu'ils sont prêts. Cela permet également aux utilisateurs de ne pas rester prisonniers d'un seul fournisseur cloud, et de pouvoir migrer s'ils estiment qu'un autre correspondrait mieux à leurs besoins. Notre ambition est de proposer un cloud ouvert, pour offrir davantage de choix aux clients. À nous, ensuite, de leur proposer une solution qui soit la meilleure et la plus facile d'adoption afin qu'ils nous choisissent.

Dans certaines industries, cette flexibilité revêt un aspect encore plus capital. Dans la banque, par exemple, où les régulations changent en permanence, une application qui peut aujourd'hui être déployée sur un cloud public devra peut-être demain être mise sur un cloud privé pour respecter la loi, c'est pourquoi il est capital de laisser aux clients la possibilité de redéployer facilement leurs applications, en particulier dans ce domaine. Enfin, Anthos permet d'harmoniser sécurité, surveillance et compliance dans les différents environnements.

Si par exemple, je choisis de stocker mes données sur AWS ou Azure, puis-je utiliser des services Google Cloud, par exemple Google AI, pour traiter ces données, sans avoir à les transférer au préalable sur Google Cloud ?

Absolument. Nous avons des clients qui recourent à l'un de ces deux fournisseurs pour stocker leurs données tout en recourant à Google AI, d'autres les stockent en local et se servent également de Google AI… Notre offre d'IA tourne sur Anthos, et Anthos peut être déployé indifféremment sur plusieurs fournisseurs cloud.

Vous avez également mis l'accent sur le logiciel libre, en annonçant un partenariat avec sept pointures du domaine...

Nous sommes convaincus que le succès d'une plateforme ne repose pas seulement sur l'entreprise qui la propose, mais aussi sur la richesse des partenaires accessibles via cette plateforme. C'est pourquoi nous avons voulu bâtir un premier écosystème qui permette à nos partenaires fournisseurs de solutions open source de croître et de monétiser leur développement logiciel, le tout en bénéficiant de l'expertise de Google.

Google Cloud travaille également sur plusieurs solutions visant à répondre à des besoins concrets dans certaines industries. Pourriez-vous donner des exemples ?

Prenons le secteur de la santé. Aujourd'hui, de nombreuses organisations s'efforcent de repenser le carnet de santé, afin d'intégrer et harmoniser les données détenues par tous les professionnels du secteur. Pour l'heure, lorsque vous vous rendez chez votre médecin traitant, il dispose de vos informations de santé sur un fichier électronique ; lorsque vous vous portez volontaire pour tester un nouveau médicament, l'institution qui organise l'essai clinique stocke vos données de son côté ; même chose si vous effectuez un test de généalogie génétique, auprès d'une startup comme 23andMe.

Toutes ces informations se trouvent dans des silos séparés, et l'ambition est de les fusionner pour obtenir une vision exhaustive de la santé du patient. Dans cette optique, nous travaillons sur une technologie qui permette aux différents instituts de santé de partager facilement leurs sources de données. Nous concevons également une technologie qui facilite et automatise partiellement l'admission des patients à l'hôpital, en tenant compte des informations contenues dans ce carnet de santé unifié. En fonction de l'état de chaque patient se présentant à l'accueil et de ses données de santé, le système suggérera de l'envoyer en salle d'urgence, de lui faire effectuer des prélèvements sanguins, etc.

"Nous offrons à nos clients l'option de maintenir une copie de leurs données dans leurs propres data centers"

Un deuxième exemple a rapport aux médias. Aujourd'hui, les chaînes télévisées disposent de gigantesques quantités d'informations qui demeurent inutilisées. Prenons le domaine du sport : de nombreuses chaînes détiennent des millions d'heures de rencontres sportives enregistrées qui ne seront jamais rediffusées. Non pas parce que cela n'intéresse personne, mais parce qu'il n'est pas possible de naviguer efficacement parmi ces heures de vidéo pour trouver l'information que l'on cherche.

C'est pourquoi nous avons mis au point une technologie capable d'analyser les séquences vidéo, de comprendre chaque image et de les annoter soigneusement sans aucune assistance humaine. Dans le cas d'un match de football, la technologie est par exemple capable de comprendre que Cristiano Ronaldo vient de marquer un but, de saisir sa position exacte au moment de la frappe, etc. Ensuite, on peut rendre cette base de données accessible à des parties tierces via des services de streaming. Mettons qu'un studio de jeux vidéo travaille sur un jeu de football : il pourra ainsi facilement avoir accès à tous les buts marqués sur penalty par Cristiano Ronaldo au cours des cinq dernières années (en vue d'affiner les séquences et configurations proposées, ndlr).

La question de la localisation des données suscite d'importants débats partout dans le monde. Plusieurs gouvernements européens ont exprimé leurs inquiétudes à l'idée que des données hautement confidentielles soient massivement stockées sur des serveurs gérés par des entreprises américaines… Comprenez-vous ces inquiétudes ? Que faites-vous pour y faire face ?

Nous comprenons tout à fait que nos clients se préoccupent de la sécurité de leurs données, et notre réponse se décline en plusieurs dimensions. D'abord, lorsque vous utilisez Google Cloud, vous avez la possibilité de choisir la localisation de vos données. Vous pouvez ainsi demander qu'une première copie soit stockée à tel endroit, puis, au cas où cette copie soit dégradée, qu'une seconde copie soit conservée dans telle autre localisation, etc. Nous disposons de plusieurs installations sur le sol européen pour permettre à nos partenaires de stocker leurs données sur place : à Helsinki, Francfort, Zurich, Londres, mais aussi en Belgique et en Hollande. Pour les clients qui souhaitent conserver une copie privée de leurs données, dans le cadre de l'impératif de réversibilité fixé par le RGPD, par exemple, nous offrons l'option de maintenir cette copie dans leurs propres centres de données.

Aux côtés de cette composante géographique, nous donnons à nos clients la possibilité de détenir leur propre clef d'encryption pour gérer leurs données, clef qui peut être maintenue en dehors des serveurs de Google.

Et dans le cas où un client ait besoin de notre assistance pour régler un problème technique, nous avons mis en place un processus clair et transparent. L'un de nos opérateurs est dépêché pour résoudre le problème, et nous envoyons en temps réel au client toutes les opérations qui sont effectuées sur le cloud par cet opérateur. Le client a accès à ces données de manière parfaitement transparente et peut donc surveiller le processus en temps réel pour s'assurer que tout lui convient.

Avant d'être recruté par Google, Thomas Kurian a passé 22 ans chez Oracle. Président du développement produits de l'éditeur de logiciels américains, il y jouait un rôle clé dans la stratégie touchant tant à l'offre historique de bases de données qu'aux applications cloud (IaaS, PaaS et SaaS). Il rejoint Google en 2018 pour prendre la succession de Diane Greene (ex-VMware) à la tête de Google Cloud.