Les systèmes d’information pour le développement en Afrique

Le développement en Afrique peut passer par les Systèmes d’Information pris au sens large, ce qui recouvre tout à la fois des technologies informatiques, des moyens d’échanges de données, et des données et usages.

Les systèmes d’information, au sens large, ce sont tous les éléments qui font de la révolution numérique une réalité, i.e. des technologies informatiques (hard middle, soft), des moyens d’échanges de données (TIC), et des données et usages.

Les pays africains sont entrés dans l’ère de la révolution numérique ; tous les canaux sont concernés, les chiffres en témoignent. L’Afrique est à la pointe de la croissance du nombre d'utilisateurs d'internet, avec une augmentation de plus de 3600% en moyenne entre 2000 et 2012, soit sept fois plus rapide que dans le reste du monde. Sans parler de la pénétration inédite de la téléphonie qui a atteint, en une décennie, des taux de pénétration (nombre de lignes par habitant) de plus de 100% dans certains pays du continent[1].

Le développement des SI, une croissance tirée par les usages et la nécessité

Cette croissance est tirée tant par les usages, que par la nécessité. Que faire face à un manque patent d’infrastructures, en l’absence d’approvisionnement régulier et continu en électricité tant pour les utilisateurs finaux (pour recharger les batteries) que pour les professionnels (chaîne du froid, mise à jour en temps réel des données) ? Que faire alors que les compétences spécialisées sont si rares ?

L’existant, c’est un taux très faible de connexion Internet et l’absence d’infrastructures couvrant l’ensemble de la population. 25 pays africains concentrent 50% de l’accessibilité totale du continent. La connexion de l’Afrique au réseau international par câbles optiques sous-marins pénalisent particulièrement les pays enclavés, comme la République démocratique du Congo, le Niger et le Mali ; et les caractéristiques de l’habitat rural africain (faible densité et habitat dispersé), rendent l’installation du « dernier kilomètre » peu attractive pour les opérateurs. Face à cet existant, et face aux pénuries majeures, qui sont légions en Afrique, les populations des pays émergents savent faire flèche de tout bois et utiliser l’existant pour en tirer le meilleur bénéfice.

Le recours aux SI (systèmes d’information), et plus largement aux TIC (Technologies de l’information et de la Communication), a également été tirée par les usages locaux, dans un environnement où les opérations réalisées à distance limitent des déplacements longs et coûteux, en particulier auprès des administrations, et où la majorité des citoyens ne sont pas bancarisés. A titre d’illustration, le M-Banking (ou Mobile banking) permet désormais à des milliers de clients africains non bancarisés de payer leurs factures d’eau et d’électricité, leur place de parking ou leur achat en magasin, comme le montre le système de transfert de fonds par SMS M-Pesa au Kenya, avec ses 24 millions de dollars de transactions quotidiennes.[2] De la même manière, des start-up africaines se sont engouffrées dans la voie de l’invention de nouveaux usages, ainsi en est-il de la start-up Jumia (Amazon de l’Afrique) qui a développé une application pour prendre en photo les pas de portes afin d’indiquer le lieu de livraison, système très utile quand il n’y a pas d’adressage fiable. Un autre exemple peut être tiré de la cyberadministration : les SI et la dématérialisation des procédures administratives, en rendant possibles les démarches à distance, favorisent le développement des entreprises locales et l’inclusion de l’ensemble des usagers.

Les SI, maillon primordial du développement de certains secteurs

Les SI ne sont pas une fin en soi, mais des outils puissants sur lesquels s’appuient le développement et la structuration de secteurs majeurs, dans le secteur public comme le secteur privé.

Au sein des administrations, les SI constituent, comme mentionné ci-dessus, un moyen d’assurer une qualité de service équivalente et inclusive, qu’elle que soit l’enclavement des populations. Les SI constituent également un élément de fiabilisation des données d’identification, de lutte contre la corruption. Le projet IBOGA[3] d’enrôlement biométrique de la population gabonaise en propose une illustration édifiante. Les SI sont par exemple et plus largement un ferment de précision des données recueillies et de pilotage de la performance des ressources de l’Etat, caractéristiques de l’Etat moderne et cœur de la nouvelle gestion publique. Dans ce cadre, le système d’information de l’Etat devient central.

Si la fiabilisation des données au sein du secteur public est une réalité récente, au sein du secteur privé, qu’il s’agisse de succursales des entreprises multinationales ou des entreprises africaines, les SI ont depuis longtemps une place primordiale pour améliorer la performance au travers d’un pilotage plus fin et centralisé des données. La gestion des villes est à cet égard représentatif de la tendance. 

Le développement en Afrique peut donc passer par les Systèmes d’Information pris au sens large comme évoqué supra, ce qui recouvre tout à la fois des technologies informatiques (hard middle, soft), des moyens d’échanges de données (TIC), et des données et usages. Plus accessibles, plus mobiles et plus simples, ces SI auront alors le potentiel d’apporter l’ « inclusivité » nécessaire au systèmes africains pour toucher positivement et durablement les centaines de millions de nouveaux africains qui peupleront le continent d’ici 2050, mais aussi tous les autres qui sont déjà là…

Pour permettre l’essor de SI accessibles par-delà toute inégalité, mobiles et simples, à la hauteur des potentialités escomptées, 2 fondamentaux et 3 piliers sont à fiabiliser et réunir a minima :

  • des infrastructures de communication modernes et adaptées,
  • des compétences en informatiques, 
  •  la mise en place de dispositifs de fiabilisation et de gestion des données utilisateurs et citoyens,
  • une gestion moderne des investissements et des dépenses publiques –dans la mesure où les finances publiques sont considérées comme une ossature structurante pour l’économie et l’administration d’un pays
  • et encore plus d’innovations viables économiquement, portées par les entreprises et les ONG, et tirées par les usages.  

Fondement 1 - Des infrastructures sécurisées : un prérequis primordial au développement des SI

Le défi des infrastructures des TIC ne consiste pas seulement à multiplier la quantité de fibre et des réseaux hertziens qui parcourent les pays. Les techniques de télécommunication doivent également s’adapter de façon innovante pour faire face rapidement et durablement à l’augmentation du trafic, jusqu’au dernier kilomètre.

Décider d’être relié au réseau mondial pose évidemment des problèmes concernant la sécurité des données qui transitent. Il en va de la souveraineté des États. En effet, les États gèrent des données extrêmement sensibles comme par exemple les douanes ou l’état civil de leur population, données qui permettent aux États de savoir qui se trouve sur leur sol. Lorsque l’on passe du format papier à des systèmes d’information informatisés et centralisés, le risque de se faire pirater est fort.

Fondement 2 - Processus, compétences et pilotage : un triptyque indissociable

Le développement des TIC et des Systèmes d’Information bouleverse l’ensemble des cadres légaux et des processus traditionnels des pays africains. En effet, pour adapter la législation, il faut non seulement créer de toute pièce le cadre légal relatif au secteur des télécommunications, mais également réfléchir à l’impact que peut avoir l’introduction des TIC et des Systèmes d’Information dans tous les domaines relevant de la loi.

Pour mettre en œuvre les processus et le cadre légal, et piloter de manière adéquate les SI, il convient également de disposer des compétences appropriées. Or, à l'heure où les sources traditionnelles se tarissent (bourses universitaires de l’aide bilatérale, par exemple) et où les politiques européennes de recrutement des étudiants étrangers se tournent de plus en plus vers l'Asie, l'Afrique se doit de former sa jeunesse pléthorique – plus de 50 % de la population a moins de 25 ans – pour lui permettre de répondre aux exigences croissantes d'un marché du travail qui s'est largement qualifié et internationalisé au cours des dernières décennies. Le marché des systèmes d'information, en pleine expansion, est emblématique de ce besoin en compétences locales encore si difficiles à dénicher. Il est donc primordiale d’étoffer les compétences enseignées localement et permettre la différenciation des parcours individuels, en particulier dans le domaine des TIC, mais aussi de s’assurer de l’adéquation entre les besoins du marché du travail et compétences disponibles.

Fondement 3 – Facilité les communications pour un développement durable, une lutte contre le fossé numérique : un fondamental transversal pour accompagner « l’effet club »

Le développement des SI est conditionné par un « effet de club ». Certaines populations sont très éloignées des centres de développement des SI et le resteront a priori encore pour quelques temps, compte tenu du rythme d’extension des infrastructures d’accès. Il ne sera pas possible de développer indéfiniment les SI avec un volant trop important de fossé numérique subsistant dans les pays émergents d’Afrique. Pour relever ce défi, développer les compétences et fournir un accès simplifié – via un centre d’accès rural ou via une plateforme mobile – font parties des mesures à envisager pour instiguer une dynamique vertueuse de développement des SI.

A titre d’illustration, le développement de plateformes permettant d’envoyer ou d’échanger des SMS en masse met à la portée des populations enclavées des services auxquels il leur était difficile d’accéder, qu’il s’agisse de services publics de base ou de services commerciaux. A titre d’illustration, au Kenya, l’application « Kilimo Salama » permet aux agriculteurs de souscrire à un régime de micro-assurance auprès de l’assureur africain UAP qui les indemnise par paiement mobile dès lors que des stations météorologiques locales, connectées au réseau 3G, détectent des conditions météorologiques susceptibles de détruire les récoltes.[4]

Pilier 1 – Une fiabilisation nécessaire des données pour « nourrir » les SI et assurer la qualité des résultats obtenus

La quantité exponentielle de données à traiter et les défis du Big data sont la partie émergée de l’iceberg, le vrai enjeu en Afrique étant la qualité et la fiabilité des données. En filigrane, c’est la question des sources de données et de la structure institutionnelle en charge de la consolidation des données qui est posée, dans un cadre où les institutions publiques, garantes de données fiables d’identification (équivalent de l’INSEE en France) sont souvent peu structurées, où les acteurs privés ne disposent bien souvent pas des moyens satisfaisants pour fiabiliser toutes les données. Est posée également la question de la dématérialisation et des conditions de conservation des données, dans un contexte où la complétude des données est soumise aux aléas climatiques et aux erreurs matérielles inhérentes au format papier de conservation actuelle. Enfin, si la question dépasse le strict point de vue informatique, la question des infrastructures et des outils de croisements de données est également posée, dans la mesure où l’absence de mise à jour des données en temps réel génère aujourd’hui des anomalies importantes.

Pilier 2 – Une gestion moderne des investissements et dépenses publiques

Le budget est au cœur du fonctionnement de tout Etat. C’est particulièrement vrai dans les pays africains qui ont besoin de maitriser leur budget en exécution pour faire face aux aléas de leurs ressources budgétaires liés aux variations du cours des matières premières, et dans lesquels l’influence du secteur public sur l’économie est souvent prépondérant. Dans ce cadre, la gestion des finances publiques peut être considérée comme un élément structurant pour toute l’économie d’un pays d’une part, mais aussi comme un levier d’entrainement sur la virtuosité du climat de la gestion des affaires dans la mesure où plus de transparence signifie une corruption assainie et une efficacité d’action renforcée.

De facto, à l’initiative de la CDEAO et de l’UEMOA, plusieurs gouvernements se sont lancés dans des réformes profondes visant à fixer des objectifs de performance des politiques et des administrations publiques, dans le droit fil des recommandations de la nouvelle gestion publique. A l’appui de ces réformes, des projets d’envergure colossale de refonte des SI financiers et comptables ont été initiés. L’expérience déjà acquise dans les pays occidentaux, mais aussi dans les pays africains qui se sont engagés dans ce sens suggère que la réussite tient au respect de deux impératifs primordiaux : intégrer les SI comptables et budgétaires, pour une gestion plus transparente et fiabilisée des comptes publics, et réconcilier métiers, processus et acteurs à toutes les phases de l’intégration, de la conception jusqu’aux derniers déploiements.

Pilier 3 – Toujours plus d’innovation, pour autant que des modèles économiques pérennes soient trouvés

Les usages et la nécessité poussent l’Afrique de manière générale à l’innovation. Pour autant, au-delà des sous-jacents liés aux infrastructures, du cadre normatif, des processus et des compétences, le vrai défi de l’innovation en Afrique est de passer de l’idée à la réalité, c’est-à-dire de passer de la feuille de route de mise en place d’un SI à son implémentation effective. Au sein du secteur privé local, tout comme au sein de l’administration, cela nécessite de disposer d’une mise de fonds initiale et stable jusqu’à l’arrivée à maturité de l’offre ou du service. C’est dans ce maillon de la chaîne que s’inscrivent en particulier les incubateurs. De fait, la Banque Mondiale, dans le cadre de l’initiative Digital Entrepreneurship Africa, a cofinancé la création de près de 100 incubateurs dédiés aux TIC. L’argent reste le nerf de la guerre pour alimenter la pompe à innovation et la pompe à développement. Dans ce cadre, éviter la multiplication ou l’essaimage des budgets entre plusieurs projets, pérenniser les fonds au travers de partenariats de type PPP sont autant de pistes pour favoriser un essor harmonieux des SI, et, partant, un développement durable des économiques africaines.


Jean-Michel Huet, Partner BearingPoint et Ludovic Morinière, senior manager BearingPoint