L’informatique est-elle contre la société ?

Et s’il y avait une autre façon d’utiliser les technologies de l’information ?

« Vous pouvez voir partout que nous sommes à l’âge de l’ordinateur, sauf dans les statistiques. » dit Robert Solow, le prix Nobel d’économie qui a étudié la croissance économique et ses causes.
« Le paradoxe de Solow » intrigue le monde.
Exemples :
Les années 90 furent celles de « nouvelle économie ». Les nouvelles technologies font notre fortune, disait-on. Le cabinet McKinsey a analysé les gains de productivité de cette décennie. Causes ? Des innovations organisationnelles telles que les grandes surfaces.
Thomas Davenport, un spécialiste des progiciels de gestion : « les entreprises ont dépensé, littéralement, des milliers de milliards de dollars en projets informatiques avec peu de bénéfices apparents, financiers ou de productivité ».
Le cabinet Accenture : « À peine 16 % de l’ensemble des projets de développement informatique se déroulent dans des conditions acceptables en termes de coûts, de délais et de qualité. »
L’informatique, innovation non maîtrisée…

Quelles explications donne-t-on du dit paradoxe ?

Un article de la Harvard Business Review étudie, en 2002, le flop de la mode des logiciels de relation client (CRM) : « la plupart des dirigeants ne comprennent simplement pas ce qu’ils mettent en œuvre, et encore moins son coût et le temps que ça va prendre »… les problèmes rencontrés venant « d’une hypothèse erronée : le CRM est un logiciel qui va gérer la relation client pour vous. »
Le dirigeant n’a pas compris ce qu’il achetait, et comment le faire marcher. Bug de conduite du changement !
Au cours d’une enquête sur ce sujet, j’ai rencontré un responsable commercial d’un éditeur d’un progiciel de gestion. Que disait-il ? Les dirigeants pensaient faire un « investissement industriel ». Ils croyaient acheter une machine. Or la transformation est humaine. Faute d’avoir perçu cette dimension de la question, l’échec était certain. Ce qui l’inquiétait. (A tort, son progiciel a continué à très bien se vendre.)

… outil de lutte des classes …

Récemment, The Economist s’interroge sur les bénéfices d’Internet. « Il y a certainement des raisons d’en faire beaucoup moins – de rationner les e-mails, de réduire le nombre de réunions, de se débarrasser de quelques dirigeants excessivement zélés. Depuis quelques temps s’impliquer dans son travail a un retour sur investissement négatif. Il est temps d’essayer une stratégie bien plus radicale : prendre du recul. » Internet, facteur de désorganisation du travail !
Mais il y a pire. Internet a remplacé l’emploi fixe par un emploi précaire, improductif. « Les auto-entrepreneurs [40 % de la création d’emplois en Angleterre] travaillent plus longtemps – 6 % de plus que les employés – mais leurs revenus horaires moyens sont moins de la moitié de ceux des employés. » Internet a aussi « transformé certaines branches de l’économie – la vente de détail, la musique et l’édition, par exemple -, en grande partie en détruisant des modèles économiques existants. » « Internet, par opposition [à l’usine], semble atomiser la force de travail. En donnant un plus grand contrôle au possesseur de capital, il pourrait expliquer pourquoi les profits aux USA sont au plus haut depuis l’après guerre. »
Internet donne l’avantage au capital sur le travail. Mais pas à la façon de Marx. Par la destruction du capital productif. C’est Adam Smith que l’on assassine ! Car le principe même du capitalisme est le gain, continu, de productivité. On comprend l’inquiétude de The Economist.

 … ou arme de destruction massive ?

D’ailleurs, l’argument de Solow ne demeure-t-il pas pertinent ?

Dans les années 60, le progrès émerveillait mes parents. La tuberculose avait tué trois frères et sœurs de mon père. Ce n’était plus possible. Il y avait des voitures, fiables, le téléphone, la télévision, l’électroménager, les grandes surfaces, la sécurité sociale, l’allongement des études et de l’espérance de vie, les voyages en avion… Et aujourd’hui ? Google, Facebook, Twitter ? Les jeux vidéo ? Les SDF et le chômage ? Après des décennies de technologies de l’information, et même une bulle spéculative : où est le miracle ? 
Où veux-je en venir ? Ce n’est pas l’informatique qui est destructrice. C’est l’usage que l’on en fait.
De la poudre au nucléaire, voilà qui est vrai pour toute invention humaine. D’ailleurs, la meilleure façon d’acquérir des richesses n’est-elle pas de les prendre aux autres hommes ? Mais il arrive un moment où il faut bien en créer de nouvelles. Et si l’on commençait à s’en préoccuper ? Et si les bénéfices des technologies de l’information étaient encore à exploiter ? Et si l’on mettait cette innovation au service de l’humanité ?