Décarbonation de l'industrie : capture et valorisation du CO2, solution d'avenir ou projet utopique ?

La captation et valorisation du CO2 répond à la décarbonation de l'industrie française, projet au coeur du plan France 2030. À l'étude depuis de nombreuses années, est-ce vraiment une solution d'avenir ?

Le 8 février dernier, Jean Castex annonçait débloquer 5,6 milliards d’euros dans le cadre de France 2030 pour décarboner l’industrie française. Avec pour objectif la neutralité carbone en 2050, notre industrie, responsable d’un cinquième des émissions de gaz à effet de serre en France, doit les réduire de 35% d’ici à 2030. Malgré les progrès effectués en termes de décarbonation, il n’existe pas encore de solutions permettant une industrie zéro émission. Toutefois, une nouvelle technologie visant à diminuer son impact carbone a émergé au cours des dernières années : la captation et l’utilisation du CO2.

Une promesse : transformer un déchet en matière première de valeur

Dans l’imaginaire collectif, le CO2 est perçu comme une source de pollution. Pourtant, il pourrait devenir une source de carbone renouvelable pour l’homme, tout comme il est déjà pour la nature via la photosynthèse. Pour le capter et le transformer en produit à valeur ajoutée, deux principales voies sont à l’étude : extraire le CO2 de l’air ou le capter au sein d’unités industrielles. Une fois capté, il doit être converti en produits à plus haute valeur ajoutée. Combiné à des sources d’énergie renouvelables, il peut être placé au cœur d’une approche de consommation circulaire à faible impact carbone. C’est la promesse de l’entreprise canadienne Carbon Engineering qui valorise le CO2 capturé de l’atmosphère en carburant de synthèse. Ce projet, qui a nécessité 12 années de R&D, met en évidence qu'au-delà du concept, il existe de réelles difficultés de mise en place de ces solutions.

Quels défis à relever pour y parvenir ?

Des méthodes de valorisation comme la récupération assistée des hydrocarbures, la synthèse de produits chimiques, ou encore la culture de micro-algues sont à un stade avancé. Cependant, pour valoriser le CO2, plusieurs défis majeurs restent à relever. Pour pouvoir être capté, le CO2 doit présenter une concentration 1000 fois supérieure à celle de l’air. Il est donc moins difficile de le capter sur des sites industriels fortement émetteurs que dans l’atmosphère. S’il n’est pas directement utilité, le CO2  doit être stocké puis converti grâce à des intrants “verts”, difficiles d’accès, pour être réutilisé comme matière première. Pour limiter les coûts liés à ce processus , les installations intervenant à chaque étape de celui-ci doivent se trouver à proximité du site industriel générateur du CO2. C’est ce que déploie l’entreprise Lanzatech qui transforme les effluents des aciéries en éthanol grâce à l'utilisation de microorganismes dans un procédé de fermentation. La transformation du CO2 requiert donc une adaptation des sites industriels existants pour capter les déchets carbonés et les réutiliser à proximité. Les nouveaux projets doivent être pensés dans une logique circulaire pour que les émissions de CO2 d’un site deviennent sa matière première ou celle de son voisin.

Pour qu’une telle transformation s’opère, des investissements considérables sont nécessaires et un soutien doit être apporté tant aux startups, pour le développement de nouvelles solutions, qu’aux industriels pour l’adaptation de leurs infrastructures et de leur logistique.

Transformer, oui ! Mais qui va payer l’addition ?

Cette révolution industrielle n’est qu’à ses prémices et ne fait que commencer à identifier ses besoins. La recherche, le développement et le déploiement de telles solutions requièrent des investissements significatifs. La stratégie d’accélération de « décarbonation de l’industrie » mise en place par l’État a débloqué une enveloppe de 610 millions d’euros pour financer l’innovation et le déploiement de technologies bas carbone. Certains industriels français, comme le Groupe ArcelorMittal, sont engagés aux côtés du gouvernement dans cette démarche : dans le cadre d’un partenariat stratégique avec l’État, ArcelorMittal déploie 1,7 milliard d’investissement pour transformer ses deux principaux sites industriels français (Fos et Dunkerque). Son objectif est de réduire de près de 40 % ses émissions de CO2 en France d’ici 2027, soit 7,8 millions de tonnes annuelles. À l’échelle nationale, cela représente une réduction de 10 % des émissions industrielles de gaz à effet.

À l’instar du secteur de l’énergie qui est aujourd’hui réglementé, notamment pour accompagner la transition vers les énergies renouvelables, celui de la chimie et des matériaux, qui ne peut se passer de carbone, doit, lui aussi, être davantage soutenu. Pour accélérer le développement de solutions durables et « amortir » le surcoût initial, des réglementations comme l’imposition de quotas de produits biosourcés dans des domaines spécifiques pourraient être promus. D’autre part, des mesures plus incitatives comme le crédit d’impôts pour les entreprises mettant en place des technologies et solutions bas carbone pourraient également être une motivation supplémentaire et insuffler le changement.