Violences conjugales : l'emprise passe désormais aussi par les technologies

Créée en 1999 par l'ONU, la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes se tient tous les ans le 25 novembre. Son objectif est de sensibiliser le public aux violences conjugales et au féminicide, afin d'y remédier.

Près de 150 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou ex-compagnon depuis le début de l’année 2020 en France, soit déjà plus que l’an passé ; une hausse qui peut être liée aux confinements durant lesquels les violences augmentent. Marlène Schiappa, déléguée auprès du ministre de l'Intérieur et chargée de la Citoyenneté, vient à ce sujet d’annoncer une hausse de 15% des appels de victimes depuis le reconfinement le 30 octobre dernier. Phumzile Mlambo-Ngcuka, Directrice exécutive d'ONU Femmes, parle même "d’épidémie fantôme" du coronavirus.

En France, le 3919, le numéro de téléphone d’urgence destiné aux femmes victimes de violences conjugales, a ainsi été composé à 9 906 reprises en avril 2020 ; contre 5 098 fois le même mois en 2019. En outre, les appels de proches et de voisins adressés à la police pour signaler une situation de violences conjugales (en proportion de tous les appels à ce sujet) ont augmenté entre février (23%) et avril 2020 (31%). Ces dernières années, les comportements abusifs se sont également répandus dans le monde numérique, une tendance qui s’est renforcée : entre mars et juin 2020, notre Threat Labs a observé une augmentation de 51% des logiciels espions et stalkerwares par rapport aux deux premiers mois de l'année.

Nul besoin d’être un cyber-expert pour être un cyber-harceleur

Un stalkerware est un logiciel malveillant qui permet de localiser une personne, d’accéder à ses photos et vidéos personnelles, d’intercepter des emails, des messages et des conversations sur des applications telles que WhatsApp et Messenger, ainsi que d’écouter des appels téléphoniques et d’enregistrer des conversations sur Internet à l’insu de la cible. Une forte corrélation existe désormais entre les relations abusives et la présence de stalkerware sur les appareils des victimes. Il y a encore quelques années, seuls les hommes avec des connaissances poussées en informatique pratiquaient le cyberharcèlement. Or, cela n’est plus le cas aujourd’hui tant ces logiciels malveillants sont faciles à trouver, télécharger et utiliser. La multiplication des appareils connectés et l’existence d’applications discrètes d’espionnage et de harcèlement constituent ainsi un moyen supplémentaire pour les agresseurs d’exercer un contrôle sur leurs victimes ; lesquelles peuvent plus difficilement quitter leur domicile dans le cadre d’un confinement pour lutter contre le Covid-19, comme c’est le cas pour la deuxième fois cette année.

En juillet dernier, Google a fait un pas vers la diminution de la popularité des stalkerwares, en interdisant "la promotion de produits ou services commercialisés ou ciblés dans le seul but de suivre ou de surveiller une autre personne ou ses activités sans son autorisation". Cependant, des applications presque identiques sont toujours autorisées, se présentant comme des outils pour des détectives privés ou pour les parents souhaitant garder un œil sur leurs enfants.

Une personne dans une relation abusive court davantage le risque d’être suivie par un stalkerware. Une visite innocente, par exemple dans un café pour rencontrer un ami ou un parent, pourrait être signalée par ce type d’application et déclencher des abus. Le recours croissant à ces logiciels induit des conséquences inquiétantes et dangereuses. Alors que les spywares et les infostealers sont des logiciels malveillants qui ont pour objectif de voler des données personnelles, les stalkerwares sont différents : ils privent la victime de sa liberté physique et virtuelle. Habituellement installés secrètement sur les téléphones portables par de soi-disant amis, des conjoints jaloux ou des ex-partenaires, les stalkerwares suivent l'emplacement physique de la victime, surveillent la navigation sur Internet, ainsi que les SMS et les appels téléphoniques, reçus et émis.

Ces applications sont conçues pour fonctionner en mode furtif, sans notification persistante à l'utilisateur de l'appareil. Elles constituent donc un outil robuste et invasif aux agresseurs pour harceler, surveiller et traquer leur victime. Cela peut être terrifiant et traumatisant pour cette dernière puisque, même après la séparation, la violence psychologique peut alors perdurer au travers de la surveillance exercée, ainsi que des messages et appels reçus, que ce soit via les réseaux sociaux ou encore les téléphones portables des femmes et des enfants.

Supprimer un logiciel espion sans prendre de risques

S'il est important que chacun sache comment supprimer les stalkerwares de ses appareils, il est également crucial d’en reconnaître les risques potentiels. Cette suppression pourrait en effet alerter le partenaire abusif. Empêcher l'installation est donc une priorité. La première chose à faire est de s’assurer que le téléphone est protégé par code PIN ou mot de passe, car cela aidera à empêcher l'installation du logiciel à l’insu de son propriétaire. La seconde est d’installer un logiciel antivirus, qui alertera de toute tentative d'installation de stalkerware et aidera à le supprimer le cas échéant. Ces deux étapes sont simples et garantissent la sécurité de l'appareil et des données personnelles. Si le conjoint s'oppose fermement à l'une de ces mesures de sécurité classiques, c’est un signal d’alerte à prendre au sérieux.

Concrètement, il existe quelques signes indicateurs de la présence d’un stalkerware sur un appareil : les performances diminuent subitement, avec des ralentissements, des bugs ou des blocages plus fréquents ; les paramètres ont changé sans que le propriétaire de l’appareil n’y consente, avec une nouvelle page d'accueil du navigateur par exemple, ou encore de nouvelles icônes sur le bureau, et un moteur de recherche par défaut différent ; sans oublier un afflux soudain de messages d'erreur provenant de programmes qui fonctionnaient toujours bien auparavant. Si une personne reconnait ces signes, il ne faut pas hésiter à chercher de l’aide, notamment auprès d’une association luttant contre les violences conjugales ; désormais au fait de l’usage fréquent des stalkerwares.

Dans l’éventualité où une victime ne pourrait pas solliciter une aide extérieure, il est possible de supprimer manuellement le stalkerware d’un téléphone. Il faut dans un premier temps redémarrer l’appareil en mode sans échec, en maintenant le bouton d'alimentation enfoncé pour voir les options de mise hors tension et de redémarrage ; il faut ensuite appuyer longuement sur l'option "Éteindre", puis l'option "Redémarrer en mode sans échec" apparaîtra. Il suffit enfin de valider cette action. Dans un second temps, une fois l’appareil redémarré, l’utilisateur doit supprimer toutes les applications suspectes ou inconnues en se rendant dans les paramètres. En cas de doute, il peut chercher en ligne le nom de l'application, pour voir si d'autres personnes ont également rencontré des problèmes avec celle-ci.

Si le numérique offre d’incroyables opportunités, il a aussi étendu le contrôle des partenaires abusifs sur leurs victimes. Ces dernières doivent avoir connaissance de l’existence de ces applications d’espionnage et briser le silence en cas de problème pour obtenir de l’aide afin d’échapper à cette emprise. Pour éviter de vivre cette situation et pouvoir aider les personnes dans une relation abusive, nous devrions tous connaitre les signaux d’une telle situation et apporter notre aide en sachant comment protéger les appareils digitaux et les débarrasser des logiciels malveillants.