Au Gitex de Dubai, la cité-Etat affiche ses ambitions autour des nouvelles technologies

Au Gitex de Dubai, la cité-Etat affiche ses ambitions autour des nouvelles technologies Moins connu que le CES, le salon attire pourtant davantage de visiteurs que celui-ci. La démesure qui caractérise la cité-Etat s'y exprime sans ambages, tout comme son ambition de constituer un pont entre l'Occident et le Sud global.

Après avoir construit sa fortune sur l'or noir, Dubaï se rêve désormais en hub des nouvelles technologies susceptibles de rivaliser avec les meilleurs écosystèmes au monde. Le Gitex, salon géant qui se tient du 14 au 18 octobre, incarne cette ambition dont la démesure est à l'image de cette cité-Etat située au milieu du désert, où les gratte-ciels (dont la plus haute tour du monde, Burj Khalifa, de 828 mètres de haut) poussent comme des champignons et où l'on croise des voitures de luxe à tous les coins de rue. 

6 500 exposants, 1 800 start-ups et 1 200 investisseurs issus de 180 pays étaient attendus pour cette édition qui, si elle connait le même succès que l'an dernier, devrait rassembler 180  000 visiteurs. A titre de comparaison, le CES de Las Vegas en comptait cette année un peu moins de 140 000. S'il commence tout juste à se faire un nom en Europe et aux Etats-Unis, le Gitex ne date pourtant pas d'hier, puisqu'il souffle sa 44ᵉ bougie. Mais son ambition de constituer un symposium international des nouvelles technologies capable de rivaliser avec (et même de surpasser) le CES de Las Vegas coïncide avec l'intérêt croissant des Emirats arabes unis pour les nouvelles technologies, depuis une dizaine d'années. Après avoir décollé grâce au pétrole, Dubaï est également devenu un lieu dynamique pour les affaires, notamment autour du commerce, de la finance, de la logistique et de l'immobilier, et entend bien obtenir la même réussite avec les technologies de demain, dont celle qui déchaîne actuellement le plus de passions : l'intelligence artificielle (IA). 

Omniprésence de l'IA

"Les Emirats arabes unis ont très tôt identifié le potentiel de l'IA, surtout du fait de contraintes géopolitiques : il s'agit d'un petit pays dans une région en proie à de nombreux troubles. L'idée de pouvoir s'appuyer sur davantage que l'intelligence humaine pour résoudre les problèmes y est donc séduisante. Dès 2017, nous avons travaillé avec le gouvernement d'Abu Dhabi pour lancer notre entreprise. A la même époque, le gouvernement des Emirats s'est doté d'un ministère de l'IA, et peu de temps après, l'Université de l'IA a été lancée", affirme ainsi Peng Xiao, qui dirige G42, une entreprise émiratie qui cherche à appliquer l'IA à différentes industries. 

De l'entreprise américaine AMD, paradant avec son nouveau processeur MI325, consacré à l'IA générative et plus puissant que la puce H200 de Nvidia, à Nomad Homes, qui développe un assistant dopé à l'intelligence artificielle pour les agents immobiliers, en passant par Salesforce, venu présenter son nouveau copilote Agentforce, lancé en septembre, l'IA est partout. "Chaque jour qui passe voit sortir un nouveau modèle d'IA générative, avec ses forces et ses faiblesses. Notre ambition avec Agentforce est de vous aider à vous y retrouver et à utiliser les modèles les plus pertinents pour vos cas d'usage, entraînés sur les données spécifiques de votre entreprise", a déclaré Kaushal Kurapati, responsable produits IA générative pour Salesforce. 

Cap sur l'Afrique 

Reflet de l'ambition de Dubaï de constituer un pont entre l'Occident et le Sud global, la technologie chinoise est également très présente. Le géant Huawei est ainsi bien en vue sur le salon, à travers d'immenses banderoles, mais aussi via ses téléphones dernier cri incorporant des fonctions d'IA de pointe et équipés de sa puce maison. Ou encore à travers une présentation de son vice-président de la cybersécurité consacrée à la façon dont son entreprise œuvre à la sécurité des données de ses partenaires, peu probable dans une conférence américaine ou européenne. Une délégation russe était aussi présente, sous la forme du logiciel de cybersécurité Kaspersky, récemment interdit aux Etats-Unis, ou encore de la ville de Moscou, venue présenter sa stratégie smart city. 

Mais c'est surtout au continent africain que Gitex fait la part belle. La société organise déjà depuis 2023 une conférence annuelle à Marrakech, baptisée Gitex Africa, et prévoit désormais aussi l'organisation d'un événement Gitex Nigeria. "Le Nigeria compte déjà 220 millions d'habitants, chiffre qui devrait doubler d'ici 2050. A l'ère où l'IA devient omniprésente, et où la représentativité des données est sans cesse mise sur la table, il est tout simplement impossible de coder de grands modèles linguistiques sans prendre en compte les données de l'Afrique, et de son pays le plus peuplé. C'est aussi un écosystème débordant de talents et d'énergie, qui compte déjà plus de 6 000 start-ups" a déclaré Trixie LohMirmand, vice-présidente du Gitex, lors d'un petit-déjeuner consacré au Nigeria. 

La French Tech avait fait le déplacement

Si l'IA est particulièrement visible sur le salon, contexte oblige, toutes les technologies sont présentes. Les robots, bien sûr, entre ceux qui parcourent les allées pour renseigner les visiteurs, les bras robotiques capables de manipuler des objets avec une stupéfiante dextérité, et les robots de livraison. Mais aussi, ambitions démesurées de Dubaï oblige, les voitures volantes, dont on compte près d'une dizaine de prototypes sur le salon. "Notre objectif est de proposer un véhicule que chacun puisse conduire sans brevet de pilote" témoigne Tan Wang, dirigeant du chinois Xpeng. La voiture volante, c'est également le pari du français DTA, venu présenter son appareil monoplace, sorte de drone géant capable de décoller et d'atterrir verticalement grâce à quatre hélices, pouvant accueillir un pilote humain. A terme, l'objectif est de proposer un appareil se conduisant tout seul, à destination, par exemple, des équipes de secouristes, des aéroports ou, à plus long terme, des utilisateurs individuels. "Les Emirats arabes unis sont friands de ce type d'innovation très futuriste, nous avons déjà prévendu deux appareils", confie un porte-parole de l'entreprise rencontré sur son stand. 

La délégation française compte un panel d'entreprises assez large, avec de petits acteurs comme Molluscan, une jeune pousse de Nouvelle Aquitaine qui développe des capteurs IoT non invasifs qu'elle pose sur les huîtres pour transformer celles-ci en vigiles de la pollution de l'eau. Mais aussi de plus gros, comme Thalès, dont l'un des représentants vante l'aspect très international de la conférence, qui permet d'établir facilement des contacts dans des pays africains et asiatiques, ainsi, bien sûr, qu'au Moyen-Orient. 

Investissement à impact

Ville où l'automobile règne quasiment sans partage (bien qu'il existe un métro que les autorités prévoient de développer), où les piétons sont rares et les vélos inexistants, et où les bâtiments sont abondamment climatisés pour tenir en respect la redoutable chaleur du désert, Dubaï n'a pas vraiment une conscience écologique très développée. Pour autant, le sujet de l'empreinte écologique du numérique est bel et bien présent sur le salon. Sean O'Sullivan, à la tête du plus gros fonds d'investissement écoresponsables au monde, doté de 100 millions de dollars, présentait ainsi ses récents investissements dans des technologies visant, en vrac, à produire de la viande de synthèse et du lait à impact carbone réduit, ou encore à aider la relocalisation de l'industrie dans les pays développés. 

De nombreux échanges étaient également orientés sur la nécessité de diriger davantage d'investissement vers les jeunes pousses du Sud global, que ce soit pour le profit ou dans une optique écologique et humanitaire. "Seuls 9 % des fonds investis en capital-risque vont vers les marchés émergents. C'est évidemment bien trop peu" confie Asya Vildt, d'inDrive, un concurrent d'Uber très présent dans les pays émergents. Pour Helen Chen, de Nomad Homes, le problème vient notamment de la méconnaissance que les VC ont de ces pays et des possibilités qu'ils recèlent. "C'est aussi notre travail à nous, entrepreneurs issus de pays émergents, de leur montrer qu'il est possible de créer des entreprises et faire de l'argent dans ces pays, qu'on peut regarder ailleurs que vers la Silicon Valley." 

La question du financement des cleantech a également été longtemps abordée. Avec un consensus : les investissements dans cette technologie ne peuvent espérer un retour aussi rapide que ceux placés dans le logiciel. Un changement de paradigme parmi les VC est ici nécessaire. "Il faut créer de nouveaux instruments pour guider l'investissement. Nous autres investisseurs avons été habitués à une ère du logiciel où il est possible d'obtenir une licorne ou une entrée en bourse après dix ans. Dans les technologies pour décarboner l'environnement, on parle de dix à quinze ans avant même une première mise sur le marché, sans parler d'entrée en bourse. Les investisseurs doivent donc approcher ce marché avec des lunettes différentes", affirme Jamil Wyne de Riffle Ventures, un fonds d'investissement à impact.