A l'AMF et chez Trade Republic, l'IA traque les fraudeurs des marchés financiers

A l'AMF et chez Trade Republic, l'IA traque les fraudeurs des marchés financiers Les opérations frauduleuses et les manipulations de cours sur les marchés financiers peuvent maintenant être identifiées par des modèles d'intelligence artificielle. A condition d'investir.

La finance n'est pas en reste des récents progrès en matière d'intelligence artificielle. Grâce à des investissements massifs dans la technologie, les modèles sont aujourd'hui en capacité d'aider les courtiers et les autorités de régulation à mieux détecter les opérations frauduleuses sur les marchés financiers. Chaque jour et sur les seules sociétés du CAC 40, ce sont plusieurs millions d'ordres, d'achat ou de vente, sur des actions ou des dérivés, qui sont passés. Une quantité de données astronomiques qui nécessiterait des ressources humaines considérables pour être analysée. Grâce à l'intelligence artificielle, certaines opérations sont aujourd'hui automatisées. Un gain de temps et d'efficacité pour les nombreux opérateurs du secteur.

"Autrefois, il y avait des centaines d'êtres humains qui travaillaient rapidement en arrière-plan, supervisant des fichiers Excel. Aujourd'hui, ce sont des modèles d'IA qui prennent la relève. C'est incroyable, on sous-estime largement à quel point les salles de marché se sont modernisées", résume Matthias Baccino, markets group lead pour Trade Republic.

Le courtier régulé en Allemagne a récemment investi "massivement" dans l'intelligence artificielle pour la détection de fraudes et la lutte anti-blanchiment. Des dizaines de chercheurs, de développeurs, et de spécialistes en machine learning collaborent pour automatiser les contrôles. "Lorsque vous êtes une entité bancaire hybride, à mi-chemin entre la banque traditionnelle et la crypto-monnaie via la blockchain, et que vos clients sont répartis dans de nombreux pays européens, utilisant une variété de services, il devient indispensable d'avoir un système de détection de fraudes", estime le responsable.

Le dataset, nerf de la guerre

Au sein de l'AMF, l'Autorité des marchés financiers, l'intelligence artificielle est utilisée au quotidien sur deux flancs : la prévention et la détection des abus de marché, tels que les délits d'initiés ou les manipulations de cours. Après avoir automatisé une grande partie des opérations ces dernières années grâce aux algorithmes, l'IA vient s'ajouter aux outils à la disposition des analystes. Les modèles en production au sein de l'organisme sont principalement issus du monde du secteur de la recherche et adaptés aux besoins de l'AMF. Rares sont les modèles à être entraînés entièrement en interne en raison de l'important besoin en ressource exigé pour l'entraînement.

Le gendarme français des marchés financiers a recours à différents types de modèles en fonction des besoins internes. "Parmi les algorithmes qui fonctionnent quotidiennement, certains utilisent du machine learning non supervisé, avec des techniques de clustering, c'est-à-dire qu'ils regroupent intelligemment des lots de données. Par exemple, ils peuvent regrouper ensemble des participants de marché qui se ressemblent selon différents critères que nous proposons à l'algorithme, en fonction d'un modèle que nous recherchons", détaille Iris Lucas, head of data intelligence à l'AMF. Le régulateur utilise notamment un modèle d'IA pour de la reconnaissance d'entités nommées, afin d'extraire des informations spécifiques au sein de documents réglementaires sous la forme de PDF. Les données extraites sont ensuite converties sous la forme d'un fichier Excel et traitées ensuite par un algorithme.

En parallèle, l'intelligence artificielle est utilisée sur les données de marché après la fermeture des séances afin de traquer les comportements suspects. Grâce au clustering, l'algorithme est en capacité d'identifier "une séquence atypique". "Par exemple, si l'algorithme détecte que, sur une séquence donnée, il y a des oscillations ou des variations de mouvements de prix qui sont atypiques, et je ne détaille pas ici toute la caractérisation de ce qui est considéré comme atypique, il peut alors signaler qu'il a repéré quelque chose d'anormal, par exemple entre 10h30 et 10h45", explicite Iris Lucas. Une fois que l'anomalie a été observée, le programme identifie les "actions, les produits financiers ou encore les instruments" éventuellement concernés. Une alerte est ensuite remontée, "pour aider un analyste humain à confirmer ou non le caractère suspect."

Continuer d'investir

Bien que d'immenses progrès aient été réalisés ces dernières années, de nombreux progrès restent à accomplir. La problématique centrale pour l'AMF reste l'étiquetage des données utilisées dans le dataset pour l'entraînement des IA. Avec plus de 175 milliards de lignes traitées en 2022, la catégorisation reste très complexe. "Si un particulier achète n'importe quelle action cotée sur un marché français, l'AMF recevra cette information, c'est prévu par la réglementation et cette information individualisée par transaction comportera environ 80 champs : code de l'action, achat ou vente, courtier, divers horodatages, etc", détaille Philippe Guillot, directeur des données et des marchés à l'AMF. Une manne d'informations immense dans laquelle il est difficile d'extraire des données utiles pour l'entraînement des modèles. Les datasets sont alors, par nature, déséquilibrés et manquent d'informations uniques sur les anomalies. En effet, il y a, heureusement, plus de séquences normales que de séquences présentant des transactions suspectes.

Afin d'assurer la maintenance et poursuivre la recherche en matière de données et d'IA, l'autorité des marchés financiers continue d'investir massivement. "Il faut continuer d'investir, plus que pour la seule maintenance. Lorsqu'on possède un système comme le nôtre, le fait de ne pas investir le condamnerait à une mort certaine", rappelle Philippe Guillot. De son côté, Trade Republic continue également d'injecter des fonds dans l'IA et les technologies sous-jacentes. La start-up voit une véritable opportunité de croissance. "Etant donné que nous sommes une scale-up en hyper-croissance, nous avons un besoin impératif d'automatiser au maximum nos processus. Nous avons le plus grand intérêt et la plus grande motivation à investir dans la recherche & développement", confie Matthias Baccino.