Jusqu'où la clause de limitation de responsabilité peut-elle protéger un éditeur ?

Une affaire vieille de 2000 rebondit au sujet de la clause limitative de responsabilité. Celle-ci peut contenir un évènement comme la non-livraison d'une solution essentielle à la survie d'une entreprise, disent les juges.

Qui a gagné, qui a perdu ? Difficile de se faire une idée claire de la situation suite à la décision de la Cour d'appel de Paris dans l'affaire qui oppose Faurecia à Oracle depuis 2000.

L'affaire porte sur un contrat de mise en place d'ERP par Oracle chez l'équipementier automobile. En 1997, Faurecia souhaite faire évoluer son ERP Oracle de la version 10 à la version 12, en passant par la 11.

Une version qui l'intéresse à double titre : elle le protège contre le bug de l'an 2000 et elle lui permet de mondialiser son ERP alors qu'il ne fonctionne jusqu'alors qu'en Espagne et au Portugal. Surtout, cette version est la seule à même de lui permettre d'intégrer complètement son activité automobile, essentielle, à son ERP.

Bien que le contrat d'origine entre Faurecia et Oracle ne précise rien au sujet de la version 12, il est entendu que la version 12 doit arriver. Elle ne sera jamais mise en production, car jamais livrée par Oracle, qui décide qu'il n'est plus intéressé par le développement de ses produits dans le secteur de l'automobile.

Du coup, le projet s'arrête, les délais s'allongent, les coûts explosent. Faurecia refuse de payer les factures d'Oracle concernant la version 11, à savoir les coûts de licence sur la totalité des postes à l'échelle mondiale.

Oracle porte plainte pour non-règlement des factures et le contentieux commence en mai 2000. Un expert est nommé dans le cadre de l'expertise judiciaire. Il vérifie si la solution est déployable sur l'activité pièce automobile avec la version 11, conclut que ce n'est pas le cas, et affirme que pour que le contrat soit rempli par Oracle, la version 12 aurait du être déployée.

Faurecia va donc se pourvoir en cassation en arguant du fait que la clause limitative de responsabilité, imposée par Oracle au moment de la signature du contrat, n'est pas valable.

De fait, en 2005, un premier arrêt de la Cour d'appel de Versailles rend son jugement : Oracle a commis une faute contractuelle en ne livrant pas la version 12. Elle applique le droit positif : la clause limitative de responsabilité du contrat entre Oracle et Faurecia entre en jeu, et des dédommagements à hauteur des conditions mentionnées dans la clause doivent échoir à Faurecia.

Victoire ? Non. Pour Faurecia, le montant prévu dans la clause limitative de responsabilité n'efface pas les pertes de la non mise en production de la version 12. Surtout, Faurecia considère que la livraison de la version 12 est en fait une obligation essentielle qui ne rentre pas dans les clauses limitatives de responsabilité.

Second épisode de l'affaire, Faurecia va donc se pourvoir en cassation en arguant du fait que la clause limitative de responsabilité, imposée par Oracle au moment de la signature du contrat, n'est pas valable.

De fait, en 2007, la Cour de cassation rend une décision de principe qui modifie le droit positif : si la clause limitative de responsabilité a pour effet de priver le plaignant de toute contrepartie sur faute et si elle permet à l'accusé d'être exonéré de l'exécution d'une obligation essentielle, alors, la cause limitative ne s'applique pas. Faurecia exige alors 61 millions d'euros de dommages conformément à l'expertise judiciaire qui a chiffré le manque à gagner de l'entreprise suite à la non mise en place de la version 12.

Un retournement de situation qui va dans le sens de la jurisprudence "Chronopost"

Un retournement de situation qui va alors dans le sens de la jurisprudence "Chronopost", entreprise condamnée quelques années plus tôt pour avoir promis un remboursement à ses clients si sa livraison en 24h00, obligation essentielle, n'était pas respectée, les privant ainsi de toute action en justice en cas de défaillance de sa part.

"Ce jugement de 2007 aura un impact très fort sur les liens contractuels dans le monde de l'informatique" explique l'avocat Stéphane Lemarchand, du cabinet Bird&Bird. "Il s'agit d'un tremblement de terre dans les rapports entre clients et fournisseurs. Les prestataires de services et les éditeurs vont proposer des contrats extrêmement rigides, qui ne souffriront aucune prise de risque".

La situation était ainsi jusqu'à ce nouvel arrêt de la Cour d'appel de Paris, le 26 novembre dernier, qui contredit l'arrêt de la Cour de cassation. La Cour d'appel affirme dans son jugement très récent que : Oui, Oracle a manqué à son obligation essentielle de livrer la version 12, sa responsabilité est engagée, et Faurecia avait bien signé avec Oracle en vue de travailler un jour sur la version 12. Mais en revanche, la Cour d'appel affirme que la clause limitative de responsabilité a été librement négociée et acceptée par Faurecia, société de niveau mondial, avertie, et connaissant le droit.

"De fait, cette clause n'a pas pour effet de rendre Oracle irresponsable mais limitativement responsable, et ne prive pas Faurecia de toute contrepartie", explique Stéphane Lemarchand. 203 000 euros ont donc été accordés à Faurecia au titre de la clause limitative de responsabilité, au lieu des 61 millions exigés pour dommages, si la clause limitative de responsabilité n'avait pas joué.

"Cette décision est rassurante pour les professionnels, mais étonnante du point de vue du droit", conclut Stéphane Lemarchand. "La conséquence est que, à nouveau, la partie 'clause limitative de responsabilité' dans les contrats va être revue en profondeur".

Les SSII et les éditeurs ont donc cette fois gagné une manche contre leurs clients mécontents. Mais la Cour de cassation pourrait à nouveau être saisie pour dire définitivement le droit. L'affaire continue.