Encadrer la Gig Economy : une obligation européenne, une urgence nationale

La Gig Economy s'impose dans nos villes, mais son modèle atteint ses limites. L'Europe agit, la France doit suivre. Il est temps de bâtir un cadre plus juste pour les travailleurs des plateformes.

En France, plus de 77 000 chauffeurs VTC étaient actifs en 2023. Un chiffre en forte progression qui dépasse désormais celui des taxis, illustrant une mutation profonde du monde du travail et de la mobilité urbaine. À ce rythme, les projections sectorielles laissent penser que le cap des 100 000 chauffeurs pourrait être atteint d’ici quelques années. Mais la question urgente n’est plus de savoir si les plateformes doivent adapter leurs modèles, mais quand — et comment. L’actualité récente l’a encore rappelé : les tensions autour du statut des chauffeurs, les pratiques de certaines sociétés de rattachement, ou encore les débats parlementaires sur la transposition de la directive montrent que la situation ne peut plus attendre.

Le modèle de travail indépendant, qui a longtemps régné sans partage dans les métiers de la gig economy, montre aujourd’hui ses limites. Derrière la flexibilité vantée par les plateformes se cachent bien souvent la précarité, l’absence de protection sociale, et une instabilité financière chronique. La directive européenne sur le travail via plateformes, adoptée en 2024, impose une transposition d’ici 2026. Elle entend mieux encadrer la relation de travail entre plateformes et travailleurs, et pourrait, à terme, faire basculer des dizaines de milliers de travailleurs sous un régime de salariat ou de quasi-salariat. En parallèle, les États européens accélèrent sur le sujet.

Ce tournant réglementaire ne doit pas être vu comme une menace, mais comme une opportunité. Celle de refonder un pacte social adapté aux réalités du 21e siècle : un modèle qui concilie autonomie et droits sociaux, souplesse et sécurité. C’est aussi l’occasion de corriger des dérives inquiétantes : sociétés de rattachement opaques, sous-déclaration fiscale, exploitation de travailleurs isolés. Il est temps de poser les bases d’un marché plus équitable, plus transparent, et plus durable.

Des solutions concrètes existent déjà. Parmi elles, les Coopératives d’Activité et d’Emploi (CAE) constituent un modèle innovant et légal qui permet de conjuguer statut salarié, indépendance économique et accompagnement. Ce modèle hybride, encore trop méconnu, prouve qu’il est possible d’offrir un cadre protecteur tout en respectant la flexibilité recherchée par de nombreux travailleurs des plateformes.

Il existe aujourd’hui en Europe un appel clair à une nouvelle génération de modèles sociaux, capables de répondre à la fois aux besoins de protection des travailleurs, aux attentes de conformité des plateformes, et à la volonté des États de garantir un socle de droits fondamentaux. À l’heure où les grandes transitions — numérique, écologique, démographique — bousculent nos économies, les plateformes de travail ne peuvent plus rester à la marge.

Nous sommes à un moment charnière. Le rôle des pouvoirs publics est crucial, mais celui des acteurs privés l’est tout autant. Il revient à chacun de choisir son camp : celui du déni, ou celui de l’invention d’un nouveau pacte social. Il ne s’agit plus de réguler le passé, mais de construire un avenir durable, dès maintenant.