Cloud Wars, épisode X : le réveil de la France face à l'empire " GAFAM-tique "
OVHcloud a démarré des négociations avec Qwant, incarnant une riposte européenne contre les GAFAM. Sur ce marché du cloud, la France peut-elle être un rival des États-Unis ou s'en faire un allié ?
Le 11 avril dernier, le président et fondateur d’OVHcloud, Octave Klaba, annonçait que le groupe français avait démarré - avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) - des négociations exclusives avec Qwant. Le partenariat OVHcloud/CDC (sous le nom de Synfonium) espère que les négociations avec le moteur de recherche français signeront la riposte tant attendue contre les géants américains sur le marché du cloud. Qwant, le « Google français », avait lui-même été créée par souci d’indépendance face aux GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, et Microsoft) et de respect de la vie privée, faisant défaut sur ces plateformes.
Mais la France et l’Europe peinent à contrer l’hégémonie numérique de l’Amérique selon Synergy Research : en 2021, Amazon (AWS), Microsoft et Google (Google Cloud) détenaient 69% du marché du cloud en Europe. Le constat est pire en France où le même trio a capté 80% de la croissance du marché à la même période. Le trio français du cloud, 3DS Outscale (Dassault Systèmes), OVHcloud et Scaleway (illiad), a bien du mal à émerger sur ce marché où le cloud européen a vu ses parts de marché chuter à 16% (contre 27% en 2017). Sur ce marché du cloud, la France peut-elle être un rival sérieux des États-Unis ou doit-elle s’en faire un allié ?
Que le cloud soit avec toi !
À l’image de « la Force » de l’univers de George Lucas, le cloud est une énergie aussi invisible que convoitée. Si la Force permet (entre autres) de déplacer des choses à distance, le cloud, lui, garantit le stockage de données à distance en lieu et place des serveurs de nos ordinateurs. Ces données en ligne sont accumulées dans des data centers, bâtiments dédiés à l’hébergement situés en France comme à l’étranger. En 2021, l’incendie du data center d’OVHcloud de Strasbourg rappelait l’explosion de l’Étoile Noire, une perte colossale qui impacta lourdement des sites d’administration publique comme des serveurs d’entreprises.
Le potentiel partenariat entre l’acteur de l’hébergement OVHcloud et le moteur de recherche Qwant arrive à point nommé pour le cloud français mais reste tardif dans la course mondiale, menée par les États-Unis. Les GAFAM ont déjà réalisé des rachats importants en Europe, tel que l'acquisition de Brainloop par Diligent. Dans ce contexte, la France et l’Europe doivent refreiner l’appétit américain en offrant une alternative crédible qui ne peut se reposer sur le seul effort français. La riposte européenne à l’Inflation Reduction Act a montré que l’unité des Vingt-Sept est vitale pour préserver toute forme de souveraineté face aux GAFAM.
Côté clair ou obscur du cloud… Les clouds franco-américains, nouvel équilibre de la Force ?
La guerre du cloud - comme la guerre des Étoiles qui oppose le côté lumineux au côté obscur de la Force - est-elle manichéenne ? Résistance française et empire américain sont-ils fatalement des forces opposées ou un partenariat atlantique est possible ? 2024 marquera le lancement de clouds franco-américains : Bleu (Orange et Capgemini) et S3NS (Thales et Google), projets de coopération entre la France et les États-Unis. Louables, ces partenariats entre l’Ancien Monde et le Nouveau soulèvent toutefois des interrogations techniques, juridiques, et politiques notamment quant à leur protection contre le CLOUD Act de 2018.
La portée extraterritoriale du CLOUD Act sur le numérique français est la crainte majeure, la loi contraignant les acteurs de l’Internet sous juridiction américaine à divulguer les données qu’ils gèrent, même à l’étranger. Malgré les promesses des deux parties, l’Europe est de nouveau sur ses gardes sur la problématique du cloud. L’adage américain « if you can’t beat them, join them » (= si vous ne pouvez pas les battre, rejoignez-les) soulève donc un dilemme cornélien : la France doit-elle mener la riposte européenne dans une bataille qui semble perdue d’avance contre les GAFAM ou doit-elle s’allier à l’Amérique en dépit de l’œil du CLOUD Act ?