Trump donne des gages à la communauté crypto
Dimanche 2 mars, Donald Trump a révélé sur son réseau Truth Social le contenu de la future réserve fédérale de cryptomonnaies que le président américain compte mettre en place, en accord avec ses promesses de campagne. Outre le bitcoin et l'ether, elle sera composée d'autres jetons : ceux des blockchains Solana, XRP and Cardano. L'annonce a suscité un climat d'euphorie dans le milieu des cryptos, qui a entraîné la hausse des cinq valeurs citées sur les marchés.
Durant la campagne présidentielle, Donald Trump a multiplié les appels en direction de l'industrie des cryptomonnaies, misant sur les frustrations de celle-ci vis-à-vis d'une administration Biden perçue comme excessivement régulatrice pour récolter les voix des fondus du bitcoin.
Le nouveau président a notamment promis de faire de son pays la capitale mondiale des cryptos, et de permettre aux professionnels de l'industrie de participer à l'élaboration des futures régulations qui les concerneront.
De nouvelles têtes favorables aux cryptomonnaies
Avant même sa prise de pouvoir, Donald Trump a signalé qu'il comptait tenir parole en nommant des personnalités proches de l'industrie à des postes clefs. David Sacks, un investisseur de la Silicon Valley connu pour ses positions pro-cryptos et ses investissements dans plusieurs projets, dont la blockchain Solana, a été nommé au poste de tsar de l'IA et des cryptos. Donald Trump a également trouvé un remplaçant pour Gary Gensler, le patron de la SEC, le gendarme des marchés financiers, devenu la bête noire d'une partie de l'industrie pour son approche intransigeante vis-à-vis de celle-ci.
"Durant son mandat, Gensler a notamment insisté pour que la plupart des projets cryptos, à l'exception du bitcoin, soient considérés comme des titres financiers. Or, l'industrie souhaite plutôt que les jetons numériques soient classés comme des marchandises, ce qui implique un plus bas niveau de régulation. L'approche de Gensler revenait à considérer la plupart des offres de cryptomonnaies comme illégales au sens du droit américain, ce qui l'a conduit à multiplier les procès contre les plateformes", résume Alexis Boeglin, directeur de l'exploitation de CrypCool, un service d'investissement en cryptoactifs.
Pour remplacer Gensler, Trump a choisi Marc Uyeda, un vétéran de la SEC très critique vis-à-vis de l'approche de son prédécesseur, et désireux de promouvoir une approche plus favorable à l'innovation. Cela pourrait signifier classer davantage de projets cryptos comme marchandises plutôt que titres financiers, ou encore de créer une catégorie à part, dans la droite ligne du règlement MiCA en Europe.
Le dollar numérique aux oubliettes
Côté régulations, le président américain a également signé durant les premiers jours suivant sa prise de pouvoir un décret instaurant la création d'un groupe de travail sur les cryptomonnaies, qui sera notamment chargé de plancher sur la mise en place de la réserve fédérale de cryptos.
Le décret a également pour effet de torpiller le projet de dollar numérique, qui avait été mis en place sous l'administration précédente suite à la signature d'un décret par Joe Biden en mars 2022. Il s'agit là encore d'un gage donné à la communauté des amateurs de jetons numériques. Les projets de monnaie numérique de banque centrale, ou CBDC, n'ont en effet pas bonne presse au sein de celle-ci. Animée d'idéaux libertaires, voire libertariens, elle craint en effet que de tels projets ne soient mis au service d'un plus grand contrôle du gouvernement sur la monnaie, soit l'inverse de la philosophie décentralisatrice promue par le bitcoin.
"Les cryptomonnaies sont associées à un idéal de liberté de transactionner à sa guise. Or, l'exemple du yuan chinois montre les risques qu'entraîne une monnaie numérique de banque centrale en matière de surveillance, d'invasion de la vie privée et de fermeture des comptes bancaires pour telle ou telle position jugée non conforme", développe Alexis Boeglin.
Trump mise gros sur les stablecoins
A la place, l'administration Trump 2.0 entend promouvoir les stablecoins, ces jetons numériques dont la valeur, pour maintenir une certaine stabilité, est adossée à un élément de l'économie réelle, comme l'or, une matière première, ou une monnaie fiduciaire, comme le dollar. En défendant ce type d'actifs, le président américain fait d'une pierre deux coups : il montre patte blanche auprès de la communauté crypto, et défend la suprématie du dollar. Car la plupart des stablecoins sont adossés au billet vert, qui a pour gros atout de constituer une valeur sûre. L'USDT, de l'entreprise Tether, et l'USDC, de Circle, deux jetons adossés au dollar, comptent ainsi à eux seuls pour 90% de la valeur totale du marché mondial des stablecoins.
Pas étonnant, dans ce contexte, que David Sacks voit dans ces derniers "l'opportunité d'étendre la domination du dollar à l'international", en créant "un dollar numérique qui sera utilisé dans le monde entier", le tout sans passer par le contrôle d'une banque centrale. Technophile, servant la puissance américaine et s'appuyant sur les forces privées du marché plutôt que sur la puissance publique : un tel projet à tout pour plaire à la fibre techno-libertarienne de l'administration Trump 2.0. Une forte croissance pour Tether et Circle aurait également pour avantage de les conduire à acheter davantage de dette américaine pour garantir la valeur de leurs stablecoins, servant la capacité des Etats-Unis à financer leur dette, qui devrait continuer à augmenter sous Trump. Tether détient à elle seule environ 97,6 milliards de dollars en bons du Trésor américain, ce qui en fait le 18ème plus grand détenteur devant des pays comme l'Allemagne et l'Australie.
Le fait de miser sur les stablecoins n'est toutefois pas sans risques pour les Etats-Unis, selon Alexis Boeglin. "Le fait de laisser davantage de marge de manœuvre aux acteurs privés permet certes de stimuler l'innovation, mais peut également générer des risques supplémentaires. Suite à la faillite des banques Signature et Silicon Valley Bank, il y a deux ans, des craintes ont émergé quant aux contreparties de certains jetons adossés au dollar. Leur valeur est alors tombée de quelques points de pourcentage sous celle du billet vert sur les marchés, créant un vent de panique chez les investisseurs, qui heureusement n'a pas duré."
Un développement tous azimuts des stablecoins adossés au dollar pourrait ainsi entraîner la création d'une bulle spéculative susceptible de déboucher sur un crash des cryptos qui, avec le rapprochement entre celles-ci et l'économie réelle qu'entraîne également la promotion des stablecoins, pourrait dégénérer en une crise économique tout court.