Start-up : la French tech prise au piège de la chute du early stage
Comment les champions de demain peuvent-ils émerger s'ils ne sont pas financés aujourd'hui ? L'équation paraît insoluble, et pourtant, la French Tech doit bien composer avec cette réalité. Les toutes jeunes pousses de l'écosystème peinent à lever des fonds. D'après un rapport publié par le cabinet In Extenso en juillet 2025, le financement early stage a reculé de 42% en volume au premier semestre 2025, comparé à la même période l'année précédente. Toujours selon ce rapport, 65% des montants levés se sont concentrés sur des séries B et plus lors des six premiers mois de 2025.
Ces chiffres peuvent étonner quand on sait que les structures spécialisées dans le financement en amorçage, comme Kima Ventures, Motier Ventures, Side Capital, Daphni ou encore Newfund, se sont multipliées ces dernières années. Mais justement, il y aurait un décalage entre le nombre de VC spécialistes du early stage et le nombre de start-up qui se créent. "L'offre a plus rapidement augmenté que la demande. Le contexte économique n'incite pas à fonder une entreprise et la cadence de création de start-up a ralenti. Pour les investisseurs, le principal frein provient d'un deal flow insuffisant, à la fois en volume et en qualité", assure Maya Noël, directrice générale de France Digitale.
Un financement à deux vitesses
Ce manque global d'opportunités alimente une forte concurrence entre les fonds, tous en quête des mêmes pépites à financer. "La situation est très paradoxale : la plupart des VC se ruent sur les mêmes start-up et ne parviennent pas tous à placer un ticket lors d'un même tour. Il y a un embouteillage, avec des capitaux qui se concentrent sur 5 à 10% des jeunes pousses en early stage. Pour toutes les autres, en revanche, lever des fonds devient un véritable parcours du combattant", observe Astrid Moullé-Berteaux, vice-présidente du fonds Headline. "L'IA polarise les investissements. De nombreuses start-up sont mises de côté", note de son côté Maya Noël pour expliquer ce financement à deux vitesses.
Pour celles qui ne sont pas du bon côté de la barrière, le difficile accès aux capitaux peut influer sur la motivation. "Certains fondateurs commencent à peine leur aventure entrepreneuriale qu'ils doivent déjà mener de longues négociations et essuyer des refus", indique Astrid Moullé-Berteaux. Selon France Digitale, 21% des start-up en early stage qui cherchent à lever des fonds abandonnent en cours de route. La situation comporte toutefois des effets collatéraux intéressants : "Elle pousse les fondateurs à moins dépendre de l'argent des VC qui est par nature très cyclique. Elle les incite aussi à mieux travailler leur projet, à affiner leur product market fit, alors qu'avant on pouvait lever en seed ou en pré-seed avec pas grand-chose".
"Difficile de sortir des champions sans un large vivier"
Constatant la difficulté pour les jeunes pousses d'attirer les fonds d'investissement, Astrid Moullé-Berteaux conseille aux jeunes pousses de se tourner d'abord vers les business angels pour effectuer des "petites levées" et pour "bénéficier de leur réseau et de leur rôle de tremplin avant d'approcher les VC". De son côté Maya Noël plaide pour la construction d'un écosystème structuré autour des jeunes start-up tricolores : "La baisse du financement early stage envoie un signal très négatif. Ce sera difficile de sortir des champions sans un large vivier. Et je parle du vivier dans son ensemble : il faut que les structures d'accompagnement comme les incubateurs et les accélérateurs se professionnalisent".
Mais la directrice générale de France Digitale craint que la réalité économique joue contre cette ambition. Le budget de ces structures repose essentiellement sur des subventions publiques, du sponsoring et du mécénat d'entreprise. "En période de turbulences, ce sont souvent les premiers budgets qu'on coupe un peu par réflexe", regrette-elle. "Dans les périodes de crise, il ne faut pas oublier que l'innovation est l'une des seules solutions pour s'en sortir. Ce serait dommage d'arrêter la machine car elle sera très dure à relancer", conclut Maya Noël.