Eric Barbry (Cabinet Alain Bensoussan) "La liberté des employés sur les réseaux sociaux est limitée"

A l'heure du Web 2.0, la liberté d'expression des salariés donne de nouvelles responsabilités juridiques aux DSI. Un terrain qui reste encore à défricher.

JDN Solutions. Un employé est-il libre de parler de son employeur sur un réseau social ? Que dit la loi ?

Eric Barbry. La loi ne dit pas encore grand-chose sur les réseaux sociaux... Le salarié bénéficie du droit fondamental de liberté d'expression, même sur les conditions d'exercice et l'organisation de son travail. Mais cette liberté est limitée et ne doit pas porter une atteinte grave aux intérêts de l'entreprise. Et la diffamation, l'injure, l'incitation à la haine ou encore la violation du respect de la vie privée ou du droit à l'image, entre autres, sont sanctionnés par les lois civiles voire pénales. 

Mais certaines questions restent encore en suspens. Aujourd'hui, il y a un jugement très attendu qui devrait faire jurisprudence. Deux ex-salariés contestent leurs licenciements, devant le conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt. Leur entreprise les a licenciés pour incitation à la rébellion et dénigrement après avoir eu la preuve qu'ils avaient tenu des propos critiques sur leur hiérarchie, un samedi soir, sur Facebook.

Mais était-ce une conversation privée, à laquelle ces salariés avaient droit ? C'est ce que soutient leur avocat. Le conseil n'a pas réussi à se prononcer : sur ces quatre membres, deux ont pris fait et cause pour l'entreprise, et l'autre pour les employés. Une prochaine audience, reportée sine die, aura lieu avec un cinquième conseiller, issu du corps de la magistrature. 

"Un pseudo ne protège pas"

Quels sont les moyens de contrôle légaux ?

Il y a une différence entre ce qui est en accès libre, comme les blogs, et le reste. Ceux qui postent sur des sites invitant à critiquer ou à noter des entreprises se laissent parfois aller à insulter ou diffamer leur employeur. C'est à la mode. Or, un pseudo ne protège pas.

Selon la fameuse loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004, sur requête, un juge peut ordonner aux FAI ou aux responsables d'une plate-forme web l'adresse IP, et donc l'identité supposée de celui qui a publié des propos problématiques accessibles par tous sur la Toile. Et dans certains cas, cela ne relève plus des prud'hommes, mais bien du pénal.

Quels conseils donneriez-vous aux DSI face à cette nouvelle problématique ?

D'abord, il faut fixer une règle du jeu en interne pour définir l'usage des réseaux sociaux. Par exemple, les réserver à la vie privée et n'y diffuser que des versions allégées des CV. Dans l'idéal, les entreprises voudraient gérer totalement leur communication, pour que rien ne leur échappe. Elles peuvent donc conseiller à ses salariés de ne pas trop parler de leur activité professionnelle sur Internet. Mais les règles dépendront aussi du caractère de l'entreprise, de ses secrets industriels ou de sa R&D, etc.

"Un DSI n'est pas un policier ou un enquêteur"

Ensuite, il ne faut pas sous-estimer la sensibilisation. C'est presque plus important qu'une charte ! Pourtant trop souvent, les entreprises n'en comprennent pas l'intérêt alors que cet investissement peut leur éviter de perdre beaucoup plus...

Concernant la veille ou la surveillance, je conseille aux DSI de sous-traiter. D'une part parce qu'elles ont autre chose à faire mais aussi parce qu'il existe des entreprises spécialisées très efficaces.

Face aux employés utilisant trop les réseaux sociaux au travail, il est possible de restreindre leur accès par des filtres. La DSI peut aussi contrôler ses logs pour vérifier si le trafic sur les réseaux sociaux n'est pas trop important et donc pas compatible avec la productivité attendue, ce qui peut motiver un licenciement.

Enfin, je rappellerai qu'un DSI n'est pas un policier ou un enquêteur. Il doit donc, le cas échéant, transmettre aux huissiers, autorité compétente en la matière, et aussi plus neutre.

Auteur de plusieurs ouvrages et articles consacrés au droit de l'Internet, maître Eric Barbry dirige le pôle "Droit du numérique" du cabinet Alain Bensoussan. En collaboration avec l'éditeur spécialisé dans la sécurité sur Internet Olfeo, il tient le 10 juin 2010 la conférence "Web 2.0 et réseaux sociaux : les nouvelles responsabilités juridiques du DSI".