Comment la French tech cimente sa place dans le BTP
À première vue, l'alliance paraît improbable. D'un côté le BTP, de l'autre la tech. Deux mondes a priori éloignés, sans réelle vocation à collaborer. Et pourtant, force est de constater qu'ils ont fini par se rejoindre. En effet, ces derniers temps, plusieurs start-up françaises qui développent des solutions de suivi et pilotage de chantier surfent sur une belle dynamique et gagnent la confiance des investisseurs. Dernier exemple en date, la start-up Kraaft qui a levé 13 millions d'euros en janvier. Un tour de table qui a suivi ceux conclus par Obat (12 millions d'euros), Altaroad (10 millions d'euros), Teamoty (3 millions d'euros) ou encore My Digital Buildings (2 millions d'euros).
Pourtant, ce ne fut pas gagné. Dans l'ombre de leurs cousines les proptechs, les jeunes pousses qui développent des solutions de suivi de chantier – parfois désignées sous le terme encore peu répandu de contechs – ont dû surmonter plusieurs défis. "Les entreprises du BTP sont sans doute un peu moins familières avec la tech, et elles font moins de marge donc elles peuvent se montrer réticentes à dépenser de l'argent pour un logiciel", indique Marc Nègre, cofondateur de Kraaft.
"J'ai lancé l'accélérateur de start-up du groupe Vinci en 2018. Au début, c'était compliqué de trouver cinq start-up à accompagner", se rappelle Guillaume Bazouin, partner chez Brick & Mortar Ventures, un fonds d'investissement qui cible uniquement les start-up de la construction. D'autres initiatives ont vu le jour, comme la création de l'association Contech France, qui rassemble les jeunes pousses du secteur, ou encore l'accélérateur lancé par Cemex. "L'engouement s'est également ressenti au niveau mondial. On est passé de 267 start-up spécialisées dans la construction en 2018 à plus de 4 000 en 2024".
"J'ai lancé l'accélérateur de start-up du groupe Vinci en 2018. Au début, c'était compliqué de trouver cinq start-up à accompagner"
Dans le sillage de Finalcad et Resolving, acteurs français historiques du suivi de chantier (le premier a notamment levé 35 millions d'euros en 2018), les jeunes pousses de la construction ont bénéficié d'un contexte favorable. "Les artisans ont vécu une triple crise : le covid, la remontée des prix des matières premières et les tensions sur le marché du travail. Ils se sont tournés vers la digitalisation pour améliorer leur relation client, gérer leurs dépenses et ne pas perdre de temps sur l'administratif", affirme de son côté Thomas Rival, partner chez Evolem, un family office qui a participé au dernier tour de table d'Obat.
"Le BTP était un secteur très peu disrupté et peu touché par l'innovation. Les entrepreneurs se sont rendus compte que la tech pouvait être utile pour la captation d'information, la reconnaissance d'image, l'analyse de données…", poursuit Guillaume Bazouin. Autre élément de contexte favorable, la loi AGEC, promulguée en février 2020, oblige les entreprises à assurer la traçabilité des déchets générés par un chantier. Une raison de plus pour les entrepreneurs de s'équiper d'un logiciel de suivi de chantier. Enfin, si "l'adoption du smartphone a été plus tardive dans le BTP", elle s'est "désormais généralisée, a minima pour le chef de chantier".
Un marché fragmenté
Brique par brique, les contechs ont posé leurs fondations. Comme souvent, leur principal défi reste désormais de passer à l'échelle pour rivaliser avec les acteurs historiques. "Le marché est immense", souligne Thomas Rival. "Mais il est encore très fragmenté, avec une multitude de petits acteurs. Il ne serait pas surprenant de voir certaines start-up déjà bien établies opérer des rachats pour accélérer leur croissance. Atteindre une taille critique est essentiel pour s'imposer. Le secteur suit un peu la logique du winner takes it all".
Si l'on en croit nos interlocuteurs, ce rapprochement entre tech et BTP est parti pour durer étant donné les spécificités du secteur. "Dans la construction, de nombreuses entreprises ont moins de trois salariés. Le marché est très fragmenté et on compte beaucoup de parties prenantes sur un chantier. C'est pourquoi il est important de rassembler tout ce monde autour d'un seul outil", fait remarquer Thomas Rival. "Sur un chantier, certaines personnes ne parlent pas très bien français et peuvent éprouver des difficultés pour lire ou écrire. La tech permet d'interagir plus facilement avec des notes vocales ou des images. Clairement, un logiciel de suivi de chantier facilite la communication", note de son côté Guillaume Bazouin. L'idylle entre ces deux mondes ne fait que commencer.