Start-up : pourquoi le venture debt a le vent en poupe en Europe
Financer sa croissance sans diluer son capital : c'est la promesse du venture debt, un outil encore peu connu en Europe, mais de plus en plus prisé par les start-up tech. Dans un contexte de recul des levées de fonds en capital-risque, cette dette gagne du terrain. Mais il faut bien en comprendre les règles et les limites.
Un rattrapage européen, accéléré par le repli du capital-risque
Le marché européen du venture debt connaît une progression rapide. Selon PitchBook, le volume des deals a atteint 17,2 milliards d'euros sur le seul premier semestre 2024, contre 13,8 milliards sur l'ensemble de 2023. Si la dynamique s'explique en partie par le ralentissement des levées en capital, elle révèle aussi une évolution structurelle du marché.
"L'Europe commence à atteindre un stade de maturité qui la rapproche des Etats-Unis, où la venture debt représente historiquement 15 à 20% du capital levé par les start-up", affirme John Markell, managing partner chez Armentum Partners, qui conseille chaque année des centaines d'opérations de dette. En comparaison, cette proportion était encore inférieure à 10% en Europe il y a cinq ans.
La crise de liquidité provoquée par la hausse des taux, combinée au retrait temporaire de nombreux VCs, a renforcé l'attrait de ces financements alternatifs. "Les tours en equity sont plus lents, les valorisations plus basses et le capital disponible ne suffit pas à couvrir les besoins des start-up", constate Fatou Diagne, cofondatrice de Bootstrap Europe, un fonds de venture debt luxembourgeois.
La faillite de Silicon Valley Bank (SVB) au printemps 2023 a aussi contribué à faire émerger le sujet en Europe. Présente au Royaume-Uni et en Allemagne, SVB avait structuré un écosystème de financement par la dette unique dans le paysage tech européen. "Nous avons racheté les actifs de SVB en Allemagne, ce qui nous a donné une exposition accrue à ce marché et de nombreuses opportunités de deals", explique Fatou Diagne. Pour plusieurs acteurs du secteur, cet événement a mis en lumière le rôle stratégique que peut jouer le venture debt dans un environnement tendu.
Un outil réservé à des start-up solides
Le venture debt ne concerne qu'une minorité de start-up : celles qui ont déjà validé leur modèle, affichent une croissance régulière et disposent de revenus récurrents. "Nous intervenons généralement après la série A, une fois que l'entreprise a démontré une traction commerciale claire", précise Fatou Diagne. "Nous sommes par ailleurs très sélectifs. Sur dix start-up qui ont réussi à lever en VC, nous ne prêtons qu'à une seule", poursuit-elle.
Les montants financés varient : entre 1 et 30 millions d'euros chez Bootstrap Europe, parfois plus pour certains acteurs américains. Les maturités s'échelonnent sur trois à quatre ans, avec une période initiale de 12 mois pendant laquelle seuls les intérêts sont remboursés. Les taux d'intérêt se situent entre 10 et 12%, auxquels s'ajoutent des warrants (bons de souscription d'actions) permettant au prêteur de bénéficier d'une dilution marginale, souvent inférieure à 2% du capital.
Un coût significatif si on le compare à celui des prêts bancaires. Mais une opportunité à saisir quand on sait que les start-up n'accèdent que très difficilement à ces prêts. "Pour une banque, prêter à une start-up, ce n'est ni rentable ni naturel", affirme Fatou Diagne.
"L'intérêt principal pour les fondateurs, c'est de limiter leur dilution en repoussant ou en optimisant leur prochaine levée en equity", explique Nicolas Bucci, directeur European Debt Advisory chez Stifel, une banque d'investissement. Cette flexibilité est précieuse pour franchir des étapes critiques, comme atteindre le break-even ou valider un nouveau marché, avant d'ouvrir à nouveau le capital. "Ce n'est pas un substitut à une levée VC, mais un outil complémentaire, qui s'intègre dans une stratégie de financement long terme", souligne-t-il.
Des risques réels à bien mesurer
Malgré ses avantages, le venture debt n'est pas exempt de contraintes. "Une start-up qui ne croît pas suffisamment ne devrait pas lever de dette", tranche John Markell. En effet, les mensualités pèsent rapidement sur la trésorerie, et le financement devient risqué si la levée suivante est retardée ou si les revenus stagnent.
De plus, les prêteurs se protègent : ils prennent des sûretés sur la propriété intellectuelle, les contrats clients ou les actifs stratégiques, et imposent parfois des clauses restrictives. En cas de défaut, la relation peut évoluer vers une restructuration, voire une cession d'actifs.
Mais les prêteurs spécialisés assurent privilégier une logique partenariale. "Nous ne raisonnons pas comme une banque. Notre retour dépend aussi des warrants, donc de la valorisation finale de l'entreprise. Nous avons tout intérêt à ce qu'elle réussisse", déclare Fatou Diagne. Bootstrap Europe suit de près l'évolution de ses participations : reporting mensuel, échanges réguliers avec les équipes dirigeantes et scénarios de stress analysés en amont.
La prudence reste de mise. "Nous ne finançons jamais plus de 30% du plan global d'une entreprise, ni plus de 30% de sa valorisation", insiste Fatou Diagne. "La dette doit rester un catalyseur, pas une charge", ajoute-t-elle.
Le marché reste encore très concentré. "Il n'existe qu'une trentaine de prêteurs purement européens, contre plus de 350 aux Etats-Unis", rappelle John Markell. Cela limite mécaniquement l'accès au financement, en particulier en Europe où le cadre juridique est plus complexe ou moins harmonisé.