Le numérique à l'épreuve de l'âge

La dématérialisation des services déjà prégnante avant la crise sanitaire s'est accélérée. Déclarer ses impôts, prendre un billet de train ou encore communiquer avec un service administratif s'effectue désormais en ligne. Une étude de la Défenseure des droits pointe pourtant le fait que nombre de seniors sont en grande difficulté face à ces démarches administratives. Quelles pistes pour rétablir une équité et améliorer la prise en main des outils digitaux des plus âgés ?

Outil d’information, d’apprentissage, de communication et de partage, le numérique constitue une véritable révolution culturelle et technologique. Son usage ne semble pourtant pas ouvert à tous. Certains utilisateurs rencontrent en effet des difficultés pour en saisir les codes et les usages. D’autres ne sont tout simplement pas équipés.

Or, la dématérialisation des services déjà prégnante avant la crise sanitaire s’est accélérée. Déclarer ses impôts, demander une allocation, prendre un billet de train, communiquer avec un service administratif ou encore consulter son solde bancaire s’effectue désormais en ligne. Une étude de la Défenseure des droits pointe pourtant le fait que nombre de seniors sont en grande difficulté face à ces démarches administratives.

Quelles pistes pour rétablir de l'équité et améliorer la prise en main des outils digitaux des plus âgés ?

Une fracture numérique qui augmente avec l’âge et la précarité

Acception permettant de désigner les inégalités d’accès et d’usages des TIC (technologies de l’information et de la communication), en 2021, la fracture numérique est bel et bien toujours d’actualité. Telle est la conclusion de l’enquête de la Défenseure des droits, Claire Hédon, publiée en octobre dernier. Ainsi, 23 % des seniors indiquent rencontrer des difficultés dans leurs démarches administratives. 15 % d’entre eux déclarent même abandonner purement et simplement ces démarches.

Faute d’équipement adapté, de connaissances ou tout simplement d’une connexion internet, impossible de réaliser certains gestes simples. Quid du 3D Secure et de la double authentification lorsque l’on ne possède pas de smartphone ?

Cet « illectronisme » est sous-tendu par plusieurs facteurs et en premier lieu par le niveau d’autonomie ou les conditions de ressources. Ainsi, les personnes en situation de dépendance ou de précarité ont deux fois plus de chances d’être confrontées à des difficultés pour accomplir leurs démarches. 

L’avancée en âge elle-même constitue un facteur d’exclusion. Plus on est âgé, plus les difficultés sont fréquentes. 30 % des plus de 65 ans déclarent ne pas disposer de ligne internet à domicile. Un chiffre qui monte à 50 % chez les plus de 75 ans.

Comment renverser cette tendance ?

Améliorer l’accès des plus âgés aux usages numériques

Plusieurs axes semblent essentiels aujourd’hui pour réduire cette fracture numérique et démocratiser l’accès aux services en ligne.

  • Équiper les logements et couvrir les zones blanches

En premier lieu, il convient de mettre à la disposition de tout un chacun le matériel nécessaire pour naviguer et se connecter à internet. Il est par exemple possible d’imaginer un « chèque numérique » afin de permettre aux plus précaires d’équiper leur logement avec un ordinateur ou une tablette. On peut également demander aux opérateurs de proposer un « abonnement internet solidaire » à prix symbolique afin de permettre aux personnes dépendant des minima sociaux de disposer d’une connexion à domicile. 

Développer des filières d’équipements reconditionnés pour équiper à moindre coût les personnes précaires pourrait également se révéler opportun tant d’un point de vue économique qu’écologique.

Afin de mieux couvrir les zones blanches, il convient d'inciter les opérateurs à développer dans ces territoires des offre alternatives (4G, 5G, satellite, fibre...)  accessibles économiquement.

  • Former et accompagner les publics âgés

L’installation et la prise en main des outils numériques constituent deux autres facteurs essentiels de la fracture numérique. Ainsi, nombre de seniors font appel à leurs proches pour installer un ordinateur et le relier à Internet ou encore pour les accompagner dans leurs démarches en ligne. Quid des personnes âgées isolées ?

Il convient pour celles-ci de développer un service de formation et d’accompagnement. Il peut s’agir de la mise en place d’ateliers pour se former à l’informatique mais aussi de la création de véritables « espaces numériques » avec des ordinateurs et une connexion Internet en libre-service. Si certaines collectivités territoriales ont déjà développé une offre de ce type, il apparaît primordial de déployer un dispositif permettant de mailler l’ensemble du territoire national.

On note par ailleurs que de nombreuses start-up conçoivent des équipements numériques spécifiques aux seniors ou aux personnes handicapées, en adaptant l’ergonomie et le design de leurs outils. Il est important de continuer à soutenir cette innovation inclusive par le biais de financements et de crédits d’impôt.

  • Développer un véritable service public du numérique

Le recul des services publics dans les zones rurales est régulièrement pointé du doigt. Pour légitimer cette disparition, les pouvoirs publics évoquent la simplification administrative et la dématérialisation des services. Attachés au contact humain, éloignés des outils digitaux, nombre de seniors, en particulier les plus âgés, se sentent pourtant démunis face à la fermeture des guichets physiques.

Pour recréer de l’équité ainsi que du lien social, il est nécessaire d’envisager le déploiement d’un véritable service public dédié aux démarches administratives. L’idée serait de développer, par exemple dans les « espaces numériques » évoqués ci-dessus, mais aussi ponctuellement à domicile, un système de permanences et d’interventions dédiées à l’accompagnement aux démarches en ligne des publics fragiles.

On peut à ce titre imaginer la collaboration conjointe d’un animateur en informatique et d’un travailleur social pour accompagner les usagers. On peut aussi miser sur l’intergénérationnel, grâce à l’affectation de jeunes gens en service civique, bien souvent acculturés aux usages numériques.

Afin de rétablir le lien entre l’administration et les usagers, on peut également envisager la mise en œuvre d’un programme d’interventions ponctuelles sur l’usage d’un service spécifique (intervention d’un agent des impôts, d’un salarié de la CAF ou des caisses de retraite…). Des missions de prévention sur les bonnes pratiques du numérique pourraient par ailleurs permettre d’éviter nombre d’arnaques (hameçonnage, fraude à la carte bancaire…).

Une solution ambitieuse qui aurait le mérite de redynamiser les territoires et d’accompagner les plus fragiles dans leurs usages d'Internet et des outils digitaux.