Entrepreneuriat en France : retour sur 12 mois de militantisme un peu désabusé
Il y a plus d’un an, déjà dans les pages du JDN, et à la suite d’autres entrepreneurs/investisseurs je posais la question « Les Anges ont-ils des ailes de pigeons voyageurs ?». Il s’agissait de promouvoir le concept de risque, pour relancer notre économie par l’investissement et la création d’emplois dans les startups innovantes.
On m’a même reproché de trop
revendiquer le modèle de la Silicon Valley.
J’ai donc traversé une phase très
pessimiste en expliquant « Pourquoi
la loi de finances 2013 m'incitait à ne plus investir dans de nouvelles
start-up » !
Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts : à la suite du mouvement des pigeons/#geonpi avec Jean-David Chamboredon (patron du fonds ISAI), puis des Assises de l’Entrepreneuriat proposé par la clairvoyante mais désargentée Ministre Fleur Pellerin, nous avions pu, par un subtil mélange de rapport de force et de « coworking » accoucher de plusieurs propositions intéressantes pour permettre à la France de rester dans la moyenne européenne… notamment sur la fiscalité des plus values mobilières. A ce stade, j’étais de nouveau plutôt optimiste (si si !). J’avais même recommencé à investir naïvement dans certaines startups.
Mais la moyenne ne saurait suffire !
J’ai donc consacré un certains nombre de nuits et de
week-ends à l’écriture de « LA
Gauche A Mal A Son Entreprise » (paru aux éditions
Plon) : #LAGAMASE, une maladie et
un hashtag sous forme d’acronyme que je propose sur Twitter.
Car le corps
politique me semble loin d’être guéri.
J’avais employé cette métaphore pour la première fois dans une tribune
publiée par Libé : « #geonpi
de gauche ? ».
Bien que des entrepreneurs emblématiques revendiquent
un vote de gauche comme Patrick Robin, fondateur
de 24h00.fr, Olivier Bernasson de Pêcheur.com ou Jean-François Rial de
Voyageurs du Monde, cette question résonne dans les couloirs de l’Assemblée
Nationale et dans les pages de certains média : peut-on
sérieusement être de Gauche et entrepreneur ?
Ma question sera donc surtout : de quelle gauche parle-t-on ?
Après le pessimisme puis l’optimisme, nous voici à nouveau
sous un tir de barrage de la DCA : Défense
Contre les Assises. Il semble qu’un vent mauvais souffle de la gauche
caricaturale, à tel point que les entrepreneurs me relatent de nouvelles
aigreurs. Méfions nous des symptômes annonciateurs d’ulcères plus
inquiétants : #LAGAMASE frappe et refrappe, le diagnostic vital est enclenché.
Cette envie de crier le F-word, je l’entends « on se barre, ils nous emmerdent
avec leur dogmatisme !». Le contrat de confiance est désormais largement
entamé. On ne peut pas gaspiller le temps des entrepreneurs impunément en leur
faisant miroiter une France moderne un jour, puis un retour vers une gauche
passéiste en Noir et Blanc le lendemain. La gauche réactionnaire sonne à nos
portes. Laissons-là dehors !
J’ai eu honneur,
entre temps, d’être nommé co-président de France Digitale.
... Au côté de Marie Ekeland : donc nous représentons
les startuppers qui portent l’espoir de la France triomphante de dans 10 ans. Une France d’innovation,
créatrice d’emplois dans le numérique. Une France qui participe de la grande chorale
mondiale du monde moderne, qui voudrait séduire les investisseurs avisés et les talents prometteurs.
Mais je l’avoue, l’amertume me prend : la politique doit-elle
être un métier ? Le Nouvel Observateur a publié cette semaine une étude sur
la socio-démographie parlementaire qui nous révèle, comme nous nous en
doutions, que pratiquement aucun député n’est issu de l’entrepreneuriat (3 %),
c’est encore pire à gauche reconnait l’hebdo… de gauche.
D’où me vient cette colère après une année de militantisme ?
Je comprends désormais qu’une partie de la majorité
parlementaire remet impunément en cause la ligne social-démocrate du Président
Hollande.
Son autorité me semble désavouée, parfois même au sein de son
gouvernement. Les compositions électoralistes obligent le PS à s’enfermer dans
une indécision maladive. Le caractère d’urgence de la crise économique actuelle
n’est pas pris au sérieux. On a beau jeu de me rappeler que « c’est la
démocratie »…
J’ai besoin d’un cap et d’une solidarité au sein de l’équipage.
Il semble que l’agenda personnel de certains politiciens soit
plus important que le destin collectif. Je peux citer ceux qui me lassent par
leurs effets de manche, projets de loi ou amendements : le Ministre Benoit
Hamon, le Rapporteur Christian Eckert, la Députée Karine Berger.
Arnaud Montebourg et ces dérapages médiatiques
me semble plus sincère mais encore ignorant de la chose entrepreneuriale. Souvent
leurs initiatives partent d’une bonne intention, mais la mise en œuvre, sans
concertation, produit des effets catastrophiques à l’arrivée.
Je détecte aujourd’hui quatre réflexes qu’il nous faut combattre
avec lucidité car ils empoisonnent toute la politique française :
La protection frileuse des acquis, la peur de l’avenir
Deux ressources essentielles doivent être
tournées vers les métiers d’avenir : la ressource humaine et donc la formation au numérique et à l’entrepreneuriat.
Et la ressource financière, les
investissements. A vouloir tout protéger sous des carapaces législatives, on
oublie que des métiers (certes nobles) doivent disparaitre, comme Maréchal-ferrant,
ou vendeur de pains de glace pour laisser la place à l’innovation tourbillonnante…
La révolution numérique doit succéder à la révolution industrielle dans nos
esprits… pas demain, hier, c’est trop grave.
Accompagnons d'accord… mais accélérons surtout !
La protection des rentes : transformons l’épargnant en investisseur !
Encore et toujours, la rente est favorisée, et non l’investissement. La TVA sur les œuvres d’art, l’immobilier etc. les exemples abondent… Le pécule de 1500 milliards dans les assurances vies est emblématique de nos mentalités, cet argent devrait être en (toute petite) partie fléché vers les PME non cotées. Les Français plébisciteraient le projet si on lançait un grand sondage. Tout le monde en a ras le bol de voir son épargne stagnouiller à 2 %… Demandons-nous pourquoi les compagnies d’assurance ne bougent pas leurs grasses fesses ? Et pourquoi elles nous font croire que ce serait trop risqué pour les petits épargnants ? Et pourquoi le gouvernement n’ose-t-il pas les faire fléchir ?
Le principe de méfiance a priori, la suspicion comme point de départ
Chaque fois que Christian propose un amendement ou chaque fois que Karine ouvre la bouche, on a l’impression que les entrepreneurs sont des loups affamés, et qu’ils sont les chiens (de berger ?) chargés de protéger la laine française. Ils dressent les pigeons contre les moutons, bon esprit…
- Consultez par exemple l’édifiant dialogue
de sourd qui a eu lieu à l’Assemblée Nationale.
Cet échange révèle qu’il s’agit avant tout pour certain de proscrire. Pourtant l’amendement proposé dans ce débat par le brillant député Mandon, envisageait un simple sursis d’imposition (et non pas une exonération) en cas de réinvestissement suite à une plus value : il ne s’agissait en aucun cas de fraude fiscale, ni de spéculation en bourse, mais uniquement d’investissement dans des PME pour accompagner la prise de risque ! Incompréhension, ignorance, dogmatisme ?… - Autre exemple : la loi Hamon (en cas de projet de cession d’une entreprise) qui obligera les dirigeants à prévenir tous les salariés longtemps à l’avance et à leur proposer de formuler eux-mêmes une offre de reprise ? Voilà un projet qui semble louable... tant qu’on n’a jamais travaillé dans le privé : c’est ignorer la complexité et la confidentialité juridique et comptable d’un processus de cession. Quand une entreprise se vend ce n’est pas pour spolier ses salariés, c’est pour accélérer son développement ou répondre à une situation délicate. Bien sûr il peut y avoir des abus. Il faut les prévoir et les circonscrire … Sans placer le principe de méfiance comme fondateur a priori !
Une bonne réponse à cette situation consisterait
en une véritable politique d’actionnariat
salarié qui permettrait aux entrepreneurs de largement partager le
capital avec les employés en amont. Ainsi en cas de cession tout le monde serait
actionnaire !
Ce sera d’ailleurs un axe majeur du militantisme de France
Digitale en 2014, je vous l’annonce !
Le réflexe fiscal ou législatif COMPULSIF plutôt que la baisse des dépenses ou la simplification
On le sait nous sommes les champions du monde des lois et des impôts.
Deux des propositions phares des Assises de
l’entrepreneuriat ont été récemment mises à mal par des amendements Eckert
(encore !) :
- Tout d’abord la proposition d'interdire le cumul du nouveau régime fiscal des plus-values tout frais issu des Assises avec le fameux avantage Madelin (réduction IRPP suite à un investissement dans les PME) : un coup de froid après le coup de chaud des Assises, qui plus est annoncé comme rétroactif, c'est-à-dire après que nombre de personnes aient déjà profité en toute bonne foi de l’avantage Madelin… Bien sûr cette « erreur » va être corrigée suite à notre alerte ! Mais comprenez notre stress, notre fatigue, toujours sur le qui-vive…
- Et ensuite le même député s’attaque à la mesure
symbolique du PEA-PME ! Il s’agit à nouveau de méfiance et de réflexe
fiscal défensif : si une plus-value « trop » importante était
réalisée « trop » vite, alors elle devrait être imposée au régime de droit
commun, sortie de force du cadre du PEA ! C’est ignorer ou mépriser le
risque qui consiste à investir dans une PME ! Je rappelle que la plus grande probabilité
est de PERDRE son argent. C’est tout l’intérêt de ce PEA-PME : inciter un
public large à devenir Business Angel. L’argent investi dans une société non
cotée n’est pas « liquide » comme en bourse, on ne peut pas acheter ni
vendre facilement ses parts ! En tant que « angel », j’ai
déjà perdu de l’argent et j’ai même partagé cette aventure pour
évangéliser !
Nous sommes quelques uns à savoir de quoi nous parlons : c'est une gageure d’investir, mais c’est aussi une expérience humaine exaltante qu’il faut encourager pour relancer l’économie, donner le goût du risque et impulser une vision optimiste de l’avenir.
En France nous comptons moins de 10 000 business angels, en Angleterre ils en recensent 50 000 ? Je ne veux pas me résigner à cela !