Déployer un projet de VR : du délicat équilibre entre puissance narrative et puissance technologique

Au-delà du simple développement d’environnements de réalité virtuelle, la capacité à concrétiser le potentiel expérientiel et de création de valeur des nouveaux univers immersifs reposera sur la blockchain, la digitalisation des espaces physiques et l'IA.

L’article précédent "Du Design Thinking aux univers immersifs : comment penser l’expérience de marque" aura permis de proposer une vision et une analyse sur les faits et tendances qui caractérisent ce qui constitue à la fois les stratégies mais également les éléments d’identité pour une marque lorsque l’on parle d’expérience client ou d’expérience de marque. A l’heure où il devient de plus en plus difficile d’émerger, de séduire ou de se différencier, la notion d’expérience enrichie par le pouvoir de la narration et du story telling peut donc permettre de transcender l’acte de consommation et la perception d’une marque par le consommateur.

Ainsi et à mi-chemin entre science et art du récit d’anticipation, les univers immersifs permettent d’éprouver les limites de nos fantasmes et font du consommateur la pièce centrale d’un monde nouveau et façonné idéalement par la marque et tel que ce consommateur voudrait le voir.

Ne s’agit-il pas là finalement de la forme ultime de la "customer centricity" voire d’une nouvelle aptitude pour la marque à capter le "moi digital" ou le "moi intime" du consommateur ? Et si cette nouvelle forme de "Customer centricity" imposait également aux marques la nécessité de repenser leurs compétences et leurs solutions technologiques en se donnant les moyens d’évoluer vers de nouvelles prérogatives à mi-chemin entre marques productrices de contenus et "marques médias" ? Et comment de nouvelles innovations telles que la blockchain peuvent-elles participer à ce processus de transformation ?

Quels sont les moteurs technologiques de ces nouveaux mondes immersifs ? 

Finalement, le grand public et le consommateur d’une façon générale ne font que peu de différence entre la réalité virtuelle, la réalité augmentée, la réalité mixte et un film 360. Chaque technologie propose une expérience client différente avec un résultat qui doit bien être compris par le prescripteur lorsque l’on crée un design immersif. Le choix de l’approche technologique impactera le ressenti client du monde immergé qui lui sera proposé. Il est donc important de souligner que la réalité virtuelle contrairement à la vidéo 2D, capte 100% de l’attention, mobilise les centres de réflexions et stimule les centres émotionnels de l’individu.

Au-delà du simple développement d’environnements de réalité virtuelle, il nous semble que la capacité à concrétiser et compléter le potentiel expérientiel et de création de valeur de ces nouveaux univers immersifs va reposer fondamentalement sur trois grandes composantes technologiques : la blockchain, la digitalisation des espaces physiques et bien entendu l’intelligence artificielle (IA).

Au-delà de la facilité toute relative à capitaliser sur les "buzzwords" du moment et de les agréger à n’importe quel sujet d’innovation, posons-nous un instant et tentons d’imaginer… Demain, une convergence des deux mondes avec la possibilité de basculer d’un monde augmenté à un monde en réalité virtuelle. Les casques ou encore les lentilles munies de capteurs passeront d’un mode à l’autre. Les capteurs pourront voir la dilatation de votre œil, capter votre rythme cardiaque, votre sudation et même qui sait votre encéphalogramme ? Et interpréter ainsi votre niveau d’émotion lorsque vous voyez cette paire de chaussure Nike ID portée par un autre fan de la marque.

Votre IA issue de votre espace cloud personnel pourra vous matérialiser et vous faire des suggestions en réalité augmentée de différentes autres Nike en 3D. Vous pourrez la partager à votre "réseau-tribu" via la blockchain et la solliciter pour recueillir l’avis de chacun. Vous pourrez même basculer dans un environnement qui sera une réplique de votre domicile et inviter vos amis pour échanger vocalement. Les capteurs de votre casque restitueront votre état émotionnel via votre avatar. Une fois le consensus sur la chaussure établi au sein de cette communauté virtuelle, ce sera directement l’IA qui organisera un rendez-vous avec la boutique la plus proche de chez vous. Le "personal shopper" vous proposera une simulation en réalité mixte d’un environnement adapté au produit, vous émergeant encore plus dans la marque. L’IA suggèrera à votre tribu de participer à l’achat, votre anniversaire étant le week-end suivant. Une cagnotte sera mise en place et gérée par la blockchain de façon sécurisée, transparente et multi modale, en bitcoins ou en monnaie réelle.

La phase essayage par votre avatar arrivera et permettra d’affiner votre choix avec les suggestions de votre personal shopper et d’arrêter votre choix sur les chaussures de vos rêves. Le personal shopper sollicitera l’accès à vos données pour vous proposer une expérience en boutique lors de la récupération de votre produit. Après analyse de données par l’IA de la boutique, il ressortira que le basket-ball mais également le bien être sont votre préoccupation. L’IA du Nike Store de Manhattan où vous serez venu récupérer cette paire de baskets, qualifiera en temps réel que d’autres clients présents dans le magasin ont les mêmes centres d'intérêts. Une partie de basket-ball sur le playground intérieur du 3ème étage sera alors proposée à cette audience directement via une notification sur mobile ou via les Google Glass mises à disposition à l’entrée du magasin. En plus, bonne nouvelle, l’arbitre et le coach du jour ne seront ni plus ni moins qu’un Michael Jordan en réalité augmentée ! Même la variable prix du mix marketing se verra elle aussi remise en question avec de nouveaux mécanismes qui viendront fixer le prix en fonction de la notoriété et de l’influence de votre tribu sur la marque et sa réputation. Vous viendrez de marquer un nouveau panier lorsque vous serez interrompu par une nouvelle notification qui s’affichera sur vos Google Glass : l’imprimante 3D au 1er étage aura lancé l’impression de vos baskets qui seront prêtes 45 minutes plus tard… De quoi vous laisser le temps de finir votre partie et de proposer au Nike Store de Paris d’afficher votre nouvelle paire sur un de leurs rayons virtuels infini parce que, bien évidemment, votre expérience et votre acte d’achat n’auront de sens que s’ils transcendent les frontières.

Comment aborder un projet de développement autour de la VR ?

Phase 1 : Définir la stratégie et les objectifs 

La première phase jette les bases des idées et de l'apprentissage souhaité. L'étape permet d'identifier une ou plusieurs opportunités pour la marque et l'organisation du client en exploitant le design d’expérience immersive. Cette étape impose de revenir sur les fondamentaux de la marque, son identité, sa promesse, mener des analyses SWOT, comprendre les parcours d’achats et ce qui les influence positivement ou négativement afin de les traduire de manière ludique et narrative.

Phase 2 : Lancer la démarche créative

La deuxième phase du processus prolonge les idées et les opportunités qui ont émergé de la phase 1 afin d'explorer la plus large gamme d'options quant à la conception de cet univers
Pour ce faire, les outils et processus permettent une exploration d'un éventail d'idées immersives virtuelles ou physiques afin de garantir que toutes les opportunités deviennent partie intégrante de l'ensemble de la phase de conception. La deuxième partie de la phase de conception est basée sur la contribution du client. Nous utilisons notre méthode, le sketch sprint, qui nous permet de cristalliser les idées dans une bible visuelle. Nous interrogeons de façon ludique les consommateurs ou prospects de la marque par le même biais du sketch sprint pour avoir une idée de la perception mentale qu’ils se font de la marque. L’ensemble des éléments amène à la traduction des idées, et pose une première base de notre “world building” et de l’arc narratif dans le futur parcours utilisateur.

Phase 3: Conception et livraison du résultat final

Nous construisons une équipe pluridisciplinaire pour la conception finale et sa mise en œuvre en tenant compte des limites de l'emplacement physique, du budget et des directives opérationnelles. Le chef de projet ayant une appétence technologique et créative est la pierre angulaire de l’esprit d’équipe. Il définit le pipeline de production tel que la conception narrative, les systèmes et les nouvelles technologies d'interaction, et la création et la mise en œuvre d'actifs numériques. Bon nombre des compétences utilisées dans un film tels que la vidéo, le jeu, la modélisation 3D et la production d'animation par ordinateur, peuvent être adoptées pour la réalisation de la réalité immergée. Le choix des outils informatiques, tels que la blockchain, le cloud, le machine learning, le moteur de jeu temps réel, etc., vont contribuer à renforcer l’immersion et la collaboration. Les équipes de la marque pourront bien entendu suivre pas à pas l’avancement du projet et collaborer pour être au plus près du résultat escompté. Le mode agile et le "test & learn" font partie intégrante de la démarche de travail.

En conclusion...

Entre rejet du réel, nihilisme ou aspirations à une désinvolture assumée, il devient de plus en plus difficile pour les marques de saisir l’époque et d’adresser les nouvelles réalités d’un monde marchand qui semble devenir une "tour de Babel" des comportements… Le réel ne fait plus vendre ou il ne nous suffit plus, et la promesse d’un réel réenchanté est ailleurs… Nous pouvons le voir, le saisir et le vivre dans ces nouveaux univers immersifs qui viendront recréer le désir et faire vivre tout un pan de nouvelles communautés. Les marques devront penser ces nouveaux territoires fictionnels sans limites au travers de 3 piliers que sont le story telling ; le design thinking et l’innovation. Les expériences qui en résulteront viendront redéfinir en profondeur l’ADN de la marque mais elles viendront surtout transcender le consommateur, délivrer de "l’empowerment" en lui conférant de nouvelles aptitudes, de nouveaux rêves qui n’auront pas d’autre objectif que celui de briser les frontières d’un monde devenu trop étroit.

Les plateformes, le cloud, la data et la puissance de calcul couplée à l’IA constitueront le cœur du réacteur de ces nouvelles architectures cinématiques et fonctionneront de façon transparente pour l’utilisateur afin de créer ces univers à l’horizon infini et les contextualiser en fonction des données connues sur le consommateur, alors que celui-ci reprendra la main sur ses data personnelles afin de co-construire avec la marque ces mondes nouveaux. En 1964, un certain Neil Borden théorisait le fameux 4P du marketing mix faisant de ces 4P une espèce d’horizon indépassable dans la façon de penser les échanges dans le monde marchand moderne. 50 ans plus tard, le digital et les nouveaux business model basés sur les usages ou la souscription ont déjà largement bousculé ce concept dominant. Au vu des potentialités presque sans limites de ces nouveaux environnements relationnels et transactionnels entre la marque et le consommateur, il serait donc intéressant, pour ne pas dire salutaire, de questionner en profondeur et à un horizon moyen terme, ce que devra être la refondation du mix marketing de la marque.

"Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie". - Arthur C. Clarke