La greentech, nouvelle bulle de la French tech ?

La greentech, nouvelle bulle de la French tech ? Programme d'investissement de la PBI, prise de conscience, réglementation favorable, nature des entreprises… De nombreuses raisons expliquent l'attrait des investisseurs pour la greentech.

L'arbre qui cache (un peu) la forêt. Alors que les levées de fonds en France ont baissé de 40% en 2023, la greentech est parvenue à tirer son épingle du jeu. Avec 2,78 milliards d'euros levés, soit une hausse de 9% par rapport à 2022, il s'agit du premier secteur d'investissement en 2023 selon une étude de la BPI France. Et en 2024, le financement de la greentech ne ralentit pas. Greenly en mars (49 millions d'euros), Bioptimus en février (35 millions), NeoCem en janvier (23 millions)… Les belles levées continuent de s'enchainer. Et à l'image de Blisce/Climate, un nouveau fonds dédié aux technologies de décarbonation dévoilé le 13 mai dernier, les investisseurs ne semblent pas vouloir réduire la cadence.

Le contraste avec le reste de l'écosystème est saisissant. Pendant que la majorité des start-up françaises revoient leur modèle pour chercher la rentabilité, les jeunes pousses de la greentech privilégient plutôt l'hyper croissance. Mais quelles raisons expliquent la première place du secteur en termes d'investissement ? Et sont-elles cohérentes ? L'une d'entre elles est très prosaïque : il s'agit de la large définition de la greentech, un secteur qui regroupe toutes les start-up qui offrent des solutions innovantes pour lutter (directement ou indirectement) contre le réchauffement climatique. Une définition qui englobe l'agriculture durable, la mobilité durable, le numérique responsable, la décarbonation de l'industrie, les énergies renouvelables, les outils digitaux pour chiffrer le bilan carbone… Au total, on compte 2 750 greentechs en France selon la BPI.

Des besoins de financement importants

Le nombre fait donc la force. Mais d'autres facteurs existent. Toujours selon la BPI, 42% des greentechs sont des entreprises industrielles. Celles-ci "ont besoin de beaucoup de financements", indique Stéphane Bourbier, CEO d'Asterion Ventures, une société de capital-risque dédiée à la transition écologique. "Il faut être patient, on parle d'entreprises qui vont apporter de véritables transformations". Des propos confirmés par Benjamin Bitton, managing partner de 2C Finance et trésorier de France Digitale : "Pour changer nos usages, il ne faut pas dix millions d'euros mais des centaines de millions d'euros. Les greentechs industrielles misent sur des technologies qui nécessitent plus de fonds qu'un logiciel SaaS BtoB. Si leur pari fonctionne, certaines d'entre elles pourraient devenir des véritables poids lourds". Cela pourrait être le cas de Verkor ou de Driveco, deux spécialistes de la recharge électrique qui ont respectivement levé en 2023 850 millions d'euros et 250 millions d'euros.

Autre facteur qui joue en faveur du secteur : "la réglementation de plus en plus importante qui oblige les entreprises à se transformer", constate Stéphane Bourbier. Le décret mettant fin à l'impression automatique des tickets de caisse et de carte bancaire a permis à la start-up Billiv d'émerger. Autre exemple, la réglementation européenne SDFR (sustainable finance disclosure regulation), qui vise à promouvoir la finance verte, porte la croissance d'une start-up comme WeeFin qui aide les institutions financières à piloter leur stratégie ESG. "En Europe, la réglementation est en avance. Nos start-up auront un coup d'avance quand cette réglementation va émerger dans d'autres pays, notamment en Chine ou aux Etats-Unis. On a raté l'ère du digital mais sur l'impact et sur la greentech on est en bonne position", poursuit Stephane Bourbier. Une perspective prometteuse. Et une raison de plus pour les investisseurs de s'intéresser au secteur.

Le nouveau mot magique pour lever des fonds

Au besoin de financement des start-up industrielles et à la réglementation favorable s'ajoute un contexte générale propice au développement de la greentech. "Ce n'est que le début de l'avènement du secteur", prédit Stéphane Bourbier. "Les gens commencent à voir les effets du réchauffement climatique et prennent conscience du sujet". Une prise de conscience notamment visible à travers le plan France 2030 lancé par la BPI en 2021. Doté de 54 milliards d'euros, ce programme permet de compléter le financement privé et d'investir dans les technologies innovantes et de soutenir la transition écologique.

Reste que malgré toutes ces raisons, certains tours de table ont surpris. "Il y a quelques start-up qui créent des services connexes, comme des plateformes de reporting d'émission de carbone, et qui surfent sur la vague pour lever des fonds. Attention, certaines de ces plateformes sont très performantes. D'autres un peu moins. Il y a trop d'acteurs pour un seul marché qui n'est pas encore très mature. Le risque, c'est de créer des besoins futiles au nom du green", déplore Benjamin Bitton. "Il y a quelques années, le mot magique pour lever des fonds était big data. Ensuite c'était SaaS BtoB puis fintech. Aujourd'hui c'est intelligence artificielle et greentech. Comme dans tous les secteurs à la mode, la greentech va créer des géants et des opportunistes mort-nés". Cette dernière catégorie ne devrait toutefois concerner "qu'une minorité d'acteurs".

" Quelques valorisations généreuses en Série B et C"

La greentech n'est qu'au début de son cycle de financement. Pour l'instant, les tours de table généreux se multiplient. Mais après l'abondance de fonds viendra la question de la consolidation du secteur. Une perspective que Stéphane Bourbier aborde avec sérénité : "Je pense que les grands groupes prendront le relais du financement en rachetant des start-up pour leur besoin de transformation".

Ces grands groupes pourront-ils compter sur une future baisse des valorisations des jeunes pousses de la greentech ? Comme tous les secteurs dont le financement connait un essor spectaculaire, le spectre d'une bulle spéculative n'est jamais bien loin. "Je n'ai pas l'impression que l'on soit dans un moment spéculatif. Encore une fois, la greentech n'est qu'au début de son histoire", répond Stéphane Bourbier. Une petite alerte mérite tout de même d'être signalée : "Il y a peu de levées en série B et C alors que les fonds veulent investir. Il existe peut-être un phénomène de valorisation généreuse pour les start-up qui en sont à leur série B ou C mais on est loin de la bulle".