Innover, sous peine de voir l’informatique se transformer en cocotte-minute

Alors que la majorité des entreprises modernes explorent les possibilités du numérique, nombre d’entre elles étudient l’approche optimale, visant non seulement à rationaliser leurs processus métier mais aussi à susciter de nouvelles opportunités.

Face à la montée des attentes des consommateurs comme des collaborateurs autour de l’innovation numérique, les équipes informatiques doivent redoubler d’efforts afin de promouvoir celle-ci systématiquement. C’est également le cas lorsque l’innovation numérique est impulsée par d’autres secteurs de l’entreprise et a un impact sur plusieurs d’entre eux. Dans le même temps, elles doivent continuer à gérer l’ensemble des infrastructures et opérations informatiques, ce qui fait peser une pression énorme sur quelques personnes. Comment les entreprises peuvent-elles alléger ce fardeau ?

Microgestion

Un exemple de ce conflit entre l’innovation numérique et la pression exercée sur le service informatique concerne les microservices. L’utilisation des microservices en entreprise se justifie parfaitement : il s’agit de remplacer des applications monolithiques par une série de services isolés plus petits qu’il est possible de combiner, mettre à jour, voire redéfinir, dans toute l’entreprise, ce qui autorise une approche plus agile et évolutive de la stratégie informatique. Pourtant, du point de vue de l’informatique, cela amène également une foule de nouveaux défis, allant d’une complexité accrue, pour assurer les tests et la bonne communication entre les différents services, à la sécurisation de chacun d’entre eux.

A cela s’ajoute un risque supplémentaire de stress et de burn-out pour les équipes, pouvant à son tour accentuer les risques d’erreurs ou de retards. Il importe donc de planifier soigneusement une transition vers les microservices. En effet, cette transition nécessite des changements de méthodes de travail, une automatisation, ainsi que d’autres outils de sorte qu’elle n’augmente pas la pression sur les équipes informatiques opérationnelles mais produise plutôt les effets positifs attendus.

Des ressources limitées

L’identification des causes profondes de la pression, ainsi que des solutions possibles, doit constituer une priorité. Le manque de financement de l’informatique apparaît comme un coupable potentiel. A titre d’exemple, Gartner avait revu ses prévisions de croissance pour 2019 à la baisse en matière de dépenses informatiques, pour aboutir à un taux pratiquement stable de 1,1 %. Cela confirme une tendance déjà observée en 2018 dans l’étude Insight Intelligent Technology Index, selon laquelle 59% des budgets informatiques des entreprises étaient restés identiques ou avaient baissé depuis 2017. Pour les équipes informatiques qui doivent trouver un équilibre entre innovation numérique et maintien des opérations essentielles, cela peut impliquer d’accomplir davantage de travail avec moins de ressources, et souvent dans des délais extrêmement serrés.

Pour la plupart des entreprises, la seule augmentation du budget informatique n’est pas une solution. Les équipes doivent en effet explorer d’autres technologies et méthodes de travail de façon à investir intelligemment sans mettre leur département sous pression. Par exemple, l’adoption de systèmes automatisés à grande échelle dans les domaines du développement, des tests, de la surveillance et du déploiement est essentielle pour renforcer l’impact de chaque membre de l’équipe informatique.

Relâcher la pression

Certaines entreprises optent pour une approche bimodale, scindant le département informatique entre un groupe opérationnel et un autre axé sur l’innovation afin d’alléger la pression sur chacun, selon un concept forgé par Gartner en 2015. Selon l’étude Intelligent Technology Index, environ 70% des entreprises interrogées ont adopté cette approche ou bien l’expérimentent dans une certaine mesure. Si ce pourcentage peut sembler élevé, il reste cependant inférieur à la moyenne européenne et 11% des entreprises ayant adopté cette approche déclarent ne pas s’y être bien adaptées. De fait, celle-ci fait l’objet de critiques : Forrester avance qu’en réalité elle freine l’innovation en créant une compétition entre divers groupes informatiques, si bien que le changement n’en vaut pas la peine.

Au lieu de cela, les entreprises peuvent se tourner vers des méthodes de travail plus agiles et mieux adaptées au changement, à l’exemple de DevOps, de préférence à une approche strictement bimodale. Leur personnel devrait en bénéficier car cela favorise un environnement plus étroitement collaboratif, aussi bien au sein du département informatique qu’avec les autres fonctions opérationnelles de l’entreprise, de nature à promouvoir le succès du processus d’innovation. Cependant, même s’il peut gagner en agilité, le département informatique demeure sous pression, avec l’obligation de produire des résultats tout en assurant son rôle opérationnel.

Une autre solution consiste à soulager la pression sur l’informatique en la déplaçant ailleurs. La tendance actuelle est à déléguer des responsabilités informatiques à d’autres fonctions de l’entreprise, en créant des équipes RH-IT ou marketing-IT chargées d’opérations telles que l’automatisation des processus robotiques. Même si cette démarche paraît logique, elle traite un symptôme, et non la cause profonde. Les budgets et les effectifs sont toujours restreints, ce qui amoindrit la capacité de l’informatique et le potentiel de bénéficier d’économies d’échelle grâce à la centralisation. Etant donné que l’innovation d’aujourd’hui est aussi l’héritage de demain, qui sera là pour assurer le support et la gestion de ces nouveaux services dans l’ensemble de l’entreprise ? Les autres équipes ne sont pas nécessairement qualifiées – ni motivées – pour prendre en charge ces tâches. Tout cela augure un flou et une pression supplémentaires pour l’informatique.

A un niveau plus technique, les entreprises peuvent faire appel à des services managés comme une soupape pour relâcher la pression, leur permettant ainsi de s’affranchir de l’exploitation de services banalisés tels que la messagerie ou le stockage et de réduire la charge opérationnelle pesant sur les équipes informatiques. Là encore, sans une planification appropriée, cela risque tout simplement de créer d’autres types de pression : nécessité de passages de relais clairs, d’une architecture de sécurité adéquate et de niveaux de service bien définis. L’accès en libre-service a aussi un rôle à jouer. La possibilité pour l’utilisateur final de diagnostiquer et résoudre lui-même les problèmes permet de soulager les équipes informatiques et d’améliorer la productivité et la satisfaction des collaborateurs. En définitive, toute approche doit être étayée par un argumentaire convaincant, expliquant en quoi elle favorise l’innovation. L’objectif doit être d’obtenir de nouveaux financements pour l’innovation, et non de créer des opportunités de détourner les budgets de l’informatique interne vers un prestataire extérieur.

Nécessité de financements supplémentaires

Clairement, il n’existe aucune solution miracle pour remédier au fardeau qui pèse sur les épaules des équipes informatiques. Une entreprise subissant la pression de l’innovation numérique ne peut se contenter de sous-traiter les problèmes auxquels est confrontée son équipe informatique, ni tout résoudre au moyen de la seule technologie. Une équipe performante ne se limite pas à la somme de ses membres. Si les collaborateurs ont l’impression que chaque expérimentation tournée vers l’innovation doit réussir dès la première tentative, sans aucune chance de tirer les enseignements d’un échec, alors la pression et la frustration s’accumuleront, l’innovation sera étouffée, et le recrutement et la conservation des talents deviendront problématiques, le tout venant encore compliquer la situation.

Les entreprises doivent plutôt investir dans une culture faite de valeurs partagées, où les collaborateurs se sentent appréciés. Où les échecs sont analysés et les enseignements tirés, et où chacun peut contribuer à l’innovation dans son ensemble, le rôle des équipes opérationnelles étant reconnu comme un maillon indispensable de la chaîne. Certes, cela demande des ressources mais, plus important encore, la volonté de faire tomber les murs entre les fonctions de l’entreprise. L’objectif étant d’établir une feuille de route commune, réalisée par des investissements dans les ressources humaines, l’automatisation, ainsi qu’une priorité accordée aux bons départements, au bon moment. La solution pour relâcher la pression n’est pas nouvelle : c’est la convergence de l’action autour des équipes, des processus et des technologies. Mise en œuvre avec efficacité, elle favorisera une culture d’entreprise propice à l’innovation, avec des rôles et des processus capables de s’adapter rapidement aux changements du monde.

Enfin, cela nécessite la plus rare de toutes les ressources : le temps. La question n’est plus de savoir quelle technologie acquérir mais de quelle manière l’appliquer et la gérer – ainsi que les équipes responsables – et la culture qui en découle.