Justice prédictive : Evolution des métiers d'avocat et de magistrat

En utilisant l'Open Data (ouverture progressive, massive et gratuite des bases de données de jurisprudence), les algorithmes prédictifs ont pour objectif l'accélération du règlement des litiges, en améliorant la prévisibilité des décisions de justice.

En utilisant l'Open Data (ouverture progressive,  massive et gratuite des bases de données de jurisprudence), les algorithmes prédictifs ont pour objectif  l’accélération du règlement des litiges, en améliorant la prévisibilité des décisions de justice.

Dans ce contexte, une tendance lourde dans l’évolution des avocats est la spécialisation. L’automatisation des fonctions juridiques, par exemple les robots de contrats et autres applications numériques développées par les « Legaltechs »vont conduire les avocats à se spécialiser. L’avocat généraliste va être de plus en plus concurrencé par les nouvelles applications numériques, plus rapides, moins chères pour les utilisateurs. L’avocat spécialiste, expert de son domaine, utilisera en particulier les logiciels de justice prédictive pour prévoir les décisions de justice et adapter son argumentaire en conséquence.

De même, les magistrats seront confrontés aux logiciels de justice prédictive qui donneront des axes de décisions. Ils auront intérêt à utiliser ces applications pour améliorer leurs décisions et accélérer le règlement des conflits.

Ces évolutions sont en marche. Comme dans d’autres secteurs tel la Santé, il sera plus utile d’utiliser à son profit ces applications plutôt que d’essayer de ralentir la marche de leur implantation.

"La prévision est un art difficile, surtout lorsque concerne l’avenir !" (Pierre Dac, humoriste et comédien français mort en 1975)

L’objectif de la Justice Prédictive est de prédire le résultat d’un litige, afin de conforter son approche et d’adapter son argumentation en conséquence. L’avocat pourra ainsi, grâce aux résultats fournis par de telles applications,  tenter une médiation ou éviter à son client une procédure à l’issue probablement négative.

Les applications de justice prédictive permettent de :

  • Comparer son dossier aux jugements déjà rendus dans le même domaine (jurisprudence)
  • En déduire les Forces/Faiblesses selon le résultat obtenu.

Elles utilisent les bases de données de jurisprudence en Open Data (la loi Lemaire pour une République numérique, du nom de l’ex-secrétaire d’Etat au numérique Axelle Lemaire, a permis l’ouverture des données issues des décisions de justice, offrant des perspectives aux "Legaltechs", nouvelles actrices de la data judiciaire).

On retrouve les décisions de justice accessibles gratuitement, sur le site du service public de la diffusion du droit, Legifrance, pour un accès thématique ou par juridictions et, depuis 2015, sur le site Internet de la Direction de l’information légale et administrative (DILA) en open data.

En complément, les applications de justice prédictive intègrent,  pour la plupart, des modules d’intelligence artificielle.

Par exemple, une des solutions du marché, "Prédictice" permet d’analyser des millions de décisions de justice en quelques secondes.

En l’occurrence, il s’agit d’une des applications du Big Data, qui désigne des ensembles de données très volumineux, dépassant  les capacités humaines d'analyse ainsi que celles des outils informatiques classiques de gestion de base de données, accompagnés des algorithmes incluant souvent des modules d’intelligence artificielle, permettant de tirer parti de ces masses de données.

De même, il commence à exister également  des logiciels pour aider les juges à décider.
Dans tous les cas, la difficulté majeure à ce jour est de modéliser son dossier pour le soumettre à la comparaison.

Jean-Marc Sauvé, Vice-Président du Conseil d’Etat, traitait de ce sujet lors de son intervention  du 12/02/2018 au Colloque du bicentenaire de l’Ordre des Avocats. Il disait en substance que les algorithmes prédictifs, fondés sur l'ouverture progressive, mais massive et gratuite des bases de jurisprudence à tous – l'open data –, visent à accélérer le règlement des litiges et à accroître la sécurité juridique, en améliorant la prévisibilité des décisions de justice.

"Il s’agit d’un véritable défi de la justice, en particulier en ce qui concerne son indépendance, son efficacité, ainsi que la qualité de son fonctionnement." Les juges ont de nouveaux défis à relever, compte-tenu des nouveaux bouleversements technologiques …

De manière globale, ces évolutions seront bénéfiques pour la qualité et l’efficacité. Elles permettront  d’accélérer le règlement des litiges, au moins pour les dossiers répétitifs et simples, en apportant l’amélioration prévisible des décisions

  • Les risques potentiels :
  • Le Juge perd la liberté d’appréciation et l’indépendance (par sécurité, il se range à l’avis des confrères)
  • Cela peut figer la jurisprudence
  • La décision atypique prise par un Juge pourra être jugée comme inacceptable
  • Or il y a des évolutions économiques, sociales.

Jean-Marc Sauvé terminait en engageant les magistrats  à ne pas faire l’autruche.

Au-delà de la justice prédictive, plusieurs bouleversements vont affecter l’écosystème de la Justice.

Devant une justice engorgée qui est devenue complètement  paralysée par la pandémie, la médiation apporte une solution plus rapide et économique. En particulier, la télémédiation devient le must pour régler les litiges, en particulier de nature commerciale ou RH.

Nous nous dirigeons vers une justice numérique pour la majorité des affaires civiles et commerciales. Quatre-vingt pour cent des litiges devraient pouvoir être traités  via un Tribunal numérique en ligne, voire un "robot-juge" pour une grande partie des dossiers. Cela permettra de gagner beaucoup de temps et de diminuer les coûts pour tous les acteurs.

Si la justice ne met pas en place ces structures et applications numériques, les justiciables seront tentés de trouver la réponse à leurs conflits auprès d’acteurs privés, tels ceux offrant des services de télémédiation.

Beaucoup de magistrats officieront dans un Tribunal en ligne.  Finalement, il y aura probablement besoin de moins de magistrats et moins d’avocats, ceux qui demeureront seront très spécialisés, experts et indispensables au bon fonctionnement de la Justice. Les autres  pourront devenir juristes d’entreprises ou médiateurs par exemple.

Ces bouleversements ne concernent pas uniquement la justice ; ils vont progressivement toucher tous les secteurs comme la Santé par exemple.

En conclusion, les acteurs des métiers concernés ont tout intérêt à

  • Ne pas faire l’autruche
  • Se préparer aux évolutions et ruptures technologiques pour en tirer le meilleur parti.