Christophe Duprat (International Herald Tribune) : "Le métier d'un informaticien, c'est d'apprendre le métier des autres"

Filiale du New York Times, l'International Herald Tribune est un journal centenaire. Son DSI livre quelques enseignements issus de la refonte de l'infrastructure IT, en lien avec les directions métiers.

Quelles sont les activités du International Herald Tribune ?

L'International Herald Tribune est un quotidien "papier" publié tous les jours à l'exception du dimanche. Il a plus de 100 ans d'existence. Le journal est imprimé en plusieurs éditions. Nous avons 4 éditions en anglais, diffusées dans 180 pays dans le monde.

La 1ère édition de la journée est bouclée pour le Japon, en collaboration avec le journal Asahi Shimbun. Une édition Asie ensuite bouclée à Hong Kong, où se situe le second bureau. L'édition Asie est ensuite mise à jour pour une seconde édition. Enfin, la quatrième édition est l'édition européenne.

Nous avons également un site Internet, Iht.com. Pour ce produit, nous avons une couverture horaire de production totale, avec une mise à jour en continu, au fil de l'eau. Le site possède un découpage par zone géographique.

Nous avons enfin un magazine dont le rythme de publication est presque mensuel. Il est distribué en supplément au journal papier, uniquement sur l'édition européenne pour l'instant.

Vous êtes basés en France. Avez-vous par ailleurs des sites distants ?

Le siège de l'International Herald Tribune est situé à Neuilly-sur-Seine. La rédaction est donc basée en France, et quelques bureaux sont basés à Hong Kong, où nous avons une news room, et où la production démarre à 3 heures du matin, heure de Paris. Nous avons également des sites distants à Londres Francfort, Zurich, mais aussi en Espagne et en Italie, pour nos activités commerciales et marketing.

Quel était l'état du système d'information quand vous êtes arrivés en poste ?

Je travaille sur ce poste de DSI depuis 2 ans et demi. Il y a deux ans, l'entreprise se trouvait dans la situation d'une entreprise qui avait beaucoup investi sur les systèmes d'information avant une traversée du désert. Le résultat était que nous avions un système d'information désaligné vis-à-vis du métier.

"Nous avons du repenser les processus métier de business circulation"

Quels types de problèmes cela posait-il ?

Par exemple, la gestion des abonnés ne se faisait pas correctement. Concrètement, au niveau du call center, les employés devaient aller dans une application fort complexe, Oracle Forms, et le process de prise d'appel était très compliqué.

Nous avons dû repenser les processus métier de business circulation. Nous avons donc initié un projet de rénovation de cette application avec un processus par lot et une architecture SOA. Cela a entraîné la réécriture totale de l'application du call center.

Possédez_vous des ressources internes suffisantes pour mener à bien en interne ces projets ?

Non. A l'origine, nous avons fait appel à du développement externe. Puis c'est mon équipe en interne qui a travaillé sur le projet, mais avec des moyens limités. En fait, la DSI avait pris l'habitude de travailler avec très peu de moyens, trois bouts de ficelle, et un peu de scotch. Comme on dit, nos serveurs étaient encore beiges ! La traversée du désert, c'est aussi cela.

"Un an de plus sur ce rythme, et nous mettions la clé sous la porte"

Mais comment avez-vous convaincu votre hiérarchie qu'il fallait investir à nouveau ?

Il a fallu avant tout convaincre la direction générale qu'il fallait refinancer le système d'information. Il y avait beaucoup de demandes de la part des directions métiers, ce qui a légitimé les demandes d'investissement. Et puis, il fallait aussi assainir le système. Bref, il fallait revoir l'intégralité du SI, à partir des couches basses.

Sur la méthode, nous devions également obtenir des victoires rapides car il fallait absolument rationaliser. Nous perdions de l'argent, l'organisation de l'entreprise et la structure de coût étaient défaillantes. Un an de plus sur ce rythme, et nous mettions la clé sous la porte. Dans ces conditions, la direction générale a été assez réceptive à nos demandes.

Etcomme nous sommes une filiale d'une entreprise basée aux Etats-Unis, nous sommes impactés par les nouvelles réglementations, telles que le PCI ou Sarbanes Oxley. Le côté positif de ces réglementations, pour la DSI, c'est que cela aide la direction générale à prendre des décisions pour investir dans une infrastructure plus moderne.

Quelle stratégie avez-vous adoptée pour faire évoluer le système d'information dans son ensemble ?

Nous avons développé une API de service métier universelle qui enveloppe le cœur de l'ancienne application, le tout tourne avec une techno Web. Il s'agit en fait d'une nouvelle brique technique dans le SI. C'est une application moderne qui parasite une application ancienne et qui va la faire mourir.

Comment avez-vous procédé pour relever le défi ?

Mon service et moi-même, nous nous sommes retrouvés au cœur du cyclone. Sur le projet d'amélioration de la circulation de l'information, nous avons réécrit tout sous Java. Cependant, j'ai refusé de me lancer dans un projet de refonte avec un effet tunnel sous trois ans. Bref, nous avons réécrit par morceau. Nous avions aussi comme idée de créer pas mal d'extranets pour répondre aux besoins des utilisateurs les plus distants.

Au final, nous avons écrit l'extranet et l'audiotel en interne. Ce type de projet se mène chez nous avec deux personnes externes et deux personnes en interne. Je fournis en plus l'assistance à maîtrise d'ouvrage. Ces projets, c'est six mois de conception fonctionnelle, 1 mois d'étude technique et 4 mois de développement.

Les responsables business coopèrent-ils facilement dans le cadre des projets IT ?

Pour la partie fonctionnelle, cela ne peut se faire qu'avec les personnes de la direction métier. Certes, ils sont pris par le quotidien mais la présence d'un chef de projet côté business est indispensable. D'ailleurs, nous défendons ensemble le projet. Le rôle du chef de projet côté fonctionnel est simple mais essentiel. Il doit décrire noir sur blanc les gains que lui procurerait la future applicatIon.

Au final, la personne avec qui je travaillais a réussi à écrire une wish list de trois pages, qui n'était pas une description fonctionnelle ! Mais c'est mieux que rien ! Un consultant est ensuite venu pour l'aider à faire un cahier des charges. Incontestablement, le chef de projet s'est prêté au jeu.

"J'ai dans mes collaborateurs des informaticiens qui sont des experts"

Pour faire face aux demandes métiers, avez-vous une connaissance de ces métiers ?

Oui, j'ai un passé professionnel dans la presse, mais pas tant que cela. Je considère que le métier d'un informaticien, c'est d'apprendre le métier des autres. Par ailleurs, j'ai dans mes collaborateurs des informaticiens qui sont des experts. Ce sont deux personnes qui sont des pointures sur l'informatique éditoriale. Ils ont une responsabilité technique, mais aussi une véritable vision sur le métier, et font également beaucoup de veille.

La constitution de l'équipe de la DSI est pour moi une chose essentielle. Tous les gens qui sont chez moi sont des CDI qui sont des responsables de domaines applicatifs. Ce sont aussi des experts pour le choix des différents prestataires.

Mais alors, vous, vous faites quoi ?

Je donne de la cohérence à l'ensemble, je fixe les objectifs. Je fais aussi du pilotage dans des domaines qui me sont réservés. Par ailleurs, je manage cette équipe, je fais vivre l'organisation.

Par exemple, nous avons construit un service desk externalisé. Il y a sur ce terrain des enjeux très forts, comme par exemple comment les études peuvent se consacrer de plus en plus aux projets et de moins en moins à la gestion du quotidien. A terme, la question, c'est comment faire passer la production vers le desk.

Un de mes rôles, c'est aussi de permettre l'industrialisation, afin que les experts soient à 100% sur les projet. Par exemple, nous allons automatiser la gestion des postes de travail pour dégager du temps pour la gestion des projets.

Pour l'heure, quels sont vos projets en cours ?

Nous sommes en tain de construire un PRA. Il s'agit principalement d'une salle informatique n°2, sous la responsabilité d'un prestataire. Dans cette seconde salle informatique, en cas de problème, l'intégralité de la news room peut être dupliquée.

Pour finir, vous travaillez pour une filiale d'un groupe américain. Comment se passent vos relations avec elle ?

La culture IT est différente entre les Etats-Unis et la France, mais ce n'est pas le seul problème. Il faut voir que là bas, ils sont 10 000 et nous, nous sommes 300 dans le monde. Cette différence d'échelle fait que parfois, les échanges sont un peu biaisés.

Nous avons appris à nous faire confiance, et ils me donnent une véritable autonomie, parce que l'agilité de l'entreprise en dépend.

Si on met 15 jours pour ouvrir un port de firewall, au lieu de deux jours, parce qu'il faut attendre que l'ordre vienne de la DSI aux Etats-Unis, cela peut poser problème, et tout le monde en est conscient.

Nous avons quelques protocoles qui régissent des processus techniques et surtout, la confiance partagée entre les deux structures. Ce qui n'empêche pas bien sur que nous puissions nous faire auditer en interne. Par exemple, ils peuvent se connecter sur la console d'administration, mais cela ne signifie pas que je sois sous tutelle.