Pierre Dubuc (OpenClassrooms) "Nous proposerons début 2014 des cours d'entreprenariat et de marketing"

Il a co-fondé OpenClassrooms, ex-Site du Zéro, à douze ans. Pierre Dubuc revient sur l'évolution du site de cours en ligne, qui a levé 1,2 millions d'euros en 2012, et sur l'explosion récente des MOOC.

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Pierre Dubuc est le cofondateur d'OpenClassrooms. © Pierre Dubuc

JDN. Pouvez-vous nous raconter la genèse du site du Site du Zéro jusqu'à ce qu'il devienne OpenClassrooms, le mois dernier ?

Pierre Dubuc. En 1999, Matthieu Nebra, mon associé, a publié un cours sur le net pour aider ses amis à apprendre à coder. Il avait 13 ans. Je l'ai vite rejoint sur le projet, et le Site du Zéro est né. L'idée était simple : "Le site du zéro, le site où l'on apprend tout à partir de zéro". Petit à petit, il a pris de l'ampleur. Pendant des années,  nous l'avons développé dans le but de diffuser des cours entièrement gratuits. En 2005, nous avons élaboré des outils de création de contenus pédagogiques, mis à la disposition de tous, pour aider le site à se développer en crowdsourcing. Avant ça, la communauté était déjà très active, mais uniquement sur le forum : les cours étaient exclusivement élaborés par Matthieu et quelques autres personnes, au cas par cas. Cet outil d'authoring a permis aux utilisateurs de publier leurs propres cours. Le site, fort de nombreuses nouveautés, a attiré de plus en plus de monde. C'est un cercle vertueux : plus d'audience génère plus de contenus, de meilleure qualité et bouche à oreille...

2006 a été une année importante en termes de trafic... et de masse de travail. Nous étions tous les deux encore étudiants et le site ne cessait de grossir. En 2007, nous avons créé une société pour le structurer et le professionnaliser. Deux ans plus tard, tous deux diplômés, nous nous sommes lancés à temps plein dans l'aventure. Nous avons ouvert des locaux et embauché nos premiers salariés. Nous sommes devenus une vraie start-up. Et en septembre dernier, le Site du Zéro est devenu OpenClassrooms.

Pourquoi ce changement ?

Au fur et à mesure des années, notre public s'est élargi et la difficulté des cours s'est accrue. Nous proposons même un cours de physique quantique, alors pour ce qui est "d'apprendre à partir de zéro"... Le site n'était plus ciblé pour les débutants, et nous avions besoin de nous institutionnaliser, pour les certificats notamment. Afficher une mention "Site du Zéro" sur un CV n'est pas très facile à valoriser auprès d'un recruteur... Nous avons choisi le nom "OpenClassrooms" pour souligner l'aspect ludique et pédagogique. "Classroom" pour l'aspect communautaire de l'éducation, "Open" parce que c'est une licence libre, un site gratuit et ouvert à tous, qui permet à chacun de rédiger du contenu.

Quels domaines couvrez-vous ?

Initialement, le site était dédié exclusivement à l'informatique. Mais il s'est aussi ouvert aux sciences de manière plus générale : mathématiques, physique, chimie, biologie... Début 2014, nous proposerons aussi des cours liés à l'entreprise (comptabilité, entreprenariat, marketing...), puis, rapidement, aux sciences humaines, à l'art et à la littérature. A travers des partenariats avec des éditeurs et des universités ou écoles, nous allons nous ouvrir largement.

Quel est votre business model ?

Nous monétisons le site en délivrant des certificats, en vendant des e-books et en éditant des livres. Nous avons aussi adopté un modèle freemium. Les MOOC, que nous créons en partenariat avec des universités, sont gratuits, mais pour télécharger les vidéos ou e-books, l'utilisateur doit payer. Enfin, le site héberge du sponsoring d'annonceurs, sous la forme d'écoles ou d'entreprises qui cherchent à recruter.

Retrouver la rentabilité en 2014

Etes-vous rentable ?

Nous l'avons été, mais nous ne le sommes plus. Nous avons levé 1,2 million d'euros l'an dernier, auprès d'Alven Capital, et énormément investi dans la technologie et la création de contenus. Notre objectif est de retrouver la rentabilité en 2014.

Vous publiez des livres papier. Pensez-vous que cette activité est complémentaire des cours en ligne ?

Nous sommes une maison d'édition à part entière. Nos 25 titres se sont vendus à 100 000 exemplaires depuis 2009. Cette branche est en pleine croissance, en même temps que le site gagne en popularité sur le net. Les deux activités sont complémentaires, d'autant que nous créons des connexions entre les livres et le web, avec des codes pour accéder à des ressources supplémentaires par exemple. Même si l'on se concentre avant tout sur le web, nous allons continuer de développer la vente de livres physiques. Notre but est de rendre la pédagogie accessible au plus grand nombre, quel que soit le support.

Les auteurs sont-ils rémunérés ?

Le contenu publié sur le site n'est pas monétisé, mais s'il est réutilisé dans un livre ou dans un MOOC, l'utilisateur est rémunéré en droit d'auteur.

Quelques chiffres sur l'activité d'OpenClassrooms ?

2,4 millions de VU, 650 000 membres inscrits, 800 cours disponibles, plus de 8 millions de messages sur le forum. Le premier MOOC du site, dédié à la création d'un site web, a attiré 16 000 étudiants : c'est le plus important MOOC en français créé jusqu'à aujourd'hui. OpenClassrooms emploie 20 personnes. Une équipe de communication, une équipe éditoriale -les ingénieurs pédagogiques coachent les auteurs : adossée à la modération par les utilisateurs, cette curation éditoriale assure la qualité des contenus-, une équipe technique et une commerciale.

Comment les MOOC sont-ils corrigés et les notes attribuées ?

Les exercices sont corrigés en P2P. Chaque internaute est évalué par trois personnes qui ont passé le MOOC à l'aide d'un corrigé-type très cadré. Si l'étudiant ne fait pas ce travail d'évaluation, cela a un impact négatif sur sa propre note. Des tests grandeur réelle, aux Etats-Unis, ont montré que la méthode est efficace. Les notes des professeurs sont très similaires à celles des élèves et les notes des élèves montrent même moins de disparités que celles des professeurs.

Quid des certificats ?

Celui que nous accordons actuellement est un certificat de marque, avec la mention de notre site. Dans un deuxième temps, dans le cadre des MOOC en partenariat avec des universités et grandes écoles, nous offrirons un certificat co-brandé avec le partenaire : toujours un certificat de marque, mais avec une mention académique. Enfin, dans un troisième temps, nous voulons le faire reconnaître académiquement et convertir en ECTS (crédits universitaires). Nous sommes déjà en discussion et nous avons bon espoir de le faire aboutir en 2014. A terme, on peut même imaginer un parcours pédagogique complet en cumulant les MOOC. Le système existe déjà aux Etats-Unis et on peut l'imaginer en France, même si nous prônons avant tout la flexibilité : obtenir quelques crédits via un MOOC, et le reste à la fac. Ce qui est intéressant, c'est de réunir une offre de formation de bonne qualité en misant sur les points forts de chaque école. Cela permet aussi de réduire les inégalités, notamment entre province et Paris, mais aussi avec l'étranger. Les profils des étudiants sont très variés. Notre premier MOOC compte 50% d'étrangers, et les étudiants viennent de 124 pays différents. Il y a notamment une grosse demande en provenance d'Afrique.

La concurrence, signe de croissance

Depuis quelques mois, les concurrents se multiplient sur le secteur...

Nous avons une position de leader, une grosse expérience, et nous sommes le plus gros acteur en France dans le domaine. On continue sur notre lignée historique. La concurrence, c'est plutôt bon signe. Elle montre que le marché s'ouvre et que la croissance est importante tant du côté des étudiants que des universités. Il y a cinq ans, ouvrir des cours sur le web aurait été impensable pour les facs françaises ! La tendance récente nous ouvre des opportunités et des marchés.

Que pensez-vous Initiative "France Université Numérique" du gouvernement ? (Lire l'interview de la ministre de l'Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso : "Nous lançons la première plateforme francophone de MOOC", du 04/10/13)

En débloquant un fonds de 12 millions d'euros et en créant 500 postes dédiés au numérique dans l'enseignement supérieur, la ministre affiche une ambition politique de développer le numérique dans les universités. Pour nous, c'est du positif : toutes les universités vont s'y mettre. Pour l'instant, cependant, les détails du programme FUN n'ont pas été dévoilés : comment les 12 millions d'euros vont-ils être investis ? L'initiative est honorable, il faut maintenant voir comment elle va s'articuler concrètement.

Projetez-vous d'étendre l'activité du site à l'enseignement dans les écoles primaires et au collège ?

Nous avons déposé un dossier en septembre à l'Education Nationale pour proposer des cours de mathématiques et d'informatique en primaire et au début du collège : des capsules pédagogiques avec de la vidéo, du texte, des exercices... Mais pour pénétrer ce type de marché, nous nous heurtons à l'éclatement de la prise de décision : ce sont les communes qui gèrent l'achat des manuels scolaires. Démarcher chacune d'entre elles serait trop compliqué. Pour l'instant, il faut se contenter de créer de l'usage, d'augmenter le trafic. Plus le niveau d'études est élevé (universitaire puis professionnel), plus le contenu est facile à monétiser.

Agé d'à peine 12 ans, Pierre Dubuc cofonde OpenClassrooms (anciennement Site du Zéro), une plateforme ouverte et communautaire d'e-Education, avec Mathieu Nebra. En parallèle, il se lance dans des études d'ingénieur à l'INSA Lyon dont il sortira major de promotion. En 2007, Pierre Dubuc fonde l'entreprise OpenClassrooms afin de pérenniser et accélérer le projet, tout en poursuivant ses études. Aujourd'hui, il apporte sa vision stratégique et business pour assurer l'expansion du site et dirige une équipe de 20 personnes.