Xavier Albouy (Tech.gouv) "L'Etat aura dématérialisé 250 démarches administratives courantes d'ici 2022"

Le directeur du programme de transformation numérique de l'Etat Tech.gouv dresse un premier bilan de son vaste plan (dématérialisation, recrutement, infrastrucutres, télétravail...) initié en 2019 et accéléré par le covid.

JDN. Il vous reste moins d'un an pour mettre en œuvre le plan tech.gouv, lancé en 2019, et qui prévoit une vaste transformation numérique des services publics et aborde de nombreux sujets allant de la dématérialisation des services publics aux capacités de travail collaboratif et à distance des agents, en passant par le renforcement des infrastructures numériques de l'Etat et le recrutement d'experts. A quel point ces objectifs ont-ils changé avec l'arrivée du covid et du télétravail massif ? 

Xavier Albouy est le directeur du programme Tech.gouv © Dinum

Xavier Albouy. La liste des projets a peu évolué depuis l'élaboration du plan mi-2019. Nous avons tout de même ajouté quelques volets, notamment sur la valorisation des logiciels libres et l'éclairage des décisions publiques par la donnée. Pour ce qui est de la capacité de nos agents à travailler à distance, nous nous étions fixé l'objectif que 25% des agents soient en capacité complète de télétravailler. Mais la crise du covid a propulsé cette proportion à 35%, puisque le télétravail s'est imposé. Outre l'équipement des agents en matériel informatique, c'est aussi le déploiement de nouveaux outils de travail collaboratif, d'audio et visio conférence qui a été accéléré et mis en place dans des proportions bien plus massives que ce nous prévoyions au départ. Avant le covid, nos outils de visio prenaient en charge 100 à 200 réunions par jour, puis nous sommes montés à des pics quotidiens de 2500 réunions et sommes aujourd'hui stabilisés au-delà d'un millier.  

Votre suite d'outils logiciels à destination des agents, qui se veut une alternative à celles de Google et Microsoft, mélange des briques propriétaires françaises et européennes, open-source et des développements maison. Faut-il y voir plutôt un objectif d'efficacité ou de souveraineté ? 

Nous avons cherché le chemin le plus court et le plus efficace pour diffuser ces nouveaux outils. Mais nous ne l'aurions pas fait s'il n'y avait pas un objectif de souveraineté derrière pour ne pas fonctionner entièrement sur des serveurs américains. Il aurait été très confortable pour nous de simplement utiliser Zoom et Office 365

La qualité des services publics en ligne de l'Etat s'est nettement améliorée ces dernières années, avec des réussites comme le site des impôts ou l'identifiant unique France Connect. Lesquels méritent encore d'être améliorés ? 

Dans le cadre de ce plan, nous avons dressé une liste d'environ 250 démarches administratives parmi les plus utilisées (plus de 200 000 démarches par an, Ndlr) afin qu'elles soient dans un premier temps toutes dématérialisées, ce qui n'est pas encore le cas. A ce jour, plus de 200 ont été dématérialisées et le reste doit intervenir d'ici la fin du plan en 2022. Il nous faudra aussi progresser sur  différents citères de qualité comme la compatibilité mobile des sites, qui fait encore défaut dans 20% des cas. Nous priorisons les démarches pas encore dématérialisées, puis, en termes d'amélioration, celles qui ont les plus mauvaises évaluations de la part des usagers. Ces évaluations et l'avancement des dématérialisations sont consultables sur observatoire.numerique.gouv.fr

Vous lancez également un programme de transformation numérique des territoires, doté de 88 millions d'euros. Faut-il un effort supplémentaire pour les services numériques des collectivités locales, qui ne sont pas forcément au niveau, en particulier pour les plus petites et les moins fortunées ? 

C'est difficile à évaluer, fautes de données.  Mais ce qui est certain, c'est que la difficulté vient de la fragmentation des services des collectivités, dont il existe des centaines ou des milliers de versions selon l'échelon territorial, là où les services de l'Etat sont les mêmes sur tout le territoire. D'autant que l'Etat ne peut rien leur imposer en raison du principe de libre administration des collectivités. Le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques va donc travailler sur d'autres leviers, dans le cadre du plan de relance. Cette enveloppe sera attribuée via un appel à projets, dont les lauréats seront annoncés prochainement. Nous allons soutenir les projets qui font la part belle à la mutualisation et à l'open source, de sorte que les briques développées par une collectivité lauréate pourront être réutilisées par une autre. Le numérique offre d'importantes économies d'échelle, nous voulons donc pousser les collectivités à développer des produits ensemble, afin de créer une masse critique d'utilisateurs qui rendra les produits plus pérennes et économiquement supportables. 

Vous souhaitez aussi valoriser le logiciel libre, mais l'Etat continue de consommer massivement des logiciels propriétaires. Ne devrait-il pas valoriser par l'exemple ? 

Notre ministre fera prochainement des annonces sur le sujet. Ce que je peux dire, c'est que l'Etat produit, consomme et contribue aux logiciels libres. Nous avons par exemple contribué à l'amélioration de l'outil de visio-conférence Jitsi que nous utilisons. Tandis que les ministères de la Cultures, des Armées et des Affaires Etrangères ont créé Vitam, une brique open source d'archivage numérique. 

Ce plan prévoit de renforcer l'ouverture et la transparence des données. Pourtant, plusieurs ministères, en particulier l'Intérieur, refusent d'ouvrir certaines données alors que la loi les y oblige, même après des décisions de la CADA, puis des condamnations en justice demandant l'ouverture desdites données. Comment faire si l'Etat ne respecte pas ses propres lois ?  

Cela existe, nous n'allons pas dire le contraire. Mais on peut voir le verre à moitié plan ou à moitié vide. De nombreuses demandes CADA trouvent une issue favorable. Les choses avancent, il y a du positif. Sommes-nous là où nous voudrions être ? Non, mais c'est souvent le cas dans des processus de conduite du changement qui nécessitent un certain appui et des outils.