Bernard Lang
Vice-président
de l'AFUL et Directeur de Recherche à
l'INRIA
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« La loi DADVSI est votée. On n'a pas fini de parler de l'impréparation
et des conditions peu démocratiques de ce vote, mais que peut-on
essayer de lire ou de deviner dans ce texte confus et mal
ficelé ?
Concernant l'interopérabilité, si le recul est net
par rapport au texte de l'Assemblée, on peut cependant considérer
que la catastrophe a été évitée de peu. Le droit
à la décompilation est préservé et le droit à l'interopérabilité
est maintenu en reprenant même des clauses de l'Assemblée
supprimées par le Sénat. Il n'y a sans doute pas de recul
par rapport à la situation antérieure à la loi. La tentative
des majors de l'audiovisuel et du logiciel pour faire des
mesures techniques une nouvelle forme de propriété intellectuelle,
véhicule du contrôle de la culture et de l'Internet, aura
échoué sur ce point.
Mais le prix à payer est conséquent : les amendements
Vivendi, qu'aucun autre pays n'avait acceptés, remettent
en cause la neutralité de la technique et permettent d'incriminer
un logiciel ou son auteur sur la base de l'usage qui en est
fait par des tiers. Si l'interopérabilité est préservée,
c'est donc dans des conditions d'insécurité juridique considérables,
renforcées par les incohérences du texte, insécurité dont
les victimes sont généralement les plus faibles, PME ou logiciels
libres.
En outre, l'interopérabilité technique n'est pas tout. En
dépit d'amendements proposés par l'ADULLACT et l'AFUL, et
portés par plusieurs sénateurs, nous n'avons pu obtenir
l'interdiction du refus de vente électronique, qui est
pratiqué arbitrairement par certains sites de musique en ligne,
par exemple contre les utilisateurs de Firefox.
Du point de vue du public, même si quelques exceptions
au droit d'auteur ont été acquises, bien en deça de ce que
permet la directive, la copie privée devient une fiction
destinée surtout à justifier la redevance associée. Même
les copies de sauvegarde pourraient être interdites, alors
que les médias numériques sont vulnérables et peu pérennes.
C'est la préservation de la culture elle-même qui en est menacée.
Tous ces verrous serviront plus à asservir les artistes
aux majors qu'à augmenter leurs revenus et leur liberté de
création. Et, alors que l'on sait que ces mesures ont
peu d'effet contre les échanges illicites, on peut au contraire
craindre qu'elles ne les encouragent, car les copies illicites
auront maintenant plus d'avantages techniques que les copies
licites.
Mais que pouvait-on attendre d'un texte non préparé, géré
dans l'urgence, rafistolé à la hâte, et généralement conçu
dans la plus parfaite ignorance des enjeux culturels, techniques,
économiques et politiques, et dans le refus de la concertation ?
Seul le courage de quelques parlementaires a évité que le
fiasco ne soit total. »
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