La stratégie fiscale du gouvernement Macron pour éviter une explosion des faillites

Comme souvent, la fiscalité joue un rôle prépondérant dans l'arsenal de mesures gouvernementales de soutien aux entreprises. L'objectif, cette fois, est d'apporter un soutien d'urgence aux entreprises en amont des procédures existantes auxquelles les entreprises en difficulté peuvent avoir recours.

Au fil des semaines, la liste des mesures fiscales s'est allongée. Elle repose sur deux grands axes: alléger les contraintes administratives et offrir aux entreprises des facilités de trésorerie.

Le report des délais de déclarations

Afin que les tracas habituellement associés à la période fiscale ne soient pas déraisonnablement amplifiés par le contexte épidémique, le gouvernement a décidé d’accorder aux entreprises un délai supplémentaire pour déposer leur liasse fiscale et leur déclaration de CVAE. Initialement dues au 20 mai, ces déclarations pourront être déposées au plus tard le 30 juin 2020.

En l’absence de précision de l’administration fiscale, on peut s’interroger sur l’impact de ce report pour les entrepreneurs soumis à l’impôt sur le revenu. Bénéficient-ils du délai prolongé pour le dépôt de leur déclaration d’ensemble (n° 2042) qui doit reprendre le résultat figurant sur leur liasse fiscale? On peut le supposer au regard du calendrier annexé au communiqué du 17 avril dernier mais des précisions seraient bienvenues, notamment pour les entrepreneurs bénéficiant d’autres revenus (par exemple, salaires, revenus mobiliers) qui, rappelons le, doivent être déclarés aux dates habituelles (entre le 4 et le 11 juin selon les zones).

On notera également que, pour permettre aux entreprises de se concentrer sur la reprise de leur activité, le gouvernement vient de décider par ordonnance la suspension jusqu’au 23 août 2020 de tous les délais relatifs à des contrôles fiscaux (à l’exception des délais de réponse à des demandes d’éclaircissement ou de justification de l’administration, dont le cours reprendra au 23 juin.

L’octroi de facilités de trésorerie

C’est bien entendu la colonne vertébrale du dispositif mis en place par le gouvernement : depuis la mi-mars, les prélèvements obligatoires font office de variable d’ajustement pour tenter de donner un peu d’oxygène aux entreprises.

Des reports d’échéances sociales et fiscales

Dans un communiqué du 4 mai dernier, le ministre Gerald Darmanin a annoncé le maintien des reports d’échéance de charges sociales pour le mois de mai. Les entreprises de moins de 5000 salariés peuvent donc, sans demande préalable, reporter le paiement de leurs cotisations patronales et salariales de ce mois-ci. Le prélèvement automatique des travailleurs indépendants est suspendu sans action nécessaire de leur part.

Les entreprises qui emploient plus de 5000 salariés ne peuvent obtenir un report que sur demande et sous certaines conditions, notamment s’abstenir de verser des dividendes jusqu’au 31 décembre 2020 et ne pas avoir d’implantation dans un paradis fiscal. Bercy précise que seront traitées en priorité les entreprises qui n’ont pas bénéficié d’un prêt garanti par l’état.

Au plan fiscal, les entreprises continuent de bénéficier, pour le mois de mai et sur simple demande, du report pour trois mois de leurs échéances d’impôt sur les sociétés, taxe sur les salaires, mensualité de la cotisation foncière des entreprises et mensualité de la taxe foncière. Elles sont pour cela invitées à remplir un formulaire mis en ligne par le gouvernement et à le renvoyer par email au service des impôts compétent. Les entreprises de plus de 5000 salariés ne sont pas exclues du dispositif, sous réserve de l’absence de versement de dividendes et de rachats d’actions jusqu’à la fin de l’année 2020.

Attention toutefois: seuls les échéances d’impôts directs peuvent être reportées. Les entreprises doivent donc s’acquitter en temps et en heure du reversement de la TVA et des prélèvements à la source collectés sur les salaires de leurs employés.

Les travailleurs indépendants peuvent, quant à eux, demander depuis leur espace personnel sur le site impots.gouv, un report de l’acompte mensuel ou semestriel d’impôt sur le revenu. Ce report peut être demandé trois fois dans l’année - y compris trois fois de suite - pour les acomptes mensuels et une fois dans l’année pour les acomptes semestriels. Il leur est également possible de moduler le montant de cet acompte en ajustant à la baisse leurs revenus de l’année.

Enfin, les auto-entrepreneurs qui déclarent mensuellement ou trimestriellement leur chiffre d’affaires aux URSSAF peuvent reporter leurs échéances en ne validant simplement pas le télépaiement sur leur déclaration.

Des remises d’impôt sous certaines conditions

Les entreprises incapables de faire face à une échéance fiscale en dépit des mesures de report peuvent en demander la remise en complétant le même formulaire. L’administration fiscale se montre cette fois plus stricte: les entreprises doivent démontrer les difficultés auxquelles elles font face, par exemple en mettant en évidence une diminution significative de leur chiffre d’affaires. 

Neutralité fiscale des annulations de loyers et des aides versées par le fonds de solidarité : des mesures de cohérence

Pour donner sa pleine portée au fonds de solidarité qui vient d’être prolongé par décret du 13 mai dernier, la deuxième loi de finances rectificatives pour 2020 prévoit l’exonération des aides versées par ce fonds aux TPE, micro-entrepreneurs, indépendants et professions libérales. Ces sommes ne seront pas non plus prises en compte pour l’appréciation des limites de chiffre d’affaires auxquelles est conditionné le bénéfice de certains régimes (notamment les régimes micro-fiscaux).

Par ailleurs, alors que le gouvernement a plusieurs fois demandé aux propriétaires d’annuler les loyers des entreprises rencontrant des difficultés de trésorerie, il était de bon sens de sécuriser la situation fiscale des bailleurs répondant à cet appel. On sait en effet qu’un bailleur qui renonce à percevoir un loyer prend le risque d’être néanmoins imposé sur les sommes qu’il aurait dû percevoir. Afin de ne pas dissuader l’aide aux entreprises locataires, la deuxième loi de finances rectificative pour 2020 vient donc écarter ce risque pour les abandons de loyer consentis entre le 15 avril et la fin de l’année 2020. Les charges afférentes au bien loué (intérêts d’emprunt ou charges de propriété par exemple) restent déductibles.

Quelques précautions doivent cependant être prises dans un contexte familial : lorsque l'entreprise locataire est exploitée par un membre du foyer fiscal du bailleur, ou son ascendant ou descendant, celui-ci doit justifier des difficultés de trésorerie de l’entreprise pour bénéficier de la mesure. Son application est également exclue entre deux entreprises commerciales liées.

Et après? 

Alors que des annulations pures et simples de charges patronales au bénéfice des certaines entreprises du secteur de l'hôtellerie et des petits commerces ont déjà été annoncées, de nombreux acteurs plaident pour un élargissement du dispositif. Un plan de relance complet devrait par ailleurs voir le jour dans les prochains mois, même si aucune date n’a pour l’heure été communiquée.

Si le nombre de faillites d’entreprises n’a pas encore bondi, c’est peut-être que le plus dur est à venir. Les mesures d’urgence,  la suspension de certains  délais de recouvrement et une ordonnance de mars dernier, aux termes de laquelle les débiteurs qui n’étaient pas en état de cessation des paiements au 12 mars dernier n’auront pas à déposer le bilan avant la fin de l’été y sont probablement pour beaucoup.  Une conséquence notable de cette dernière mesure : les entreprises en difficulté dont la cessation des paiements serait intervenue depuis le 12 mars dernier pourront bénéficier des procédures amiables (conciliation, mandat ad hoc), alors même que celles-ci doivent en principe être déclenchées avant la cessation des paiements. Au-delà et malgré ces mesures, les procédures judiciaires (sauvegarde, redressement, liquidation) devront prendre le relais. 

Article co-rédigé avec Raphaël Dumoutet, legal product manager chez Legalstart